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Publication hebdomadaire (ISSN : 2110-6061)

Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche

Coopération scientifique et technologique internationale des universités – Rôle et place de l’Université dans l’organisation des débats publics

nor : ESRH2417553V

Avis du 19-6-2024

MESR – DGRH A2-1


Vu Code de l’éducation, notamment articles L. 123-7, L. 123-7-1, L. 146-1 et L. 811-1 ; Code général de la fonction publique, notamment articles L. 121-1 et suivants ; Code de la recherche, notamment article L. 112-1 ; décret n° 2017-519 du 10-4-2017 ; arrêté du 1-3-2018 ; règlement intérieur du collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche ; saisine de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 15-5-2024

Par courrier du 15 mai 2024, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a saisi le collège de déontologie d’une demande d’avis s’inscrivant dans le contexte d’une actualité sensible, particulièrement pour les universités, marquée notamment par les conséquences du conflit à Gaza.

Compte tenu de revendications ou d’interpellations tendant à ce que des universités suspendent leurs coopérations et leurs partenariats académiques et scientifiques avec des universités ou des institutions situées dans des zones de conflit, la ministre demande au collège, en premier lieu, de préciser dans quel cadre, au regard des principes déontologiques énoncés tant dans le Code de l’éducation, le Code de la recherche que dans le Code général de la fonction publique, s’inscrit la coopération scientifique et technologique internationale, dont elle souligne le caractère essentiel pour les universités, dans les domaines de la formation, de la recherche et de l’innovation. Elle souhaite également que le collège puisse proposer des repères et lignes directrices dont les établissements pourraient se saisir pour définir leurs propres stratégies de collaboration.

En second lieu, la ministre propose que le collège de déontologie rappelle le rôle et la place de l’Université dans l’organisation des débats publics et le cadre dans lequel ils doivent s’inscrire, tout en garantissant la pluralité et la liberté d’expression, en accord avec ses missions, dans le respect des personnes et des idées de chacun.

Pour répondre à la demande d’avis, le collège a sollicité la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) du ministère pour qu’elle puisse apporter des éléments de cadrage concernant les coopérations scientifiques. Le collège a procédé à l’audition du directeur des affaires juridiques du ministère, Guillaume Odinet et à l’audition de représentants de France Universités, dont son président, Guillaume Gelle, son conseiller en relations institutionnelles et parlementaires, Kévin Neuville et son conseiller, Christian-Lucien Martin.

1. Sur le cadre dans lequel s’inscrivent les coopérations et partenariats académiques et scientifiques avec des universités ou institutions étrangères

1. 1. Comme le collège de déontologie l’a rappelé dans son avis du 17 février 2023 relatif à l’expression publique des chercheurs, la recherche publique a, en vertu de l’article L. 112-1 du Code de la recherche, une mission de diffusion des connaissances scientifiques et de contribution à l’amélioration du débat public sur la science. Les coopérations avec des universités ou des institutions étrangères, qui se matérialisent notamment par des partenariats tendant à favoriser la mobilité des étudiants et des chercheurs, à développer des programmes de recherche et à partager des ressources académiques et technologiques, contribuent à cette mission.

Ces coopérations, qui consacrent la dimension internationale des libertés académiques, ont surtout un fondement législatif dans le Code de l’éducation. Aux termes de son article L. 123–7 : « Le service public de l’enseignement supérieur contribue, au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale, au débat des idées, au progrès de la recherche et à la rencontre des cultures (...) Il favorise le développement de parcours comprenant des périodes d’études et d’activités à l’étranger sans porter préjudice au déroulement de carrière ou d’études des personnels et étudiants concernés. Il favorise également l’accueil des personnels de recherche étrangers pour la durée de leurs missions scientifiques. Il assure l’accueil des étudiants étrangers (…) ». Le même article dispose que « Dans le cadre défini par les pouvoirs publics, les établissements qui participent à ce service public passent des accords avec des institutions étrangères ou internationales, notamment avec les institutions d’enseignement supérieur des différents États (…) ».

Si les établissements sont autonomes pour négocier et conclure de tels accords, il résulte de l’article L. 123-7-1 du même code que tout projet d’accord doit néanmoins être transmis au ministre chargé de l’enseignement supérieur et au ministre des Affaires étrangères, la conclusion de l’accord ne pouvant intervenir que si l’un ou l’autre ne s’y est pas opposé dans un délai d’un mois suivant la réception du projet.

Par ailleurs, la possibilité pour les établissements de se désengager des accords ainsi conclus est subordonnée au respect de certaines procédures, généralement précisées dans les clauses contractuelles de ces accords.

1. 2. Au regard du cadre ainsi défini, le collège de déontologie estime qu’une prise de position de nature politique, fondée sur des considérations telles que la situation de conflit au Proche-Orient, ne saurait justifier la remise en cause, à la seule initiative des établissements d’enseignement supérieur, de leurs relations de partenariat avec des universités ou institutions étrangères ainsi que, le cas échéant, avec des entreprises ayant des activités internationales.

Cela se déduit d’abord des termes mêmes de l’article L. 123–7 du Code de l’éducation, en vertu duquel c’est « dans le cadre défini par les pouvoirs publics » que les établissements passent de tels accords. À cet égard, le précédent de la guerre en Ukraine ne saurait être invoqué pour justifier la remise en cause, par les établissements français d’enseignement supérieur, des partenariats conclus avec d’autres États situés dans des zones de conflits armés, dès lors que la suspension des relations avec les établissements situés en Russie, à la suite de l’invasion de l’Ukraine, a été la conséquence directe de directives gouvernementales en ce sens, conformément d’ailleurs à la position prise par l’Union européenne. Rien de tel ne peut être relevé s’agissant du conflit au Proche-Orient.

Le collège estime ensuite qu’en tant que la suspension ou la dénonciation d’accords avec des partenaires étrangers résulterait d’une prise de position des organes de gouvernance de l’établissement sur ce conflit, elle se heurterait au principe de neutralité, rappelé à l’article L. 121-2 du Code général de la fonction publique, qui a notamment pour conséquence qu’un établissement public ne saurait faire sienne la revendication d’opinions politiques. L’article L. 141-6 du Code de l’éducation spécifie en outre que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ». Une telle prise de position pourrait d’ailleurs être également critiquée au regard du principe de spécialité, en vertu duquel un établissement public ne peut exercer d’autres missions que celles qui résultent de ses compétences définies par les textes ou qui en sont le complément normal (CE, avis n° 356089 du 7 juillet 1994). À cet égard, les dispositions de l’article L. 811-1 du même code garantissant aux usagers du service public de l’enseignement supérieur la liberté d’information et d’expression, à l’égard notamment des problèmes politiques, n’impliquent pas que les organes dirigeants des établissements qui assurent ce service soient habilités à prendre des positions politiques.

Enfin, les partenariats avec des universités ou institutions étrangères ayant pour cadre des accords conclus sur le fondement de l’article L. 123-7 précité, le collège estime également nécessaire de souligner que leur mise en œuvre – et a fortiori leur éventuelle remise en cause – ne peut se faire qu’en se conformant au principe de loyauté des relations contractuelles. Celui-ci implique que les parties respectent les clauses de l’accord qu’elles ont conclu, en particulier celles qui énoncent, le cas échéant, les motifs pouvant justifier qu’il y soit mis fin.

1. 3. S’agissant des repères et lignes directrices dont les établissements pourraient s’inspirer pour définir leurs stratégies en matière de coopération internationale, le collège considère que l’autonomie qui leur est garantie par la loi dans le choix de leurs partenariats doit s’exercer avant tout sous le signe de la liberté académique, dans le but de favoriser le progrès de la science et le partage des savoirs. Il estime que ces stratégies ne sauraient conduire à faire prévaloir des critères de nature politique, tirés en particulier de la nationalité de l’université ou de l’institution étrangère, ou de la nature des activités de l’entreprise avec laquelle une relation de partenariat est envisagée, pour justifier que, au nom par exemple des « valeurs de l’établissement », une université française refuse de coopérer avec les établissements de certains États ou avec certaines entreprises. Il ne pourrait en aller autrement que dans les cas où seraient en cause, s’agissant de partenariats portant sur des domaines sensibles, des impératifs tirés de la sécurité ou de la défense et, plus généralement, où il s’agirait de se conformer aux consignes des pouvoirs publics en application de l’article L. 123-7 du Code de l’éducation.

2. Sur le rôle et la place de l’Université dans l’organisation des débats publics

Invité par la ministre à rappeler le cadre dans lequel doit s’inscrire l’organisation de débats publics au sein des universités, le collège de déontologie observe qu’il est fixé par les dispositions, citées plus haut, de l’article L. 141-6 du Code de l’éducation, ainsi que par celles de l’article L. 811-1 précité. En vertu de ce dernier texte, les usagers du service public de l'enseignement supérieur, notamment les étudiants inscrits en vue de la préparation d'un diplôme ou d'un concours, « disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public. / Des locaux sont mis à leur disposition. Les conditions d'utilisation de ces locaux sont définies, après consultation du conseil académique en formation plénière, par le président ou le directeur de l'établissement, et contrôlées par lui. ».

Le Conseil d’État a déduit de ces dispositions que « tout établissement d’enseignement supérieur doit veiller à la fois à l’exercice des libertés d’expression et de réunion des usagers du service public de l’enseignement supérieur et au maintien de l’ordre dans les locaux comme à l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement, dans une perspective d’expression du pluralisme des opinions (CE, ord., 7 mars 2011, n° 347171 ; CE, ord., 6 mai 2024, n° 494003). Dans l’affaire jugée le 6 mai 2024, où était en cause l’organisation d’une réunion consacrée à la situation à Gaza, le Conseil d’État a en particulier précisé que « la liberté d'expression et de réunion dans l'enceinte de l'établissement (…) ne saurait permettre des manifestations qui, par leur nature, iraient au-delà de la mission de l'établissement, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et de recherche, troubleraient le fonctionnement normal du service public ou risqueraient de porter atteinte à l'ordre public. Il incombe aux autorités compétentes de l'université, en vue de donner ou de refuser la mise à disposition d'une salle, de prendre toutes mesures nécessaires pour à la fois veiller au respect des libertés dans l'établissement, assurer l'indépendance de celui-ci de toute emprise politique ou idéologique et maintenir l'ordre dans ses locaux, aux fins de concilier l'exercice de ces pouvoirs avec le respect des principes rappelés ci-dessus. ».

Le collège de déontologie considère que le cadre ainsi tracé par la jurisprudence fournit aux établissements d’enseignement supérieur un guide qui doit permettre aux chefs d’établissement d’exercer leurs responsabilités, notamment leur pouvoir de police, lorsqu’ils sont saisis de demandes tendant à l’organisation de débats publics. Afin de mettre à leur disposition un cadre juridique plus directement accessible que les décisions de jurisprudence, il estime que les règles qui en découlent pourraient utilement être rappelées dans les règlements intérieurs des établissements.

3. Le présent avis sera rendu public.

Le président du collège de déontologie,
Jacques Arrighi de Casanova

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