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Édité par le MESR, le Bulletin officiel de l'enseignement supérieur et de la recherche publie des actes administratifs : décrets, arrêtés, notes de service, circulaires, avis de vacance de postes, etc. La mise en place de mesures ministérielles et les opérations annuelles de gestion font l'objet de textes réglementaires publiés dans des BO spéciaux.
Publication hebdomadaire (ISSN : 2110-6061)

Cneser

Sanctions discipinaires

nor : MENS1501134S

Décision du 30-3-2015

MENESR - DGESIP - CNESER

Affaire : Monsieur XXX, Maître de conférences né le 12 avril 1964

Dossier enregistré sous le n° 1115

Appel formé par Maître Aurore Tabone au nom de Monsieur XXX, d'une décision de la section disciplinaire de l'université d'Évry-Val-d'Essonne, et appel incident formé par l'administrateur provisoire de l'université ;

 

Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire ;

 

Étant présents :

Professeurs des universités ou personnel assimilé :

Olivier Beaud, président

Jacques Cohen

Monsieur Michel Gay

Maîtres de conférences ou personnel assimilé :

Christine Barralis, rapporteure

Jérôme Dauvieau

Anne Roger y Pascual


Vu le code de l'éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 712-2, L. 712-6-2, L. 719-1, L. 811-5, L. 952-7, L. 952-8 et R. 232-23 à R. 232-48 ;

Vu le décret n° 92-657 du 13 juillet 1992 modifié relatif à la procédure disciplinaire dans les établissements publics d'enseignement supérieur placés sous la tutelle du ministre chargé de l'enseignement supérieur ;

Le dossier et le rapport ayant été tenus à la disposition des parties, de leur conseil et des membres du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire dix jours francs avant le jour fixé pour la délibération ;

Vu la décision prise à l'encontre de Monsieur XXX, le 18 juin 2014 par la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université d'Évry-Val-d'Essonne, prononçant une interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans maximum, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Vu l'appel formé le 3 septembre 2014 par Maître Aurore Tabone au nom de Monsieur XXX, de la décision prise à l'encontre de ce dernier par la section disciplinaire de l'université d'Évry-Val-d'Essonne ;

Vu l'appel incident formé le 14 octobre 2014 par l'administrateur provisoire de l'université d'Évry-Val-d'Essonne de la même décision ;

Vu le sursis à exécution octroyé à Monsieur XXX par décision du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire en date du 26 janvier 2015 ;

Vu les pièces du dossier ;

 

Monsieur XXX ayant été informé de la tenue de cette séance par lettre recommandée avec avis de réception du 23 février 2015 ;

Monsieur le président de l'université d'Évry-Val-d'Essonne ou son représentant, ayant été informé de la tenue de cette séance par lettre recommandée avec avis de réception du 23 février 2015 ;

Monsieur XXX et Maître Aurore Tabone son avocate et Max Lebreton son conseil, étant présents ;

Lauranne Cosson, représentant le président de l'université d'Évry-Val-d'Essonne, étant présente ;

Les témoins convoqués : Mesdames AAA, BBB, CCC et DDD et Messieurs EEE, FFF et GGG étant présents ; Mesdames HHH et III et Monsieur JJJ étant absents ; Madame KKK étant absente et ayant envoyé un témoignage écrit ;

 

Après lecture, en audience publique, du rapport d'instruction établi par Christine Barralis et du témoignage écrit de Madame KKK ;

Après avoir entendu, en audience publique, les demandes et explications des parties et les conclusions de Maître Aurore Tabone, l'appelant ayant eu la parole en dernier ;

Après que les parties et le public se furent retirés ;

 

Après en avoir délibéré

Sur l'irrecevabilité de l'appel incident :

Considérant que l'un des conseils de M. XXX soulève une exception d'irrecevabilité concernant l'appel incident de l'université d'Évry-Val-d'Essonne qui aurait été signé par l'administrateur provisoire de l'université alors que celui-ci ne serait pas compétent pour signer un tel acte qui ne relèverait des actes de gestion courante auxquels devrait se borner un administrateur provisoire  ;

Considérant, toutefois, que le Conseil d'administration de l'université d'Évry-Val-d'Essonne, lors de sa réunion du 25 mars 2014, a habilité l'administrateur provisoire à engager toute action en justice nécessaire afin de protéger les intérêts de l'université ; que, par voie de conséquence, l'appel incident doit être considéré comme recevable ;

Sur la régularité de la procédure de première instance, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'il résulte de la procédure s'étant déroulée en première instance que, d'une part, Monsieur XXX et son conseil n'ont pas été informés de l'existence de pièces ajoutées par la partie poursuivante après la commission d'instruction (récépissé de dépôt de plainte de Madame AAA ; seconde attestation de Monsieur JJJ) et, d'autre part, certaines de leurs  propres écritures n'ont pas été transmises à la formation de jugement ; que cette asymétrie entre les deux parties dans la communication des pièces constitue une violation flagrante des droits de la défense ;  

Considérant par ailleurs que la sanction prononcée - « interdiction d'accéder à une classe,  grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans maximum » - a pour effet de rendre indéterminée la durée exacte de la sanction, méconnaissant l'article L. 952-8 du code de l'éducation qui fixe les peines disciplinaires applicables aux enseignants-chercheurs ;

Considérant, que de telles illégalités suffisent à entraîner l'annulation de la décision de première instance ;

Considérant que le juge d'appel est saisi de l'affaire au fond en vertu de la règle de dévolution de l'appel,

Sur les faits reprochés à Monsieur XXX :

Considérant, d'abord que, selon les dires de Madame DDD, Monsieur XXX a pris la mauvaise habitude d'interrompre régulièrement ses cours ; que ses interruptions pouvaient être anormalement longues et porter sur des points qui n'étaient pas tous d'ordre administratif ou pédagogique et perturber ainsi le travail pédagogique de Madame DDD et de ses étudiants ; que Monsieur XXX argue, au contraire, que ces interruptions de cours étaient ponctuelles et relatives à des questions administratives, en particulier à des modifications d'emploi du temps ; que, cependant, les questions de gestion d'emplois du temps et de gestion quotidienne des formations relèvent normalement davantage de la direction du département que de la direction de l'UFR ; que ces intrusions répétées du directeur d'UFR dans les cours d'une enseignante peuvent donc être considérées comme excessives et sources de perturbations indues ;

Considérant, également que plusieurs témoins, y compris des témoins présentés par la défense, ont attesté du comportement particulièrement « tactile » de Monsieur XXX envers ses collègues, qu'il gratifiait notamment régulièrement d'accolades ou de bises ;  qu'il est notamment établi par des témoignages concordants qu'il a enlacé une secrétaire, Madame III, la soulevant du sol et la faisant tournoyer, sans le consentement de cette dernière, et qu'il a manifesté son incompréhension lorsqu'elle l'a repoussé ; que Madame III a témoigné que, malgré ce premier refus de contact physique de sa part, Monsieur XXX avait ultérieurement de nouveau tenté de la prendre dans ses bras, et s'était montré vexé de son nouveau refus ; que le conseil de Monsieur XXX a prétendu en commission d'instruction du Cneser statuant en matière disciplinaire que Madame III serait revenue sur son témoignage écrit lors de la commission d'instruction de première instance, mais que le rapport d'instruction de première instance, qui rapporte le contenu de son témoignage oral, ne révèle rien de tel ; que, même si ce geste était dénué d'intention sexuelle de la part de Monsieur XXX, ce comportement répété au mépris des volontés de Madame III ne saurait être acceptable, particulièrement de la part d'un directeur d'UFR envers un agent placé sous son autorité, d'autant plus lorsque cet agent est dans une situation de dépendance et fragilité accrue du fait de son statut de contractuelle  en CDD ; qu'il est également établi que Monsieur XXX a été surpris dans son bureau en train d'enlacer une étudiante en lui faisant un baiser sur la joue ; que Monsieur XXX explique que son comportement « tactile » serait dû à sa culture hispanique, où le rapport au corps est plus libéré ; que Monsieur XXX exerce dans les universités françaises depuis plus de vingt ans et ne saurait donc ignorer les différences entre les cultures française et hispanique, ni la retenue attendue d'un fonctionnaire envers ses collègues du sexe opposé et, encore plus, d'un enseignant envers ses étudiant(e)s ; que ces origines espagnoles ne sauraient donc justifier une telle attitude qui n'a pas lieu d'être sur le lieu de travail et avec des personnes travaillant sous son autorité ou avec des étudiant(e)s ;

Considérant en outre que trois enseignants ont témoigné du fait que Monsieur XXX a longuement exhibé une image à caractère pornographique devant des étudiants ; que, même s'il est établi que l'apparition initiale de cette image sur sa tablette était indépendante de sa volonté, le fait de la montrer ensuite largement au public présent n'est pas un comportement acceptable de la part d'un universitaire qui doit être exemplaire dans son attitude par rapport aux étudiants ;

Considérant qu'il est établi que Monsieur XXX a tout fait pour faire écarter une de  ses collègues (Madame AAA) - avec laquelle il reconnaît être en conflit récurrent depuis plusieurs années -, de tout enseignement à partir du mois de novembre 2012, au mépris de l'état de service prévisionnel de Madame AAA établi pour l'année 2012-2013 et en se permettant notamment de porter des jugements sur le contenu et les méthodes de l'activité pédagogique de Madame AAA, alors qu'il était doublement incompétent pour juger de ces points, Monsieur XXX n'appartenant pas à la même discipline que Madame AAA et l'évaluation des contenus et méthodes de cours ne relevant pas d'une direction d'UFR ; que le caractère anormal de la démarche entreprise à ce sujet, notamment l'absence de concertation avec la directrice du département dont relevait Madame AAA, mais aussi l'absence de respect des procédures normales en cas de soupçon de défaut d'accomplissement des obligations de service ou de manquement professionnel - procédures consistant d'abord à convoquer la personne intéressée devant sa direction de composante pour explication, puis éventuellement à transmettre à la hiérarchie universitaire un dossier motivé et accompagné de pièces justificatives en vue de l'ouverture d'une enquête administrative et/ou d'une procédure disciplinaire -, procédures qui auraient offert à Madame AAA la possibilité de se défendre contre les accusations portées contre elle, tend à accréditer l'idée d'une volonté de nuire à Madame AAA motivée par la vengeance, constitutive d'un abus d'autorité de la part de Monsieur XXX en tant que directeur de l'UFR LAM ;

Considérant, en outre, que plusieurs pièces fournies par l'université et témoignages montrent que, dans le conflit qui l'a opposé à Madameme AAA, Monsieur XXX n'a pas hésité à instrumentaliser les étudiants pour mettre en difficulté sa collègue, en mettant en avant les témoignages hostiles à Madame AAA de certains étudiants, alors que d'autres étudiants ne partageaient pas leur point de vue ; que la circonstance selon laquelle cette pratique de mobilisation des étudiants en vue de discréditer des collègues est largement partagée au sein du département de LEA n'enlève rien au caractère répréhensible d'un tel comportement qui revient à prendre en otage les étudiants pour régler des conflits personnels entre collègues ; que cette pratique est particulièrement condamnable de la part d'un directeur d'UFR, par ailleurs responsable pédagogique des échanges Erasmus, et donc détenteur d'une autorité redoublée sur les étudiants ;

Considérant que tout ce qui précède est constitutif d'un comportement général inapproprié de la part de Monsieur XXX à l'égard tant de ses collègues que du personnel administratif et des étudiants ; que donc, loin de contribuer à assurer l'harmonie qui doit régner dans toute institution, Monsieur XXX a, en sa qualité de directeur de d'UFR, plutôt encouragé les divisions et les dissensions, participant ainsi  personnellement, et de façon déterminante, à la sérieuse dégradation du climat de travail dans la composante qu'il dirigeait ;

Considérant, en revanche, que les accusations qui ont été portée contre lui d'un harcèlement moral ou d'un harcèlement sexuel ne sont pas suffisamment établis par les faits ; qu'il n'y a notamment aucune preuve objective d'un quelconque harcèlement sexuel de sa part à l'encontre de la principale accusatrice, Mme DDD; que, à les supposer établis, les faits relatés par cette dernière constitueraient plutôt un comportement indélicat, mais ne sauraient être qualifiés de harcèlement sexuel ; que, d'une manière plus générale, les accusations de harcèlement moral portées par Madame DDD à l'encontre de Monsieur XXX doivent être accueillies avec circonspection en raison d'éléments tendant à prouver que c'est bien elle qui a souvent demandé l'aide de Monsieur XXX et qu'ils entretenaient une relation de type amical, de sorte qu'on a l'impression qu'elle l'a considéré, jusqu'en mai 2013 au moins, plus comme un secours que comme une menace ;

Considérant enfin, que les moyens de fait  avancés par la défense pour tenter de faire relaxer l'appelant et qui se rapportent  soit  à l'attitude de Madame DDD après le dépôt de sa plainte pénale ou après le déclenchement de la procédure disciplinaire, soit à l'attitude de l'université d'Évry-Val-d'Essonne à qui il est reproché  à la fois  une instrumentalisation « politique » de la poursuite disciplinaire et une coupable abstention de poursuite disciplinaire contre Madame DDD, sont sans incidence sur l'appréciation des fautes disciplinaires commises antérieurement à ces faits par Monsieur XXX ;

Considérant, pour conclure, qu'il ressort de l'ensemble de cette affaire et de ce dossier que Monsieur XXX s'est comporté trop souvent d'une manière qui n'est pas conforme à la façon dont  non seulement un universitaire, mais aussi un directeur d'UFR, doit normalement se comporter ; qu'il a commis , comme il a été relevé plus haut, de nombreuses violations d'obligations déontologiques qui s'imposent à tout universitaire et a fortiori à un universitaire élu, amené à diriger une UFR ; que pour cette seule raison, mais à elle seule suffisante, il doit être sanctionné  ;  

 

Par ces motifs

Statuant au scrutin secret, à la majorité absolue des membres présents,

Décide

Article 1 - L'appel incident de l'administrateur provisoire de l'université d'Évry-Val-d'Essonne est déclaré recevable.

Article 2 - La décision de première instance est annulée pour vice de procédure.

Article 3 - Il est infligé à Monsieur XXX un abaissement d'échelon.

Article 4 - Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du code de l'éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, à Monsieur le président de l'université d'Évry-Val-d'Essonne, à Madame la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l'enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, à Monsieur le recteur de l'académie de Versailles.

 

Fait et prononcé en audience publique à Paris, le 30 mars 2015 à 23 h 30 à l'issue du délibéré.

 

Le secrétaire de séance

Michel Gay

Le président de la juridiction (suppléance)

Olivier Beaud

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