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Publication hebdomadaire (ISSN : 2110-6061)

Cneser

Sanctions disciplinaires

nor : MENH2506932S

Décisions du 20-2-2025

MENESR – CNESER

Monsieur XXX

N° 1699

Mohammed Bouzar

Rapporteur

Séance publique du 23 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante : 

Le président de l’Université Côte d’Azur a engagé le 29 janvier 2021 contre Monsieur XXX, professeur des universités affecté à l’Institut de chimie de Nice, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de son établissement, compétente à l’égard des enseignants-chercheurs et des enseignants ;

Par une décision du 23 juillet 2021, la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction de révocation à l’encontre de Monsieur XXX, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 20 septembre 2021, Monsieur XXX, représenté par Maître Jérôme Lacrouts, demande au Cneser statuant en matière disciplinaire d’annuler la décision du 23 juillet 2021 de la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur ou, subsidiairement, d’y substituer une sanction moins élevée, d’enjoindre à l’Université Côte d’Azur d’afficher la décision à venir à l’intérieur de l’établissement en indiquant son identité et sa date de naissance et de mettre à la charge de l’Université Côte d’Azur la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Monsieur XXX soutient que :

  • la participation des deux rapporteurs aux débats et au vote de la formation de jugement de la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur a méconnu les stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
  • les droits de la défense ont été méconnus lors de la procédure disciplinaire en ce qu’il n’a pas été informé suffisamment tôt de la date des faits qui lui sont reprochés ; en ce que l’université a, en méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, fait application des dispositions réglementaires du Code de l’éducation restreignant à une seule personne le défenseur de son choix ; en ce qu’il n’a jamais obtenu la communication de certaines pièces sollicitées par un courrier du 10 mars 2021 ; et en ce que les poursuites exercées contre lui étaient inintelligibles et imprécises ;
  • les droits de la défense ont également été méconnus lors de l’enquête administrative ayant précédé l’engagement de la procédure disciplinaire ;
  • le grief relatif aux faits de nature financière qui lui sont reprochés est infondé, toutes les dépenses, à l’exception de celles afférentes à l’achat de trois caleçons homme et un lot de bermudas de nuit, présentant un caractère professionnel ;
  • les autres griefs relatifs aux propos de nature sexiste et sexuelle, aux faits de harcèlement moral et sexuel, aux violences sexistes et sexuelles et atteintes à la dignité et à la probité, aux propos discriminatoires, à la tentative d’obstacle à un recrutement et à l’atteinte à la considération et à la réputation du service public de l’enseignement supérieur et à celle de l’Université Côte d’Azur, sont prescrits, reposent pour partie sur des messages échangés sur une messagerie privée, ou sont infondés ;
  • la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée.

Par un mémoire en défense du 5 juin 2024, le président de l’Université Côte d’Azur, représenté par Maître Marjorie Abbal, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 7 000 euros soit mise à la charge de Monsieur XXX au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Le président de l’Université Côte d’Azur fait valoir que les moyens invoqués par Monsieur XXX ne sont pas fondés ;

Par un mémoire complémentaire daté du 30 septembre 2024, Monsieur XXX conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

La commission d’instruction s’est tenue le 17 octobre 2024. Monsieur XXX et Maître Jérôme Lacrouts, son conseil, d’une part, Maître Marjorie Abbal et Véronique Van De Bor, vice-présidente politique sociale, égalité, diversité de l’établissement, représentant le président de l’Université Côte d’Azur, d’autre part, étaient présents. Madame AAA et Madame BBB ont été entendues en qualité de témoins ;

Par lettres recommandées du 17 décembre 2024, Monsieur XXX, Maître Jérôme Lacrouts, son conseil, ainsi que le président de l’Université Côte d’Azur, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 23 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Mohammed Bouzar, rapporteur, ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant assisté de Maître Jérôme Lacrouts, avocat ;

Le président de l’Université Côte d’Azur étant représenté par Marjorie Abbal, avocate ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ;
  • la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
  • le Code général de la fonction publique ; 
  • le Code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Mohammed Bouzar, rapporteur ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Mohammed Bouzar, rapporteur, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit :

  1. Monsieur XXX, professeur des universités en chimie théorique, physique et analytique, exerçait au sein de l’institut de chimie de Nice (ICN) de l’Université Côte d’Azur, dans l’équipe de recherche E1, dédiée aux arômes, parfums, synthèse, modélisation. Par une décision du 1er septembre 2020, le président de l’Université Côte d’Azur a suspendu Monsieur XXX de toutes ses fonctions d’enseignement et de recherche incluant ses fonctions d’encadrement à l’université, à compter du même jour, pour des faits pouvant s’apparenter à du harcèlement sexuel, du harcèlement moral et des viols sous emprise, après que les 22 et 23 juillet 2020, une ancienne doctorante et une post-doctorante ont saisi la cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de l’université pour signaler le comportement de Monsieur XXX à leur égard. Puis, par une décision du 23 juillet 2021 adoptée à l’unanimité, la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur a prononcé à l’égard de Monsieur XXX la sanction de la révocation, sanction immédiatement exécutoire dès sa notification, nonobstant appel. Monsieur XXX relève appel de cette décision du 23 juillet 2021 dont il demande à titre principal l’annulation ;
    Sur la régularité de la décision du 23 juillet 2021 de la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur :
  2. En premier lieu, aux termes de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (…) » ;
  3. Monsieur XXX soutient que la participation de deux rapporteurs aux débats et au vote de la formation de jugement de la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur a méconnu les stipulations précitées. Or les fonctions dévolues aux commissions d’instruction des sections disciplinaires des établissements n'empêchent pas leurs membres de participer au délibéré de la formation de jugement dans le respect de l'exigence d'un tribunal impartial prévue par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
  4. Par ailleurs, si Monsieur XXX reproche à la rapporteure de la commission d’instruction d’avoir, le 16 mars 2021, exprimé son opinion personnelle lors de l’audition d’un étudiant en thèse sous sa direction, cette branche du moyen manque en fait, la rapporteure s’étant bornée à remarquer l’absence de réflexion de cet étudiant sur le sujet de la déontologie universitaire et n’ayant aucunement exprimé d’opinion personnelle sur le bien-fondé des faits reprochés à Monsieur XXX. Ce dernier reproche également à cette même rapporteure d’avoir lors de la réunion de la formation de jugement du 7 juillet 2021, critiqué avec virulence et lors d’un vif échange, selon l’appelant, le choix de défense de son avocat, lequel exposait que les deux plaignantes avaient été inévitablement consentantes. Or cette branche du moyen manque également en fait. Dès lors, Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que le principe d’impartialité a été méconnu ;
  5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 1er février 2021, la présidente de la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur a informé Monsieur XXX de la procédure disciplinaire engagée à son encontre et y a joint le courrier du 29 janvier 2021 par lequel le président de l’université avait décidé d’engager des poursuites à son encontre devant la section disciplinaire, ainsi qu’une clé USB comprenant les pièces du dossier. Ce courrier du 29 janvier 2021 mentionnait précisément qu’il était reproché à Monsieur XXX plusieurs comportements professionnels inadaptés de 2012 à 2020. Dès lors, Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que ses droits de la défense ont été méconnus au motif allégué qu’il aurait été informé tardivement de la datation des faits reprochés ;
  6. En troisième lieu, d’une part, aux termes du troisième alinéa de l’article 19 alors en vigueur de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit (…) à l'assistance de défenseurs de son choix ». En vertu de l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation, un décret en Conseil d'Etat précise le fonctionnement de la section disciplinaire. Aux termes de l’article R. 712-33 du Code de l’éducation, dans sa rédaction alors applicable : « La commission d'instruction instruit l'affaire par tous les moyens qu'elle juge propres à l'éclairer. Elle doit convoquer l'intéressé, qui peut se faire accompagner de son défenseur, afin d'entendre ses observations. (…) ». Aux termes de l’article R. 712-35 du même code dans sa rédaction alors applicable : « Le président de la section disciplinaire convoque chacune des personnes déférées devant la formation de jugement (…) / La convocation mentionne le droit pour les intéressés de présenter leur défense oralement, par écrit et par le conseil de leur choix ». Enfin, aux termes de l’article R. 712-37 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : « Au jour fixé pour la séance de jugement, le rapporteur (…) donne lecture du rapport. L'intéressé et, s'il en fait la demande, son conseil sont ensuite entendus dans leurs observations » ;
  7. Les dispositions précitées des articles R. 712-33, R. 712-35 et R. 712-37 du Code de l’éducation ont été prises pour l’application de l’article L. 712-6-2 du même code. Ainsi, Monsieur XXX ne peut utilement soutenir que la commission d’instruction aurait dû ne pas appliquer ces dispositions règlementaires au motif que, en ce qu’elles semblent interdire à la personne d’être assistée de plusieurs défenseurs, elles seraient contraires à celles précitées du troisième alinéa à l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que celles-ci ne sont pas applicables aux procédures disciplinaires engagées devant les sections disciplinaires des établissements, compétentes à l’égard des enseignants-chercheurs et des enseignants ;
  8. En quatrième lieu, Monsieur XXX soutient que son avocat a vainement sollicité la communication de certaines pièces par un courrier du 10 mars 2021, y compris les témoignages portés en pièce I.4.2. Or, l’Université Côte d’Azur établit que ces pièces ont été transmises au conseil de Monsieur XXX par un courriel du 11 juin 2021. Au surplus, il ressort de ce courriel que l’intéressé avait déjà obtenu l’intégralité du dossier disciplinaire ;
  9. En cinquième lieu, Monsieur XXX soutient que les poursuites exercées à son encontre sont inintelligibles et imprécises. Ce moyen manque en fait. Contrairement à ce que soutient l’appelant, dès le courrier du 1er février 2021, la présidente de la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur l’a informé précisément des comportements professionnels inadaptés qui lui étaient reprochés, en les détaillant. Ce même courrier comportait une clé USB comprenant les pièces du dossier ainsi qu’un courrier du 29 janvier 2021 qui comportait une annexe relative à la « Liste détaillée des pièces justificatives – (759 documents au total) », cette liste indiquant plusieurs noms dont ceux des deux plaignantes. Par ailleurs, l’appelant ne saurait sérieusement soutenir qu’il n’a pas été en mesure de se défendre utilement au motif allégué que certains faits reprochés consistent en des manquements à des obligations qui n’étaient pas encore définies par le législateur en 2012, telles que celle de respecter la dignité d’autrui, prévue à l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983. Enfin, si l’appelant soutient que l’entrave au bon fonctionnement du service ne serait pas caractérisée, cette critique se rapporte non pas à la régularité de la procédure suivie mais au bien-fondé de la sanction attaquée ;
  10. Il résulte de ce qui précède que Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que ses droits à la défense ont été méconnus par la procédure disciplinaire suivie devant la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur ;
  11. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que, après que les 22 et 23 juillet 2020, une ancienne doctorante et une post-doctorante de Monsieur XXX ont saisi la cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de l’université pour signaler le comportement de l’intéressé à leur égard, le président de l’université, après avoir prononcé le 1er septembre 2020 la suspension de Monsieur XXX de ses fonctions, a dans un premier temps mandaté le 2 octobre 2020 une commission d’enquête administrative, laquelle a rendu un rapport le 17 décembre 2020 au vu duquel le président de l’université a décidé d’engager une procédure disciplinaire en saisissant, par un courrier du 29 janvier 2021, la section disciplinaire de l’établissement. Monsieur XXX soutient que le contenu du rapport du 17 décembre 2020 de la commission d’enquête administrative comportait de nombreux champs masqués relatifs à certaines pièces et informations ou à certaines personnes, qu’il n’a pas obtenu la communication des témoignages recueillis ou que, lors de son audition le 18 novembre 2020, il n’a pas été entendu en dernier. Il ressort cependant des pièces du dossier que la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur, pour prononcer la sanction attaquée, s’est fondée non pas sur ce rapport du 17 décembre 2020, mais uniquement sur le rapport d’instruction du 1er avril 2021 de sa commission d’instruction et son rapport de supplément d’instruction du 18 juin 2021. En tout état de cause, Monsieur XXX n’allègue pas avoir sollicité la communication des témoignages recueillis par la commission d’enquête administrative. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense lors de l’enquête administrative ayant précédé l’engagement de la procédure disciplinaire doit être écarté ;
    Sur les faits retenus par la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur :
  12. La sanction de révocation infligée à Monsieur XXX a été prise aux motifs que l’intéressé, de 2012 à 2020, a eu plusieurs comportements professionnels jugés contraires à ses obligations professionnelles et déontologiques. Il se serait rendu coupable d’agissements sexistes, notamment auprès des membres de son équipe de recherche, de propos sexuels tenus dans un contexte professionnel et d’agissements de harcèlement moral et de harcèlement sexuel à l’égard d’étudiantes, de doctorantes, de post-doctorantes et de membres de l’équipe. Il aurait également recherché une étroite proximité avec des usagers et personnels de l’université placés sous son autorité (stagiaires, doctorantes et post-doctorantes) et aurait sollicité des actes de nature sexuelle avec ces personnes. Il aurait tenu des propos discriminatoires fondés notamment sur le sexe, dans un contexte professionnel. Il aurait tenté de faire obstacle au recrutement d’une candidate à un concours de la fonction publique, en raison du fait qu’elle avait dénoncé notamment des agissements sexistes la concernant auprès d’un supérieur hiérarchique. Il lui est enfin reproché l’usage d’une carte bancaire professionnelle à des fins personnelles ;
    En ce qui concerne la prescription alléguée d’une partie des faits reprochés à Monsieur XXX :
  13. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 19 alors applicable de la loi du 13 juillet 1983 relatives aux droits et obligations des fonctionnaires : « Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. » Monsieur XXX soutient qu’une partie des faits qui lui sont reprochés sont prescrits. Il ressort cependant des pièces du dossier que l’Université Côte d’Azur n’a eu une connaissance effective des faits qu’en 2020, après que l’ancienne doctorante et la post-doctorante de l’intéressé ont saisi les 22 et 23 juillet 2020 la cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de l’université pour signaler le comportement de Monsieur XXX à leur égard, et après la remise du rapport du 17 décembre 2020 de la commission d’enquête administrative au vu duquel le président de l’université a décidé d’engager la procédure disciplinaire. Dès lors, à la date de la décision attaquée, le 26 juillet 2021, aucun des faits retenus n’était prescrit ;
    En ce qui concerne le bien-fondé des faits reprochés à Monsieur XXX et contestés par ce dernier, et leur qualification de faute disciplinaire :
  14. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Monsieur XXX a effectué plusieurs dépenses personnelles avec la carte bancaire du laboratoire de chimie. Ainsi, sur plusieurs tickets de caisse relatifs à des achats effectués par Monsieur XXX en grande surface en juin et juillet 2020 avec cette carte bancaire, figuraient notamment les éléments suivants, pour un montant total de 245,64 euros : deux tee-shirts pour homme (38,20 euros) ; trois caleçons pour homme (15,90 euros) ; un lot de bermudas de nuit (17,99 euros) ; une brosse à dents électrique et des brossettes (108,50 euros) ; deux tubes de dentifrice (4,19 euros) ; un déodorant pour homme (7,65 euros) ; une huile de bronzage et protection solaire (10,56 euros) ; une passoire en inox (9,90 euros) ; une casserole (31,50 euros) ; un éplucheur en bois (1,25 euro). Par ailleurs, ces biens ont été achetés en même temps que de très nombreuses denrées alimentaires, pour des montants totaux allant de 200 euros à près de 400 euros ;
  15. Monsieur XXX reconnaît expressément comme dépenses personnelles celles relatives à l’achat de trois caleçons homme (15,90 euros) et un lot de bermudas de nuit (17,99 euros). Il soutient en revanche que toutes les autres dépenses sont des dépenses professionnelles, en ce qu’elles sont relatives, d’une part, à des acquisitions de produits odorants pour un projet de science participative organisé le 16 juillet 2020 sur la place Masséna à Nice, en relation avec la pandémie de covid-19 et la perte de l’odorat associée à ce virus ; d’autre part, à la fourniture de deux brosses à dents électriques et des brossettes aux membres du laboratoire de chimie, dans le cadre d’expériences scientifiques d’analyse sensorielle sur le goût et l’odorat ; enfin, à l’organisation de repas professionnels qui ont eu lieu, « en période Covid », au domicile de l’intéressé les 19 juin, 2, 3 et 15 juillet 2020. Cependant, il ne produit aucun justificatif pour appuyer ses allégations concernant l’utilisation professionnelle des achats effectués. S’il soutient également que la formation de jugement de la section disciplinaire ne l’a jamais interrogé au sujet des dépenses relatives à l’acquisition des deux brosses à dents électriques, aux deux dentifrices et à l’utilisation des tee-shirts, il reconnaît cependant que des échanges sont intervenus sur ce sujet lors de la phase d’instruction de la procédure disciplinaire. En tout état de cause, ces allégations sont sans incidence sur le bien-fondé des faits qui lui sont reprochés, qui doivent être regardés comme établis et qui constituent une faute disciplinaire. Enfin, Monsieur XXX ne saurait sérieusement invoquer le caractère modeste des dépenses d’ordre privé et le dysfonctionnement de la chaîne de contrôle comptable pour soutenir que la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée, dès lors qu’elle repose non seulement sur ces seuls faits, mais également sur d’autres faits, notamment de harcèlement moral et sexuel à l’encontre d’une ancienne doctorante ;
  16. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Monsieur XXX a été l’auteur de très nombreux messages écrits, envoyés collectivement à son équipe ou individuellement à sa doctorante de l’époque, dans lesquels il faisait des commentaires hostiles, dégradants, humiliants et offensants à l’égard des personnes de sexe féminin uniquement, tels que « Y en a quand même marre des femmes noires, homosexuelles, rousses et handicapées dans la science non ? » (message adressé à son équipe dans un groupe Whatsapp du 7 juin 2020, à 17 h 31, en réaction au post d’un blog, faisant état du retrait d’une revue de chimie allemande d’un article dénonçant les efforts de diversité dans le domaine scientifique) ou encore «“Pourquoi contredire une femme ? il est tellement plus simple d’attendre qu’elle change d’avis…” (Feydeau) » (courriel du 21 août 2013, à 14 h 12, adressé à une doctorante). Pour les raisons exposées plus haut, Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que ces faits sont prescrits. Par ailleurs, ces propos sont constitutifs d’une faute disciplinaire, indépendamment du support sur lequel ils ont été tenus (en l’espèce, un groupe de discussion Whatsapp) et le cadre dans lequel ils ont été tenus (hors du service) ;
  17. En troisième lieu, en ce qui concerne les faits de harcèlement moral et sexuel imputés à Monsieur XXX, ce dernier, pour les contester, se prévaut des réquisitions du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice, en date du 13 septembre 2024, produites dans le cadre de sa mise en examen pour des faits de viol, de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, après des dépôts de plainte d’une ancienne doctorante et d’une post-doctorante. Par ces réquisitions, le procureur a considéré qu’il n’existait pas de charges suffisantes et invité le juge d’instruction à juger qu’il n’y avait pas lieu à poursuite. Cependant, ces réquisitions, dépourvues de toute autorité de chose jugée, ne font pas obstacle à ce que le Cneser statuant en matière disciplinaire apprécie souverainement l’exactitude matérielle des faits reprochés à l’appelant et leur qualification de faute disciplinaire ;
  18. S’agissant précisément des faits de harcèlement moral, il ressort des pièces du dossier que Monsieur XXX a adressé de très nombreux courriels, à toute heure du jour et de la nuit, à l’étudiante dont il était le directeur de thèse et avec laquelle il est établi qu’il a entretenu une relation intime et personnelle pendant son doctorat. Avant le début de leur relation, il lui a ainsi adressé de nombreux messages tels que « J’vais t’ouvrir comme une truite » (courriel du 18 décembre 2012), « Félicitations. Mais continue de rester soumise » (mail du 10 juin 2013 à 10 h 11), « ça montre comment tu me parles et comment tu me considères … Pour l’exemple. Je te promets de multiples humiliations en publique [sic]. Hâte d’être en congrès … » (courriel du 18 septembre 2013, à 4 h 46) ou encore « Merci de soigner la culture. T’es ma petite chienne préférée » (mail du 21 mars 2014, à 5 h 35). Après le début de leur relation, Monsieur XXX lui a également adressé de nombreux messages tels que « reste à terre et bosse » (courriel du 8 janvier 2015, à 15 h 02) ou « Du travail. Je vais te faire bosser. Jour et nuit. T’utiliser » (courriel du 10 juillet 2015, à 10 h 24). Enfin, il lui a indiqué plus de quatorze fois qu’elle était « virée » ;
  19. Ainsi qu’exposé plus haut, Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que ces faits sont prescrits. Par ailleurs, il est constant que ces messages ont été adressés par un professeur des universités à une étudiante en doctorat placée sous sa direction et, en grande partie, antérieurement à leur relation. Par conséquent, Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que ces propos ne concernent pas l’université et s’inscrivent dans le cadre d’une relation amoureuse intime entre deux adultes consentants. Enfin, il ressort des pièces du dossier que cette étudiante, bien qu’étant parvenue à soutenir sa thèse avec succès, a dû faire appel à une cellule d’aide psychologique de l’établissement au sein duquel elle travaillait depuis la fin de sa thèse, et a été suivie par un thérapeute qui lui a diagnostiqué « un syndrome de stress post-traumatique avec perte de mémoire et déréalisation, et un syndrome de dépression majeure », dont elle a eu des manifestations physiques violentes, telles que des nausées, des vomissements et des crises de panique, en raison notamment des faits rappelés plus haut. Au regard de l’ensemble de ces éléments, Monsieur XXX doit être regardé comme ayant été l’auteur d’agissements répétés qui ont eu pour objet ou pour effet de soumettre cette étudiante à une dégradation de ses conditions de travail, ayant porté atteinte à sa dignité et altéré sa santé, et, ce faisant, comme ayant méconnu ses obligations déontologiques et commis une faute disciplinaire ;
  20. S’agissant des faits de harcèlement sexuel, il ressort des pièces du dossier que Monsieur XXX a adressé, à toute heure du jour et de la nuit, de très nombreux courriels à l’étudiante dont il était le directeur de thèse et avec laquelle il est établi qu’il a entretenu une relation intime et personnelle pendant son doctorat. Ces messages, qui s’inscrivaient souvent dans un contexte professionnel, contenaient des propos sexuels et à connotation sexuelle. Ainsi, avant le début de leur relation, l’intéressé lui a adressé des messages tels que « Avec ça, ma petite chatte, je suis vraiment important » (mail du 3 juillet 2013, à 2 h 55), « plus je te vois, plus je pense à toi » (courriel du 28 janvier 2014, à 14 h 50). Après le début de leur relation, il lui a adressé des messages tels que « J’ai besoin de me défouler. Et j’aime l’idée de le faire sur toi. Physiquement. Sexuellement » (courriel du 31 juillet 2014, à 7 h 09), ou encore « tu es brillante. c’était pour te faire mouiller ta culotte » (courriel du 14 janvier 2015, à 11 h 41). Il ressort également des pièces du dossier que Monsieur XXX a adressé des messages contenant des propos sexuels et à connotation sexuelle à une étudiante qui allait réaliser un post-doc sous sa responsabilité, alors que la relation intime et personnelle qu’ils ont entretenue n’avait pas encore commencé, tels que « Tu es ma priorité ma belle ! », « T’es en vacances ? Toute nue ? » (message écrit du 20 avril 2017). Il ressort également des pièces du dossier que Monsieur XXX a reconnu avoir dit à une stagiaire en septembre 2019 qu’il avait rêvé d’elle et lui avoir précisé qu’au cours de ce rêve, il avait eu une relation sexuelle avec elle. Enfin, Monsieur XXX a adressé plusieurs courriels à des membres de son équipe, dont l’étudiante qui effectuait un doctorat sous son autorité, contenant des propos sexuels et à connotation sexuelle, tels que le message du 22 décembre 2014 qui comportait un lien vers un article sur « les difficultés à jouir de 8 françaises sur 10 » ;
  21.  Ainsi qu’exposé plus haut, Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que ces faits sont prescrits. Par ailleurs, par ces messages, répétés et nombreux, Monsieur XXX doit être regardé comme ayant été l’auteur de faits de harcèlement sexuel de nature à porter atteinte à la dignité des personnes concernées, en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, et de nature à créer une situation intimidante pour les étudiantes destinataires de ces messages, et constituent une faute disciplinaire, peu importe que, ainsi qu’il l’allègue, il s’agirait de messages à caractère privé. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier qu’ils ont été tenus principalement dans un contexte professionnel ;
  22. En quatrième lieu, en ce qui concerne les faits reprochés d’atteinte à la dignité et à la probité, il ressort des pièces du dossier, en particulier d’une photographie prise dans un photomaton et d’un échange de courriels du 6 décembre 2013 entre Monsieur XXX et l’étudiante qui effectuait un doctorat sous sa direction, que l’intéressé, lors d’un déplacement effectué en Corée du Sud en novembre 2013, a mis son doigt dans la bouche de la jeune femme aux côtés de collaborateurs coréens. Ce geste, effectué dans un contexte professionnel lors d’une rencontre avec des chercheurs étrangers, a porté atteinte à la dignité de cette étudiante, contrairement à ce qu’il soutient. De plus, ainsi qu’exposé plus haut, il n’est pas fondé à soutenir que ces faits sont prescrits. Enfin, alors même que les faits d’agressions sexuelles ou de viols n’ont pas été regardés comme établis, les faits de harcèlement moral et sexuel qui lui sont reprochés et qui sont établis caractérisent un manquement fautif de l’intéressé à ses obligations d’exercer ses fonctions avec dignité et probité et à celle de respecter la dignité d’autrui ;
  23. En cinquième lieu, en ce qui concerne les propos discriminatoires, il ressort des pièces du dossier que Monsieur XXX a été l’auteur, le 15 février 2013, de propos écrits présentant un caractère injurieux, en ce qu’il emploie des termes méprisants à l’égard d’une étudiante, et un caractère discriminatoire, en ce que ces propos sont fondés sur le sexe de l’étudiante, voire sur son identité de genre ou sur son apparence physique, ainsi que sur son origine. Si Monsieur XXX soutient qu’il n’a jamais adressé ces propos directement à l’étudiante en question, il n’en demeure pas moins que ces derniers, même adressés aux membres de son équipe, caractérisent un manquement fautif de l’intéressé à ses obligations de tolérance et d’objectivité mentionnées à l’article L. 752-2 du Code de l’éducation, et son obligation de respect de la dignité d’autrui ;
  24. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que Monsieur XXX s’est immiscé dans un processus de recrutement, pour avoir téléphoné en août et en septembre 2020 à deux collègues, tous deux directeurs de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) alors qu’une étudiante ayant fait son doctorat sous sa direction, et qui venait de faire un signalement à son encontre auprès de l’université, était en contact avec eux dans le cadre d’un concours de recrutement d’un chargé de recherche sur projet, ce que savait l’intéressé. De l’aveu même de l’un de ces deux directeurs de recherche, l’appel de Monsieur XXX a eu pour objet de l’informer du signalement effectué par cette étudiante à son encontre concernant les faits de violences sexistes et sexuelles dont elle s’estimait victime, et de lui indiquer que ce signalement avait pour but de lui nuire. Il ressort également des pièces du dossier que cet échange téléphonique a précisément eu lieu le 27 août 2020, le jour où Monsieur XXX a été reçu par la gouvernance de l’établissement pour évoquer le signalement de cette étudiante et qu’à la suite de cet échange téléphonique, Monsieur XXX a alors écrit à cette étudiante pour l’informer qu’il avait eu l’un des directeurs de recherche de l’Inrae au téléphone et qu’elle n’était « plus obligée d’appeler ». Si Monsieur XXX soutient que ce directeur de recherche a certifié n’avoir jamais intercédé de quelque façon que ce soit dans le processus de recrutement et que la décision de recrutement, de plus, est prise de manière collégiale, il n’en demeure pas moins qu’il est établi que l’intéressé a cherché à agir en défaveur de cette étudiante dans le cadre d’un processus de recrutement, alors même qu’elle avait effectué son doctorat sous sa direction. Cette démarche caractérise un autre manquement fautif de Monsieur XXX à ses obligations déontologiques ;
  25. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que, selon un message adressé le 6 octobre 2020 par le directeur des études de l’École nationale supérieure de chimie de Paris (ENSCP) à l’Institut de chimie de Nice, et selon des déclarations écrites de la responsable de la vie étudiante de cette école du 15 décembre 2020, au moins deux étudiantes ayant réalisé un stage auprès de Monsieur XXX, maître de stage, en 2019 et 2020, les ont alertés sur des « difficultés » qu’elles avaient rencontrées à cette occasion. La responsable de la vie étudiante de l’ENSCP a notamment évoqué « de nombreux messages téléphoniques inappropriés de la part du maître de stage » reçus par l’une de ces étudiantes, ainsi que la nécessité d’un suivi psychologique. Si Monsieur XXX met en avant la gratitude exprimée par ces stagiaires à l’issue de leur stage, il n’apporte cependant aucun élément de nature à remettre en cause le bien-fondé des faits qui lui sont reprochés, lesquels sont de nature à porter atteinte à la considération et à la réputation du service public de l’enseignement supérieur, ainsi qu’à celles de l’Université Côte d’Azur, et à caractériser également une faute disciplinaire ;
    En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction infligée à Monsieur XXX :
  26.  Aux termes de l’article L. 952-8 du Code de l’éducation : « Sous réserve des dispositions prises en application de l'article L. 952-23, les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation » ;
  27. Il résulte de ce qui précède que les faits établis, nombreux, sont particulièrement graves et incompatibles avec les obligations professionnelles et déontologiques auxquelles Monsieur XXX, en tant que professeur des universités, était soumis. De plus, Monsieur XXX, qui a principalement argué qu’il était victime de la jalousie de son ancienne étudiante et de son ancienne post-doctorante, ne paraît pas avoir pris la mesure de ses manquements professionnels. À supposer même que, comme il l’a soutenu, les jeunes femmes concernées auraient été à l’origine de propositions visant à obtenir un rapprochement personnel et intime avec lui, il aurait, en tout état de cause, été de son devoir, en sa qualité de professeur, d’imposer la distance requise entre un enseignant et un étudiant ;
  28. Dès lors, la sanction de la révocation décidée par la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur n’apparaît pas disproportionnée au regard des fautes commises et rappelées plus haut ;
  29. Il résulte de tout ce qui précède que Monsieur XXX n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par la décision attaquée, la section disciplinaire du conseil académique de l’université Côté d’Azur a prononcé à son encontre la sanction de la révocation. Par suite, sa requête d’appel doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;
  30. Enfin, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l’université Côté d’Azur tendant à l’application du même article ;

 

Décide

 

Article 1 – La décision rendue le 23 juillet 2021 par la section disciplinaire du conseil académique de l’Université Côte d’Azur qui a prononcé la sanction de révocation à l’encontre de Monsieur XXX est confirmée.

 

Article 2 – La demande de condamnation de l’Université Côte d’Azur à verser à Monsieur XXX une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ainsi que la demande de condamnation de Monsieur XXX à verser à l’Université Côte d’Azur la somme de 7 000 euros sur le même fondement sont rejetées.

 

Article 3 – Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’Université Côte d’Azur, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, à la rectrice de l’académie de Nice.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 23 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Marguerite Zani, Véronique Benzaken, Lilian Aveneau, Pascale Gonod, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025, 

 

Le président,
Christophe Devys

La vice-présidente,
Marguerite Zani

Le greffier en chef,
Éric Mourou

 

 

Monsieur XXX

N° 1705

Gaël Raimbault

Rapporteur

Séance publique du 29 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante 

Le président de l’université de Bretagne Occidentale (UBO) a engagé, le 18 mai 2021, contre Monsieur XXX, maître de conférences affecté à la faculté de droit à l’université de Bretagne Occidentale, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire compétente à l’égard des enseignants-chercheurs de son établissement ;

Par une décision du 16 décembre 2021, la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de l’établissement pour une durée de trois mois avec privation de la moitié du traitement, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 6 janvier 2022 et un mémoire complémentaire daté du 4 avril 2022, Monsieur XXX demande au Cneser statuant en matière disciplinaire :

  • d’annuler la décision ;
  • d’enjoindre à l’UBO de rétablir son traitement plein pour les mois de janvier à mars 2022, sous astreinte de 100 euros par jour de retard (article L. 911-3 du Code de justice administrative) passé un délai d’une semaine à compter de la notification de la décision juridictionnelle de Cneser statuant en matière disciplinaire ;
  • d’enjoindre à l’UBO de retirer la sanction qui lui a été infligée par la décision du 16 décembre 2021 de son dossier administratif sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d’une semaine à compter de la notification de la décision juridictionnelle du Cneser statuant en matière disciplinaire ;
  • de condamner l’UBO à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Monsieur XXX soutient que :

  • la procédure devant la section disciplinaire a méconnu l’article R. 712-35 du Code de l’éducation dès lors qu’il a reçu la convocation à la séance de jugement le jour même de sa tenue ;
  • la composition de la section disciplinaire était irrégulière au regard de l’article R. 712-13 du Code de l’éducation ;
  • la section disciplinaire s’est bornée à constater son absence durant la séance, sans vérifier que cela ne faisait pas obstacle à ce qu’elle décide régulièrement ;
  • elle n’a pas motivé l’exécution provisoire de la décision ;
  • le dossier de poursuite ne lui a pas été communiqué, alors même qu’il en avait fait la demande ; il convient d’écarter l’application de l’article R. 712-31 du Code de l’éducation, en tant qu’il méconnaît le principe de la procédure inquisitoire ; l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l'administration a été méconnu ;
  • les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions administratives ont été méconnus ;
  • les faits qui fondent la décision attaquée ne sont pas établis et, en tout état de cause, ne sont pas fautifs ;
  • en tout état de cause, la sanction est disproportionnée ;

Par un mémoire distinct daté du 10 mai 2024, Monsieur XXX présente à la juridiction une question prioritaire de constitutionnalité et demande qu’il soit sursis à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel ;

Monsieur XXX soutient que les dispositions suivantes méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution :

  • les dispositions de l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation en ce qu’il ne prévoit pas que les sections disciplinaires des conseils académiques des universités, juridictions disciplinaires des enseignants-chercheurs, sont présidées par un magistrat administratif et dispose, au contraire, que son président et ses membres sont élus par une émanation de l’université et donc de l’instance chargée des poursuites disciplinaires ;
  • les dispositions des articles R. 712-13 et R. 712-15 du même code, en ce qu’ils fixent la composition des conseils académiques, qui méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;

Par un mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 4 octobre 2024, le président de l’université de Bretagne Occidentale demande au Cneser statuant en matière disciplinaire le rejet de la requête d’appel de Monsieur XXX et sa condamnation à verser à l’établissement la somme de 2 000 euros en application de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale soutient que les moyens soulevés par Monsieur XXX ne sont pas fondés ;

Par deux mémoires complémentaires en réplique datés du 6 janvier 2025, Monsieur XXX reprend ses conclusions par les mêmes moyens ;

Par un second mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 22 janvier 2025, le président de l’université de Bretagne Occidentale réitère également ses précédentes observations ;

Par un nouveau mémoire en réplique daté du 24 janvier 2025, Monsieur XXX réitère à nouveau ses observations ;

La commission d’instruction s’est tenue le 6 novembre 2024 ;

Par lettres recommandées du 26 décembre 2024, Monsieur XXX, ainsi que le président de l’université de Bretagne Occidentale, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 29 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Gaël Raimbault ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant présent ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale étant représenté par Maître François Marani, avocat ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • la Constitution ;
  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ; 
  • le Code général de la fonction publique ;
  • le Code de justice administrative ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Gaël Raimbault, rapporteur ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Gaël Raimbault, rapporteur, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit 

  1. Monsieur XXX est maître de conférences en droit public, affecté à l’université de Bretagne Occidentale. Il a fait l’objet de poursuites devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université au motif que, le 2 avril 2021, il aurait été à l’origine d’une altercation avec un étudiant. Par une décision du 16 décembre 2021, dont il interjette appel, il s’est vu infliger la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de l’UBO pour une durée de trois mois, avec privation de la moitié du traitement. Le 13 avril 2022, le Cneser statuant en formation disciplinaire a suspendu l’exécution de cette décision ;
    Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
  2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le Cneser statuant en matière disciplinaire saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État (…) » ;
  3. Le requérant soutient que, d’une part, l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation en ce qu’il ne prévoit pas que les sections disciplinaires des conseils académiques des universités, juridictions disciplinaires des enseignants-chercheurs, sont présidées par un magistrat administratif et dispose que son président comme ses membres sont élus par une émanation de l’université et donc de l’instance chargée des poursuites disciplinaires, et, d’autre part, les articles R. 712-13 et R. 712-15 du même code, en ce qu’ils fixent la composition de ces conseils académiques, méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, constitutionnellement garantis ;
  4. D’une part, aux termes de l’article L. 712-6 du Code de l’éducation : « Le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article L. 12-5 et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6. / Sont constituées en son sein la section disciplinaire mentionnée à l'article L. 712-6-2 et la section compétente pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs ». Aux termes de l’article L. 712-6-2 du même code : « Le pouvoir disciplinaire à l'égard des enseignants-chercheurs et enseignants est exercé en premier ressort par le conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire. / Le président de la section disciplinaire est un professeur des universités ; il est élu en leur sein par l'ensemble des enseignants-chercheurs membres de la section. / La récusation d'un membre d'une section disciplinaire peut être prononcée s'il existe une raison objective de mettre en doute son impartialité. L'examen des poursuites peut être attribué à la section disciplinaire d'un autre établissement s'il existe une raison objective de mettre en doute l'impartialité de la section. La demande de récusation ou de renvoi à une autre section disciplinaire peut être formée par la personne poursuivie, par le président ou le directeur de l'établissement, par le recteur de région académique ou par le médiateur académique » ;
  5. D’autre part, aux termes de l’article L. 952-2 du même code : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité. / Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs » ;
  6. Enfin, aux termes de l’article R. 712-29 du même code : « Les poursuites sont engagées devant la section disciplinaire compétente : / 1° Par le président de l'université dans les cas prévus à l'article R. 712-11. / En cas de défaillance, le recteur de région académique, chancelier des universités, engage la procédure, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification d'une demande expresse à l'autorité compétente à cette fin ; / 2° Par le ministre chargé de l'enseignement supérieur lorsque les poursuites sont engagées à l'encontre du président de l'université » ;
  7. Les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui résultent de l’article 16 de la Déclaration de 1789, sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Le principe d’indépendance impose que toute personne appelée à siéger dans une juridiction se prononce en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit. Le principe d’impartialité des juridictions s’oppose notamment à ce que soient conférés à une même autorité le pouvoir de poursuivre et celui de juger. Toutefois ces principes n’imposent pas que de telles fonctions soient nécessairement confiées à un magistrat professionnel ni qu’une formation collégiale de jugement soit nécessairement présidée par un magistrat professionnel dès lors que ses membres disposent effectivement des garanties d’indépendance et d’impartialité ainsi définies ;
  8. Eu égard à l’indépendance dont jouissent les enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, rappelée par l’article L. 952-2 du Code de l’éducation et, en tout état de cause, constitutionnellement protégée, ils ne sauraient être regardés comme étant placés ni sous la subordination hiérarchique ni même sous l’influence du président de l’université, lorsqu’ils sont membres du conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire, alors, au surplus, que leur nomination dans cette instance procède d’une élection. Par ailleurs, les poursuites disciplinaires sont exercées par le président de l’université, en sa qualité propre d’autorité exécutive, et ne saurait donc engager l’ensemble de l’université et de ses membres. Enfin, l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation organise une procédure de récusation d'un membre d'une section disciplinaire voire de l’ensemble de la section disciplinaire de l’établissement « s'il existe une raison objective de mettre en doute l'impartialité » de ce membre ou de cette section. Ainsi, les dispositions de l’article L. 712-6-2, en ce qu’elles définissent les principes de la composition des sections disciplinaires des conseils académiques, ne méconnaissent pas les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;
  9. Par ailleurs, les dispositions réglementaires des articles R. 712-13 et R. 712-15 du Code de l’éducation ne sauraient, en tout état de cause, faire l’objet, en tant que telles, d’une question prioritaire de constitutionnalité ;
  10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 712-6-2, R. 712-13 et R. 712-15 du Code de l’éducation portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est dépourvue de caractère sérieux, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ;
    Sur la régularité de la décision de première instance :
  11. Aux termes de l’article R. 712-35 du Code de l’éducation : « Le président de la section disciplinaire convoque chacune des personnes déférées devant la formation de jugement, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quinze jours au moins avant la date de la séance. » Il résulte de ces dispositions que la lettre recommandée convoquant le mis en cause doit lui parvenir ou, s'il est absent, lui être présentée au moins quinze jours avant la date de la séance ; 
  12. Il est constant que la convocation à la séance de la section disciplinaire du 16 décembre 2021 a été retirée par Monsieur XXX le jour même de cette séance. La garantie prévue par les dispositions précitées a dès lors été méconnue, de sorte que la décision litigieuse est entachée d’irrégularité. Par suite, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens tirés de son irrégularité, il y a lieu d’annuler la sanction du 16 décembre 2021 et de statuer par la voie de l’évocation ;
    Sur le fond :
  13. En premier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment de deux vidéos ainsi que des témoignages circonstanciés et concordants de plusieurs étudiants et de deux agents administratifs de l’université, que, le 2 avril 2021, durant un cours de projet professionnel assuré par Monsieur XXX, un étudiant a cherché à quitter la salle, sous le coup d’un énervement qu’il a imputé à des propos tenus par l’enseignant. Ce dernier a tenté de retenir l’étudiant dans la salle, d’abord en se plaçant en travers de la porte, puis en saisissant son sac et en tentant de le lui arracher des mains. Les deux agents administratifs précités, attirés par le bruit créé par cette altercation, se sont rendus sur place, ont recueilli le témoignage de plusieurs étudiants, et ont accompagné l’étudiant à l’origine des faits dans leur bureau. Monsieur XXX les a poursuivis et a tenté de s’adresser à l’étudiant à travers la cloison du bureau, de manière si véhémente que les agents administratifs ont estimé nécessaire de masquer la vitre de la porte de leur bureau et de sortir du bâtiment par une fenêtre pour aller chercher un agent de sécurité ;
  14. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 121-1 du Code général de la fonction publique : « L'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » ;
  15. Par son comportement lors de l’incident survenu le 2 avril 2021, Monsieur XXX a méconnu le devoir de dignité qui s’attache à ses fonctions, notamment en cherchant à retenir physiquement un étudiant, quelles que soient les fautes propres commises par ce dernier, puis en s’emportant pendant plusieurs minutes au point d’effrayer des étudiants et des membres du personnel de l’université. Il a ainsi commis une faute, ainsi qu’il l’a d’ailleurs reconnu durant l’instruction et devant les membres de la formation de jugement ;
  16. En troisième lieu, l’article L. 952-8 du Code de l’éducation dispose que : « les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation. » ;
  17. En tenant compte, d’une part, de la gravité de la faute commise, et notamment de la tentative de retenir physiquement un étudiant, et d’autre part de la reconnaissance par Monsieur XXX de la faute commise et du caractère isolé de tels faits, il y a lieu d’infliger à l’intéressé la sanction de retard à l’avancement d’échelon pour une durée de deux ans ;
    Sur les conclusions à fin d’injonction :
  18. En premier lieu, l’annulation de la sanction infligée par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale implique qu’il soit enjoint à cette université de retirer la décision du dossier personnel de Monsieur XXX, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision. En revanche il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
  19. En second lieu, si l’annulation d’une mesure d’éviction implique la reconstitution de la carrière de l’agent illégalement évincé, elle ne lui donne en revanche pas droit, en l’absence de service fait, au versement des traitements dont il a été privé. Les conclusions tendant au versement d’un rappel de traitement doivent dès lors être rejetées et il appartient à Monsieur XXX, s’il s’y croit fondé, de demander à l’université de Bretagne Occidentale de l’indemniser des préjudices subis du fait de la sanction annulée. En revanche, il y a lieu d’enjoindre à l’université de Bretagne Occidentale de reconstituer la carrière de Monsieur XXX, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ;
    Sur les frais de l’instance :
  20. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge de Monsieur XXX ou de l’université de Bretagne Occidentale au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

 

Décide

 

Article 1 – Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’État les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Monsieur XXX.

 

Article 2 – La décision rendue le 16 décembre 2021 par la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs, qui a prononcé la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de l’établissement pour une durée de trois mois avec privation de la moitié du traitement à l’encontre de Monsieur XXX, est annulée.

 

Article 3 – Monsieur XXX est sanctionné d’un retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans.

 

Article 4 – Il est enjoint à l’université de Bretagne Occidentale de reconstituer la carrière de Monsieur XXX et de retirer de son dossier personnel la sanction infligée en première instance, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

 

Article 5 Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

 

Article 6 Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’université de Bretagne Occidentale, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, au recteur de l’académie de Rennes.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 29 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Frédérique Roux, Lilian Aveneau, Marguerite Zani, Jean-Luc Hanus, Julie Dalaison, Véronique Reynier, Fabrice Guilbaud, Anna Pappa Delbano, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025,

 

Le président,
Christophe Devys

La vice-présidente,
Frédérique Roux

Le greffier en chef,
Éric Mourou

 

 

 

Monsieur XXX

N° 1711

Véronique Reynier

Rapporteure

Séance publique du 16 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante 

Le président de l’université Sorbonne Nouvelle a engagé le 20 avril 2021, contre 

Monsieur XXX, maître de conférences affecté au département langues étrangères appliquées (LEA) de l’université Sorbonne Nouvelle, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université compétente à l’égard des enseignants-chercheurs de son établissement ;

Par une décision du 25 octobre 2021, la section disciplinaire du conseil académique de l’université Sorbonne Nouvelle compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction de blâme à l’encontre de Monsieur XXX, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 27 décembre 2021, Monsieur XXX, représenté par Maître Nicolas Defieux demande au Cneser statuant en matière disciplinaire d’annuler la décision du 25 octobre 2021 de la section disciplinaire du conseil académique de l’université Sorbonne Nouvelle, et de mettre à la charge de l’université Sorbonne Nouvelle la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Monsieur XXX soutient que la décision attaquée est insuffisamment motivée en ce qu’aucun des griefs qui lui sont reprochés n’est sérieusement étayé ; qu’elle est entachée d’une erreur de qualification juridique des faits ; que la section disciplinaire n’a retenu aucun des griefs qui avaient motivé la décision de suspension du 20 avril 2021 et a substitué de nouveaux griefs qui n’avaient pas été débattus et qui ne sont pas établis ; qu’aucun élément ne permet d’établir un comportement inapproprié de sa part vis-à-vis de certaines étudiantes ; que le grief tiré de ce qu’il aurait utilisé un logiciel permettant d’obtenir des statistiques de participation de ses étudiants à ses enseignements n’a pas été porté à sa connaissance au cours de la procédure disciplinaire et est infondé ; qu’il en est de même du grief tiré de ce qu’il aurait fourni des autorisations dérogatoires de déplacement aux étudiants se rendant aux cours d’équitation, ainsi que du grief tiré de ce qu’il aurait méconnu ses obligations de probité pour n’avoir pas su identifier le rôle des instances de l’université ;

Par un mémoire en défense du 24 juillet 2024 et des observations complémentaires du 27 novembre 2024, le président de l’université Sorbonne Nouvelle conclut au rejet de la requête d’appel de Monsieur XXX ;

Par un mémoire en réplique du 10 janvier 2025, Monsieur XXX reprend les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ; il demande, en outre, que lui soit versée une somme de 20 000 euros de dommages et intérêt au titre de son préjudice moral ;

La commission d’instruction s’est tenue le 20 novembre 2024 ;

Par lettres recommandées du 17 décembre 2024, Monsieur XXX, Maître Nicolas Defieux, son conseil, ainsi que le président de l’université Sorbonne Nouvelle, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 16 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Véronique Reynier ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant assisté de Maître Nicolas Defieux, avocat :

Le président de l’université Sorbonne Nouvelle étant représenté par Cherine Belkhiter, chargée des affaires juridiques ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ;
  • le Code général de la fonction publique ;
  • le Code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Véronique Reynier, rapporteure ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Véronique Reynier, rapporteure, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit 

  1. Monsieur XXX, maître de conférences en 14e section (langues et littératures romanes), a intégré en 2015 le département LEA de l’université Sorbonne Nouvelle. Malgré son souhait, il n’a jamais pu intégrer le Centre de recherche sur les pays lusophones (Crepal), ce dernier refusant de l’intégrer dans son équipe au motif que ses thématiques de recherche ne sont pas en adéquation avec celles du laboratoire. N’ayant pas de laboratoire de rattachement, il a développé, au sein de ce département et avec l’accord de sa directrice de recherche, des activités de recherche et d’enseignement en équinologie, dans le cadre des unités d’enseignement libre proposées par le Bureau des enseignements transversaux. Pour permettre ces activités, il a créé un Institut du cheval et de l’équitation portugaise, qu’il préside, et une entreprise, AAA, conçue selon lui comme un outil pédagogique et de recherche, bénéficiant d’un financement ANR et dont la création a été soutenue par les autorités du département LEA. Au sein de l’Institut du cheval et de l’équitation portugaise, il organisait une formation au brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS) ;
  2. À la suite d’un signalement de la mère d’une étudiante en BPJEPS, Madame N., Monsieur XXX a fait l’objet d’une suspension le 20 avril 2021. Il lui était fait grief d’avoir failli à ses obligations de probité, d’intégrité et de dignité pour avoir utilisé la renommée de l’université Sorbonne Nouvelle pour promouvoir ses activités lucratives personnelles ; pour avoir fourvoyé toute personne pensant suivre une formation dispensée par un organisme partenaire de l’université Sorbonne Nouvelle ; pour avoir adopté un comportement inapproprié à l’égard de Madame N. Par décision du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête formée par Monsieur XXX contre cette décision de suspension ;
  3. Par décision du 29 octobre 2021, la section disciplinaire du conseil académique de l’université Sorbonne Nouvelle compétente à l’égard des enseignants-chercheurs et enseignants a infligé un blâme à Monsieur XXX aux motifs qu’il aurait adopté un comportement inapproprié envers plusieurs étudiantes de l’université ; qu’il aurait utilisé un logiciel permettant d’obtenir des statistiques de participation des étudiants à ses enseignements « contrevenant ainsi aux règles de fonctionnement de l’université » ; qu’il aurait fourni des autorisation dérogatoires de déplacement au titre des formations de l’université Sorbonne Nouvelle aux étudiants se rendant aux cours d’équitation qu’il organisait alors même que ces cours ne faisaient pas partie du cursus délivré dans le cadre de l’université ; qu’il aurait méconnu à ses obligations de probité dans l’exercice de ses fonctions, n’ayant pas su identifier le rôle des différentes instances de l’université. Monsieur XXX fait régulièrement appel de cette décision ;
    Sur le bien-fondé de la décision du 29 octobre 2021 de la section disciplinaire du conseil académique de l’université Sorbonne Nouvelle :
  4. Comme le soutient Monsieur XXX, aucun des griefs qui fondent cette décision ne pouvait être retenu. En premier lieu, si Monsieur XXX a pu utiliser à l’encontre de certaines étudiantes un ton parfois cassant, traitant en particulier l’une de ces dernières de « malpolie, hautaine et arrogante », l’université ne produit aucun élément permettant de considérer que, par le ton employé, la brutalité des messages et le caractère concordant des témoignages, le comportement de Monsieur XXX serait constitutif d’une faute disciplinaire. En deuxième lieu, l’université ne démontre pas que l’utilisation d’un logiciel permettant d’obtenir des statistiques de participation des étudiants à ses enseignements serait interdite au sein de cet établissement. En troisième lieu, à supposer que le fait de fournir des autorisations dérogatoires de déplacement au titre de formations de l’université Sorbonne Nouvelle ait constitué, en l’espèce, une faute disciplinaire, l’université n’apporte aucun élément permettant de prouver que les attestations ont été fournies aux étudiants qui suivaient la formation BPJEPS, dispensée en effet hors de l’université, et non le cours d’arts équestres, dispensé au sein de l’université. Enfin, s’il paraît avéré que Monsieur XXX a utilisé le logo de l’université Sorbonne Nouvelle sur la présentation de l’Institut du cheval et de l’équitation portugaise, il n’est pas exclu que, compte tenu des liens d’interdépendance et de la complexité des relations entre la société AAA et l’université, il l’ait fait de bonne foi. En tout état de cause, cet élément isolé ne peut être regardé comme constitutif d’une faute disciplinaire ;
  5. Dès lors, la décision rendue le 25 octobre 2021 par la section disciplinaire du conseil académique de l’université Sorbonne Nouvelle compétente à l’égard des enseignants-chercheurs qui a prononcé la sanction de blâme à l’encontre de Monsieur XXX ne peut qu’être annulée ;
  6. L’affaire étant en l’état, il y a lieu, pour le Cneser statuant en matière disciplinaire, d’évoquer l’affaire et, par là, de statuer immédiatement, en qualité de juge de première instance, sur les faits dont le président de l’université Sorbonne Nouvelle a saisi, les 20 avril et 11 mai 2021, la section disciplinaire du conseil académique de cet établissement ;
    Sur les griefs reprochés à Monsieur XXX :
  7. Au-delà des quatre griefs écartés au paragraphe 4, le président de l’université Sorbonne Nouvelle invoquait un grief supplémentaire tiré du comportement inapproprié de Monsieur XXX vis-à-vis de Madame N., qui avait conclu avec l’Institut du cheval et de l’équitation portugaise une convention de trois ans pour préparer le BPJEPS et dont Monsieur XXX avait interrompu la formation au bout de six mois. Néanmoins, aussi désagréables qu’aient pu être les propos de Monsieur XXX pour justifier auprès de cette jeune femme et de ses parents l’arrêt de cette formation, les faits reprochés concernent les relations entre cette jeune femme et une association indépendante de l’université. Dès lors, ils ne peuvent être qualifiés de faute disciplinaire ;
  8. Dès lors, faute de grief établi, Monsieur XXX doit être relaxé ;
    Sur les autres conclusions :
  9. Aucune disposition du Code de l’éducation ni aucune autre disposition ne donne compétence au Cneser statuant en forme disciplinaire pour accorder des dommages intérêts à l’une des parties ;
  10.  Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative et de mettre à la charge de l’université Sorbonne Nouvelle une somme de 2 000 euros à verser à Monsieur XXX au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

 

Décide

 

Article 1 – La décision rendue le 25 octobre 2021 par la section disciplinaire du conseil académique de l’université Sorbonne Nouvelle compétente à l’égard des enseignants-chercheurs, qui a prononcé la sanction de blâme à l’encontre de Monsieur XXX, est annulée.

 

Article 2 – Monsieur XXX est relaxé.

 

Article 3 – La demande de condamnation de l’État à verser à Monsieur XXX une somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral est rejetée.

 

Article 4 – L’université Sorbonne Nouvelle est condamnée à verser à Monsieur XXX la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

 

Article 5 – Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’université Sorbonne Nouvelle, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, au recteur de l’académie de Paris.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 16 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Frédérique Roux, Marguerite Zani, Jean-Luc Hanus, Julie Dalaison, Nicolas Guillet, Fabrice Guilbaud, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025, 

 

Le président,
Christophe Devys

La vice-présidente,
Frédérique Roux

Le greffier en chef,
Éric Mourou

 

 

 

Monsieur XXX

N° 1713

Gaël Raimbault

Rapporteur

Séance publique du 29 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante 

Le président de l’université de Bretagne Occidentale (UBO) a engagé le 18 mai 2021, contre Monsieur XXX, maître de conférences affecté à la faculté de droit à l’université de Bretagne Occidentale, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire compétente à l’égard des enseignants-chercheurs de son établissement ;

Par une décision du 16 décembre 2021, la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction du blâme, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 4 mars 2022 et un mémoire complémentaire daté du 19 avril 2022, et un mémoire récapitulatif du 10 mai 2024, Monsieur XXX demande au Cneser statuant en matière disciplinaire :

  • l’annulation de la décision et sa relaxe de toutes poursuites ;
  • d’enjoindre à l’UBO de supprimer de son dossier administratif la sanction du blâme, sous astreinte de 100 euros par jour de retard (article L. 911-3 du Code de justice administrative) passé un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision juridictionnelle de Cneser statuant en matière disciplinaire ;
  • la condamnation de l’UBO à lui verser la somme de 1500 euros en application de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Monsieur XXX soutient que :

  • la procédure devant la section disciplinaire a méconnu l’article R. 712-35 du Code de l’éducation dès lors qu’il a reçu la convocation à la séance de jugement le jour même de sa tenue ;
  • la composition de la section disciplinaire était irrégulière au regard de l’article R. 712-13 du Code de l’éducation ;
  • la section disciplinaire s’est bornée à constater son absence durant la séance, sans vérifier que cela ne faisait pas obstacle à ce qu’elle décide régulièrement ;
  • elle n’a pas motivé l’exécution provisoire de la décision ;
  • le dossier de poursuite ne lui a pas été communiqué, alors même qu’il en avait fait la demande ; il convient d’écarter l’application de l’article R. 712-31 du Code de l’éducation, en tant qu’il méconnaît le principe de la procédure inquisitoire ; l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l'administration a été méconnu ;
  • les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions administratives ont été méconnus ;
  • la décision de première instance est insuffisamment motivée ;
  • la sanction n’est pas fondée dès lors que les faits qui la fondent ne sont pas établis et que, en tout état de cause, ils ne sont pas fautifs ; il bénéficie de la protection prévue en faveur des lanceurs d’alerte par la loi du 9 décembre 2016 ;
  • en tout état de cause, la sanction est disproportionnée ;

Par un mémoire distinct daté du 10 mai 2024, Monsieur XXX présente à la juridiction une question prioritaire de constitutionnalité et demande qu’il soit sursis à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel ;

Monsieur XXX soutient que méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution :

  • les dispositions de l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation en ce qu’il ne prévoit pas que les sections disciplinaires des conseils académiques des universités, juridictions disciplinaires des enseignants-chercheurs, sont présidées par un magistrat administratif et dispose, au contraire, que son président comme ses membres sont élus par une émanation de l’université et donc de l’instance chargée des poursuites disciplinaires ;
  • celles des articles R. 712-13 et R. 712-15 du même code, en ce qu’ils fixent la composition de ces conseils académiques, qui méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;

Par un mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 4 octobre 2024, le président de l’université de Bretagne Occidentale demande au Cneser statuant en matière disciplinaire le rejet de la requête d’appel de Monsieur XXX et sa condamnation au versement à l’établissement de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale soutient que les moyens soulevés par Monsieur XXX ne sont pas fondés ;

Par deux mémoires complémentaires en réplique datés du 6 janvier 2025 et 8 janvier 2025, Monsieur XXX reprend les mêmes conclusions par les mêmes moyens ;

Par un second mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 22 janvier 2025, le président de l’université de Bretagne Occidentale réitère également ses précédentes observations ;

Par un nouveau mémoire en réplique daté du 24 janvier 2025, Monsieur XXX réitère à nouveau ses observations ;

La commission d’instruction s’est tenue le 6 novembre 2024 ;

Par lettres recommandées du 26 décembre 2024, Monsieur XXX, ainsi que le président de l’université de Bretagne Occidentale, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 29 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Gaël Raimbault ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant présent ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale étant représenté par Maître François Marani, avocat ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • la Constitution ;
  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ;
  • le Code général de la fonction publique ;
  • le Code de justice administrative ; 
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
  • la loi du 23 décembre 1901 réprimant les fraudes dans les examens et concours publics ;
  • la loi n° 2016-1918 du 9 décembre 2016 ;

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Gaël Raimbault, rapporteur ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Gaël Raimbault, rapporteur, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit 

  1. Monsieur XXX est maître de conférences en droit public, affecté à l’université de Bretagne Occidentale. Il a fait l’objet de poursuites devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université au motif que, le 2 février 2021, il aurait diffusé publiquement, sur une liste de courriers électroniques, l’identité de plusieurs étudiants qu’il accusait de fraude, sans avoir eu recours à la procédure disciplinaire applicable aux étudiants. Par une décision du 16 décembre 2021, dont il interjette appel, il s’est vu infliger un blâme. Le 13 avril 2022, le Cneser statuant en formation disciplinaire a suspendu l’exécution de cette décision ;
    Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
  2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le Cneser statuant en matière disciplinaire saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État (…) » ;
  3. Le requérant soutient que, d’une part, l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation en ce qu’il ne prévoit pas que les conseils académiques des universités, juridictions disciplinaires des enseignants-chercheurs, sont présidés par un magistrat administratif et dispose que son président comme ses membres sont élus par une émanation de l’université et donc de l’instance chargée des poursuites disciplinaires, et, d’autre part, les articles R. 712-13 et R. 712-15 du même code, en ce qu’ils fixent la composition de ces conseils académiques, méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, constitutionnellement garantis ;
  4. D’une part, aux termes de l’article L. 712-6 du Code de l’éducation : « Le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article L. 12-5 et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6. / Sont constituées en son sein la section disciplinaire mentionnée à l'article L. 712-6-2 et la section compétente pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs ». Aux termes de l’article L. 712-6-2 du même code : « Le pouvoir disciplinaire à l'égard des enseignants-chercheurs et enseignants est exercé en premier ressort par le conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire. / Le président de la section disciplinaire est un professeur des universités ; il est élu en leur sein par l'ensemble des enseignants-chercheurs membres de la section. / La récusation d'un membre d'une section disciplinaire peut être prononcée s'il existe une raison objective de mettre en doute son impartialité. L'examen des poursuites peut être attribué à la section disciplinaire d'un autre établissement s'il existe une raison objective de mettre en doute l'impartialité de la section. La demande de récusation ou de renvoi à une autre section disciplinaire peut être formée par la personne poursuivie, par le président ou le directeur de l'établissement, par le recteur de région académique ou par le médiateur académique » ;
  5. D’autre part, aux termes de l’article L. 952-2 du même code : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent Code, les principes de tolérance et d'objectivité. / Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs » ;
  6. Enfin, aux termes de l’article R. 712-29 du même code : « Les poursuites sont engagées devant la section disciplinaire compétente : / 1° Par le président de l'université dans les cas prévus à l'article R. 712-11. / En cas de défaillance, le recteur de région académique, chancelier des universités, engage la procédure, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification d'une demande expresse à l'autorité compétente à cette fin ; / 2° Par le ministre chargé de l'enseignement supérieur lorsque les poursuites sont engagées à l'encontre du président de l'université » ;
  7. Les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui résultent de l’article 16 de la Déclaration de 1789, sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Le principe d’indépendance impose que toute personne appelée à siéger dans une juridiction se prononce en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit. Le principe d’impartialité des juridictions s’oppose notamment à ce que soient conférés à une même autorité le pouvoir de poursuivre et celui de juger. Toutefois ces principes n’imposent pas que de telles fonctions soient nécessairement confiées à un magistrat professionnel ni qu’une formation collégiale de jugement soit nécessairement présidée par un magistrat professionnel dès lors que ses membres disposent effectivement des garanties d’indépendance et d’impartialité ainsi définies ;
  8. Eu égard à l’indépendance dont jouissent les enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, rappelée par l’article L. 952-2 du Code de l’éducation et, en tout état de cause, constitutionnellement protégée, ils ne sauraient être regardés comme étant placés ni sous la subordination hiérarchique ni même sous l’influence du président de l’université, lorsqu’ils sont membres du conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire, alors, au surplus, que leur nomination dans cette instance procède d’une élection. Par ailleurs, les poursuites disciplinaires sont exercées par le président de l’université, en sa qualité propre d’autorité exécutive, et ne saurait donc engager l’ensemble de l’université et de ses membres. Enfin, l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation organise une procédure de récusation d'un membre d'une section disciplinaire voire de l’ensemble de la section disciplinaire de l’établissement « s'il existe une raison objective de mettre en doute l'impartialité » de ce membre ou de cette section. Ainsi, les dispositions de l’article L. 712-6-2, en ce qu’elles définissent les principes de la composition des sections disciplinaires des conseils académiques des universités, ne méconnaissent pas les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;
  9. Par ailleurs, les dispositions réglementaires des articles R. 712-13 et R. 712-15 du Code de l’éducation ne sauraient, en tout état de cause, faire l’objet, en tant que telles, d’une question prioritaire de constitutionnalité ;
  10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 712-6-2, R. 712-13 et R. 712-15 du Code de l’éducation portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est dépourvue de caractère sérieux, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ;
    Sur la régularité de la décision de première instance :
  11. Aux termes de l’article R. 712-35 du Code de l’éducation : « Le président de la section disciplinaire convoque chacune des personnes déférées devant la formation de jugement, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quinze jours au moins avant la date de la séance. » Il résulte de ces dispositions que la lettre recommandée convoquant le mis en cause doit lui parvenir ou, s'il est absent, lui être présentée au moins quinze jours avant la date de la séance ;
  12. Il est constant que la convocation à la séance de la section disciplinaire du 16 décembre 2021 a été retirée par Monsieur XXX le jour même de cette séance. La garantie prévue par les dispositions précitées a dès lors été méconnue, de sorte que la décision litigieuse est entachée d’irrégularité. Par suite, il y a lieu d’annuler la sanction du 16 décembre 2021 et de statuer par la voie de l’évocation ;
    Sur le fond :
  13. En premier lieu, il résulte de l’instruction qu’à la fin de l’année 2020 s’est déroulée une épreuve de « contentieux administratif », élaborée et corrigée par Monsieur XXX et qui, du fait des circonstances sanitaires, a eu lieu selon la modalité dite « en distanciel », au domicile des étudiants qui ont composé sur leurs ordinateurs. En corrigeant les copies, Monsieur XXX a estimé que certaines copies étaient entachées de fraudes. Le 1er février 2021, il a adressé aux responsables administratifs de son unité de formation et de recherche la liste des notes attribuées à cette épreuve et précisé que, pour ceux qu’il soupçonnait de triche, il avait attribué la note de 0/20. En réponse, l’une de ses interlocutrices lui a indiqué qu’en cas de soupçon de fraude, il lui incombait de corriger les copies sans en tenir compte, et parallèlement de rédiger des rapports en vue de saisir la section disciplinaire. Toutefois, le 2 février 2021, Monsieur XXX a répondu en mettant en copie les listes de diffusion de l’université intitulées « droit-eco-gestion » et « ubo », comportant à elles deux plus de 1 500 abonnés. Son courrier électronique avait pour objet de critiquer les modalités d’organisation des épreuves en « distanciel » qui, d’après lui, rendaient inévitable une fraude massive. Il indiquait par conséquent maintenir les notes de 0/20 pour les étudiants par lui soupçonnés de triche et joignait un document « valant PV de fraude », qui mentionnait nominativement les étudiants concernés. Ces faits ne sont pas contestés et doivent être regardés comme établis ;
  14. En deuxième lieu, la diffusion d’un message sur une liste de courriers électroniques comptant plusieurs centaines d’abonnés constitue une diffusion publique. À supposer même que l’information n’ait pas, à cette date, été disponible sur l’intranet de l’université, Monsieur XXX ne pouvait ignorer ce fait. Par ailleurs, la nécessité de recourir à la procédure disciplinaire et, à cette fin, d’adresser un procès-verbal constatant la fraude au président de l’université, lui avait été rappelée la veille de l’envoi de son message. Enfin, à supposer que Monsieur XXX ait sincèrement poursuivi l’objectif d’initier un échange collectif portant sur les modalités d’organisation des épreuves dans le contexte de la pandémie de Covid-19, il n’a pas été capable de justifier l’intérêt, pour cette discussion, de dévoiler l’identité des étudiants qu’il soupçonnait d’avoir triché. Il a ainsi mis en cause publiquement des usagers du service public au motif qu’ils auraient commis ce que Monsieur XXX qualifie lui-même de délit, sans aucune nécessité et alors même qu’une procédure de sanction, respectant l’anonymat des personnes poursuivies, existe au sein de l’université. Dès lors, les faits relevés à son encontre revêtent un caractère fautif ;
  15. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 135-4 du Code général de la fonction publique : « Aucun agent public ne peut faire l'objet d'une mesure concernant (...) la discipline (...) pour avoir : / 1° Effectué un signalement ou une divulgation publique dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la même loi [du 9 décembre 2016 susvisée] ; / 2° Signalé ou témoigné des faits mentionnés aux articles L. 135-1 et L. 135-3 du présent Code. » L’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 dispose que : « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance » et son article 8 prévoit que : « I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. / En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. / En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. / II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public. » ;
  16. Ainsi qu’il a été dit au point 13, Monsieur XXX, après avoir informé les services administratifs de l’université qu’il soupçonnait certains étudiants du délit de fraude, réprimé par la loi du 23 décembre 1901, s’est vu indiquer qu’il convenait de rédiger un procès-verbal de fraude en vue de saisir la section disciplinaire. Toutefois, avant-même de porter les faits précis à la connaissance de son employeur, ainsi qu’il lui incombait et qu’il le lui avait été rappelé, puis de saisir le cas échéant l’autorité judiciaire, il a rendu le signalement public. La circonstance que, plusieurs mois après ces faits, le président de l’université lui ait indiqué qu’il renonçait à poursuivre les cas de fraude, eu égard à leur trop grand nombre, est sans incidence. Il a ainsi agi en méconnaissance des dispositions de l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, alors que n’existait ni danger grave et imminent, ni risque de dommages irréversibles. Dès lors, il n’est pas fondé à se prévaloir de la protection prévue par l’article L. 135-4 du Code général de la fonction publique au profit des lanceurs d’alerte ;
  17. En quatrième lieu, l’article L. 952-8 du Code de l’éducation dispose que : « les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation. » ;
  18. En tenant compte, d’une part, de la gravité de la faute commise, et d’autre part de l’intention de Monsieur XXX, qui était d’initier une discussion collective sur les modalités d’organisation des examens, et de l’absence de conséquences dommageables de sa faute tel qu’il résulte de l’instruction, il y a lieu d’infliger à l’intéressé la sanction du blâme ;
    Sur les conclusions à fin d’injonction :
  19. Si la sanction infligée par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale a été annulée, une sanction de même nature est infligée à Monsieur XXX par la présente décision, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’enjoindre à l’université de retirer la sanction initiale du dossier administratif de l’intéressé ;
    Sur les frais de l’instance :
  20. Les dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise sur leur fondement à la charge de l’université de Bretagne Occidentale, qui n’est pas la partie perdante à la présente instance. Par ailleurs, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge de Monsieur XXX à ce titre.

 

Décide

 

Article 1 – Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Monsieur XXX.

 

Article 2 – La décision rendue le 16 décembre 2021 par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs qui a prononcé la sanction de blâme à l’encontre de Monsieur XXX est annulée.

 

Article 3 – Monsieur XXX est sanctionné d’un blâme.

 

Article 4 – Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

 

Article 5  Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’université de Bretagne Occidentale, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, au recteur de l’académie de Rennes.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 29 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Frédérique Roux, Lilian Aveneau, Marguerite Zani, Jean-Luc Hanus, Julie Dalaison, Véronique Reynier, Fabrice Guilbaud, Anna Pappa Delbano, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025, 

 

Le président,

Christophe Devys

La vice-présidente,

Frédérique Roux

Le greffier en chef,

Éric Mourou

 

 

 

Monsieur XXX

N° 1713

Gaël Raimbault

Rapporteur

Séance publique du 29 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante 

Le président de l’université de Bretagne Occidentale (UBO) a engagé le 18 mai 2021, contre Monsieur XXX, maître de conférences affecté à la faculté de droit à l’université de Bretagne Occidentale, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire compétente à l’égard des enseignants-chercheurs de son établissement ;

Par une décision du 16 décembre 2021, la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction du blâme, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 4 mars 2022 et un mémoire complémentaire daté du 19 avril 2022, et un mémoire récapitulatif du 10 mai 2024, Monsieur XXX demande au Cneser statuant en matière disciplinaire :

  • l’annulation de la décision et sa relaxe de toutes poursuites ;
  • d’enjoindre à l’UBO de supprimer de son dossier administratif la sanction du blâme, sous astreinte de 100 euros par jour de retard (article L. 911-3 du Code de justice administrative) passé un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision juridictionnelle de Cneser statuant en matière disciplinaire ;
  • la condamnation de l’UBO à lui verser la somme de 1500 euros en application de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Monsieur XXX soutient que :

  • la procédure devant la section disciplinaire a méconnu l’article R. 712-35 du Code de l’éducation dès lors qu’il a reçu la convocation à la séance de jugement le jour même de sa tenue ;
  • la composition de la section disciplinaire était irrégulière au regard de l’article R. 712-13 du Code de l’éducation ;
  • la section disciplinaire s’est bornée à constater son absence durant la séance, sans vérifier que cela ne faisait pas obstacle à ce qu’elle décide régulièrement ;
  • elle n’a pas motivé l’exécution provisoire de la décision ;
  • le dossier de poursuite ne lui a pas été communiqué, alors même qu’il en avait fait la demande ; il convient d’écarter l’application de l’article R. 712-31 du Code de l’éducation, en tant qu’il méconnaît le principe de la procédure inquisitoire ; l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l'administration a été méconnu ;
  • les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions administratives ont été méconnus ;
  • la décision de première instance est insuffisamment motivée ;
  • la sanction n’est pas fondée dès lors que les faits qui la fondent ne sont pas établis et que, en tout état de cause, ils ne sont pas fautifs ; il bénéficie de la protection prévue en faveur des lanceurs d’alerte par la loi du 9 décembre 2016 ;
  • en tout état de cause, la sanction est disproportionnée ;

Par un mémoire distinct daté du 10 mai 2024, Monsieur XXX présente à la juridiction une question prioritaire de constitutionnalité et demande qu’il soit sursis à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel ;

Monsieur XXX soutient que méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution :

  • les dispositions de l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation en ce qu’il ne prévoit pas que les sections disciplinaires des conseils académiques des universités, juridictions disciplinaires des enseignants-chercheurs, sont présidées par un magistrat administratif et dispose, au contraire, que son président comme ses membres sont élus par une émanation de l’université et donc de l’instance chargée des poursuites disciplinaires ;
  • celles des articles R. 712-13 et R. 712-15 du même code, en ce qu’ils fixent la composition de ces conseils académiques, qui méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;

Par un mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 4 octobre 2024, le président de l’université de Bretagne Occidentale demande au Cneser statuant en matière disciplinaire le rejet de la requête d’appel de Monsieur XXX et sa condamnation au versement à l’établissement de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale soutient que les moyens soulevés par Monsieur XXX ne sont pas fondés ;

Par deux mémoires complémentaires en réplique datés du 6 janvier 2025 et 8 janvier 2025, Monsieur XXX reprend les mêmes conclusions par les mêmes moyens ;

Par un second mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 22 janvier 2025, le président de l’université de Bretagne Occidentale réitère également ses précédentes observations ;

Par un nouveau mémoire en réplique daté du 24 janvier 2025, Monsieur XXX réitère à nouveau ses observations ;

La commission d’instruction s’est tenue le 6 novembre 2024 ;

Par lettres recommandées du 26 décembre 2024, Monsieur XXX, ainsi que le président de l’université de Bretagne Occidentale, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 29 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Gaël Raimbault ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant présent ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale étant représenté par Maître François Marani, avocat ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • la Constitution ;
  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ;
  • le Code général de la fonction publique ;
  • le Code de justice administrative ; 
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
  • la loi du 23 décembre 1901 réprimant les fraudes dans les examens et concours publics ;
  • la loi n° 2016-1918 du 9 décembre 2016 ;

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Gaël Raimbault, rapporteur ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Gaël Raimbault, rapporteur, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit 

  1. Monsieur XXX est maître de conférences en droit public, affecté à l’université de Bretagne Occidentale. Il a fait l’objet de poursuites devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université au motif que, le 2 février 2021, il aurait diffusé publiquement, sur une liste de courriers électroniques, l’identité de plusieurs étudiants qu’il accusait de fraude, sans avoir eu recours à la procédure disciplinaire applicable aux étudiants. Par une décision du 16 décembre 2021, dont il interjette appel, il s’est vu infliger un blâme. Le 13 avril 2022, le Cneser statuant en formation disciplinaire a suspendu l’exécution de cette décision ;
    Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
  2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le Cneser statuant en matière disciplinaire saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’État (…) » ;
  3. Le requérant soutient que, d’une part, l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation en ce qu’il ne prévoit pas que les conseils académiques des universités, juridictions disciplinaires des enseignants-chercheurs, sont présidés par un magistrat administratif et dispose que son président comme ses membres sont élus par une émanation de l’université et donc de l’instance chargée des poursuites disciplinaires, et, d’autre part, les articles R. 712-13 et R. 712-15 du même code, en ce qu’ils fixent la composition de ces conseils académiques, méconnaissent les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, constitutionnellement garantis ;
  4. D’une part, aux termes de l’article L. 712-6 du Code de l’éducation : « Le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article L. 12-5 et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6. / Sont constituées en son sein la section disciplinaire mentionnée à l'article L. 712-6-2 et la section compétente pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs ». Aux termes de l’article L. 712-6-2 du même code : « Le pouvoir disciplinaire à l'égard des enseignants-chercheurs et enseignants est exercé en premier ressort par le conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire. / Le président de la section disciplinaire est un professeur des universités ; il est élu en leur sein par l'ensemble des enseignants-chercheurs membres de la section. / La récusation d'un membre d'une section disciplinaire peut être prononcée s'il existe une raison objective de mettre en doute son impartialité. L'examen des poursuites peut être attribué à la section disciplinaire d'un autre établissement s'il existe une raison objective de mettre en doute l'impartialité de la section. La demande de récusation ou de renvoi à une autre section disciplinaire peut être formée par la personne poursuivie, par le président ou le directeur de l'établissement, par le recteur de région académique ou par le médiateur académique » ;
  5. D’autre part, aux termes de l’article L. 952-2 du même code : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent Code, les principes de tolérance et d'objectivité. / Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs » ;
  6. Enfin, aux termes de l’article R. 712-29 du même code : « Les poursuites sont engagées devant la section disciplinaire compétente : / 1° Par le président de l'université dans les cas prévus à l'article R. 712-11. / En cas de défaillance, le recteur de région académique, chancelier des universités, engage la procédure, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification d'une demande expresse à l'autorité compétente à cette fin ; / 2° Par le ministre chargé de l'enseignement supérieur lorsque les poursuites sont engagées à l'encontre du président de l'université » ;
  7. Les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, qui résultent de l’article 16 de la Déclaration de 1789, sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Le principe d’indépendance impose que toute personne appelée à siéger dans une juridiction se prononce en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit. Le principe d’impartialité des juridictions s’oppose notamment à ce que soient conférés à une même autorité le pouvoir de poursuivre et celui de juger. Toutefois ces principes n’imposent pas que de telles fonctions soient nécessairement confiées à un magistrat professionnel ni qu’une formation collégiale de jugement soit nécessairement présidée par un magistrat professionnel dès lors que ses membres disposent effectivement des garanties d’indépendance et d’impartialité ainsi définies ;
  8. Eu égard à l’indépendance dont jouissent les enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, rappelée par l’article L. 952-2 du Code de l’éducation et, en tout état de cause, constitutionnellement protégée, ils ne sauraient être regardés comme étant placés ni sous la subordination hiérarchique ni même sous l’influence du président de l’université, lorsqu’ils sont membres du conseil académique de l'établissement constitué en section disciplinaire, alors, au surplus, que leur nomination dans cette instance procède d’une élection. Par ailleurs, les poursuites disciplinaires sont exercées par le président de l’université, en sa qualité propre d’autorité exécutive, et ne saurait donc engager l’ensemble de l’université et de ses membres. Enfin, l’article L. 712-6-2 du Code de l’éducation organise une procédure de récusation d'un membre d'une section disciplinaire voire de l’ensemble de la section disciplinaire de l’établissement « s'il existe une raison objective de mettre en doute l'impartialité » de ce membre ou de cette section. Ainsi, les dispositions de l’article L. 712-6-2, en ce qu’elles définissent les principes de la composition des sections disciplinaires des conseils académiques des universités, ne méconnaissent pas les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;
  9. Par ailleurs, les dispositions réglementaires des articles R. 712-13 et R. 712-15 du Code de l’éducation ne sauraient, en tout état de cause, faire l’objet, en tant que telles, d’une question prioritaire de constitutionnalité ;
  10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 712-6-2, R. 712-13 et R. 712-15 du Code de l’éducation portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est dépourvue de caractère sérieux, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ;
    Sur la régularité de la décision de première instance :
  11. Aux termes de l’article R. 712-35 du Code de l’éducation : « Le président de la section disciplinaire convoque chacune des personnes déférées devant la formation de jugement, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quinze jours au moins avant la date de la séance. » Il résulte de ces dispositions que la lettre recommandée convoquant le mis en cause doit lui parvenir ou, s'il est absent, lui être présentée au moins quinze jours avant la date de la séance ;
  12. Il est constant que la convocation à la séance de la section disciplinaire du 16 décembre 2021 a été retirée par Monsieur XXX le jour même de cette séance. La garantie prévue par les dispositions précitées a dès lors été méconnue, de sorte que la décision litigieuse est entachée d’irrégularité. Par suite, il y a lieu d’annuler la sanction du 16 décembre 2021 et de statuer par la voie de l’évocation ;
    Sur le fond :
  13. En premier lieu, il résulte de l’instruction qu’à la fin de l’année 2020 s’est déroulée une épreuve de « contentieux administratif », élaborée et corrigée par Monsieur XXX et qui, du fait des circonstances sanitaires, a eu lieu selon la modalité dite « en distanciel », au domicile des étudiants qui ont composé sur leurs ordinateurs. En corrigeant les copies, Monsieur XXX a estimé que certaines copies étaient entachées de fraudes. Le 1er février 2021, il a adressé aux responsables administratifs de son unité de formation et de recherche la liste des notes attribuées à cette épreuve et précisé que, pour ceux qu’il soupçonnait de triche, il avait attribué la note de 0/20. En réponse, l’une de ses interlocutrices lui a indiqué qu’en cas de soupçon de fraude, il lui incombait de corriger les copies sans en tenir compte, et parallèlement de rédiger des rapports en vue de saisir la section disciplinaire. Toutefois, le 2 février 2021, Monsieur XXX a répondu en mettant en copie les listes de diffusion de l’université intitulées « droit-eco-gestion » et « ubo », comportant à elles deux plus de 1 500 abonnés. Son courrier électronique avait pour objet de critiquer les modalités d’organisation des épreuves en « distanciel » qui, d’après lui, rendaient inévitable une fraude massive. Il indiquait par conséquent maintenir les notes de 0/20 pour les étudiants par lui soupçonnés de triche et joignait un document « valant PV de fraude », qui mentionnait nominativement les étudiants concernés. Ces faits ne sont pas contestés et doivent être regardés comme établis ;
  14. En deuxième lieu, la diffusion d’un message sur une liste de courriers électroniques comptant plusieurs centaines d’abonnés constitue une diffusion publique. À supposer même que l’information n’ait pas, à cette date, été disponible sur l’intranet de l’université, Monsieur XXX ne pouvait ignorer ce fait. Par ailleurs, la nécessité de recourir à la procédure disciplinaire et, à cette fin, d’adresser un procès-verbal constatant la fraude au président de l’université, lui avait été rappelée la veille de l’envoi de son message. Enfin, à supposer que Monsieur XXX ait sincèrement poursuivi l’objectif d’initier un échange collectif portant sur les modalités d’organisation des épreuves dans le contexte de la pandémie de Covid-19, il n’a pas été capable de justifier l’intérêt, pour cette discussion, de dévoiler l’identité des étudiants qu’il soupçonnait d’avoir triché. Il a ainsi mis en cause publiquement des usagers du service public au motif qu’ils auraient commis ce que Monsieur XXX qualifie lui-même de délit, sans aucune nécessité et alors même qu’une procédure de sanction, respectant l’anonymat des personnes poursuivies, existe au sein de l’université. Dès lors, les faits relevés à son encontre revêtent un caractère fautif ;
  15. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 135-4 du Code général de la fonction publique : « Aucun agent public ne peut faire l'objet d'une mesure concernant (...) la discipline (...) pour avoir : / 1° Effectué un signalement ou une divulgation publique dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la même loi [du 9 décembre 2016 susvisée] ; / 2° Signalé ou témoigné des faits mentionnés aux articles L. 135-1 et L. 135-3 du présent Code. » L’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 dispose que : « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance » et son article 8 prévoit que : « I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. / En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. / En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. / II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public. » ;
  16. Ainsi qu’il a été dit au point 13, Monsieur XXX, après avoir informé les services administratifs de l’université qu’il soupçonnait certains étudiants du délit de fraude, réprimé par la loi du 23 décembre 1901, s’est vu indiquer qu’il convenait de rédiger un procès-verbal de fraude en vue de saisir la section disciplinaire. Toutefois, avant-même de porter les faits précis à la connaissance de son employeur, ainsi qu’il lui incombait et qu’il le lui avait été rappelé, puis de saisir le cas échéant l’autorité judiciaire, il a rendu le signalement public. La circonstance que, plusieurs mois après ces faits, le président de l’université lui ait indiqué qu’il renonçait à poursuivre les cas de fraude, eu égard à leur trop grand nombre, est sans incidence. Il a ainsi agi en méconnaissance des dispositions de l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, alors que n’existait ni danger grave et imminent, ni risque de dommages irréversibles. Dès lors, il n’est pas fondé à se prévaloir de la protection prévue par l’article L. 135-4 du Code général de la fonction publique au profit des lanceurs d’alerte ;
  17. En quatrième lieu, l’article L. 952-8 du Code de l’éducation dispose que : « les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation. » ;
  18. En tenant compte, d’une part, de la gravité de la faute commise, et d’autre part de l’intention de Monsieur XXX, qui était d’initier une discussion collective sur les modalités d’organisation des examens, et de l’absence de conséquences dommageables de sa faute tel qu’il résulte de l’instruction, il y a lieu d’infliger à l’intéressé la sanction du blâme ;
    Sur les conclusions à fin d’injonction :
  19. Si la sanction infligée par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale a été annulée, une sanction de même nature est infligée à Monsieur XXX par la présente décision, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’enjoindre à l’université de retirer la sanction initiale du dossier administratif de l’intéressé ;
    Sur les frais de l’instance :
  20. Les dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise sur leur fondement à la charge de l’université de Bretagne Occidentale, qui n’est pas la partie perdante à la présente instance. Par ailleurs, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge de Monsieur XXX à ce titre.

 

Décide

 

Article 1 – Il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil d’État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Monsieur XXX.

 

Article 2 – La décision rendue le 16 décembre 2021 par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs qui a prononcé la sanction de blâme à l’encontre de Monsieur XXX est annulée.

 

Article 3 – Monsieur XXX est sanctionné d’un blâme.

 

Article 4 – Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

 

Article 5  Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’université de Bretagne Occidentale, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, au recteur de l’académie de Rennes.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 29 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Frédérique Roux, Lilian Aveneau, Marguerite Zani, Jean-Luc Hanus, Julie Dalaison, Véronique Reynier, Fabrice Guilbaud, Anna Pappa Delbano, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025, 

 

Le président,
Christophe Devys

La vice-présidente,
Frédérique Roux

Le greffier en chef,
Éric Mourou


 

 

Monsieur XXX

N° 1798

Gaël Raimbault

Rapporteur

Séance publique du 29 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante 

Le président de l’université de Bretagne Occidentale (UBO) a engagé le 10 juillet 2023, contre Monsieur XXX, maître de conférences affecté à la faculté de droit à l’université de Bretagne Occidentale, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire compétente à l’égard des enseignants-chercheurs de son établissement ;

Par une décision du 5 février 2024, la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de tout établissement public d’enseignement supérieur pour une durée d’un an, avec privation de la totalité du traitement, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 22 février 2024, Monsieur XXX demande au Cneser statuant en matière disciplinaire :

  • l’annulation de la décision et de la sanction prononcée ;
  • sa relaxe de toutes poursuites ;
  • d’enjoindre à l’UBO de reconstituer sa situation statutaire et ses salaires sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d’une semaine à compter de la notification de la décision ;
  • la condamnation de l’UBO à lui verser 1500 euros en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Monsieur XXX soutient que :

  • la procédure devant la section disciplinaire a méconnu l’article R. 712-35 du Code de l’éducation dès lors qu’il a reçu la convocation à la séance de jugement sans respecter le délai de quinze jours ;
  • la section disciplinaire a refusé de lui communiquer des versions désanonymisées des témoignages des étudiants au fondement des poursuites, méconnaissant ainsi le principe du contradictoire ;
  • elle a méconnu l’article R. 232-31 du Code de l’éducation dans la mesure où elle n’a pas statué dans le délai de six mois à compter de la saisine ;
  • elle n’a pas motivé l’exécution provisoire de la sanction ;
  • la sanction n’est pas fondée dès lors que les faits qui la fondent ne sont pas établis et que, en tout état de cause, ils ne sont pas fautifs ;
  • en tout état de cause, la sanction est disproportionnée ;

Par un mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 4 octobre 2024, le président de l’université de Bretagne Occidentale demande au Cneser statuant en matière disciplinaire le rejet de la requête d’appel de Monsieur XXX et sa condamnation au versement à l’établissement de la somme de 2000 euros en application de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale soutient que les moyens soulevés par Monsieur XXX ne sont pas fondés ;

Par un mémoire récapitulatif en réponse du 8 janvier 2025, Monsieur XXX réitère ses observations et demande également qu’il soit enjoint à l’établissement d’afficher la décision à intervenir dans tous les UFR de l’établissement sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d’une semaine à compter de la notification de la décision ;

Par un second mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 22 janvier 2025, le président de l’université de Bretagne Occidentale réitère également ses précédentes observations ;

Par un nouveau mémoire en réplique daté du 24 janvier 2025, Monsieur XXX réitère à nouveau ses observations ;

La commission d’instruction s’est tenue le 6 novembre 2024 ;

Par lettres recommandées du 26 décembre 2024, Monsieur XXX, ainsi que le président de l’université de Bretagne Occidentale, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 29 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Gaël Raimbault ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant présent ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale étant représenté par Maître François Marani, avocat ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ;
  • le Code général de la fonction publique ;
  • le Code de la justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Gaël Raimbault, rapporteur ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Gaël Raimbault, rapporteur, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit 

  1. Monsieur XXX est maître de conférences en droit public, affecté à l’université de Bretagne Occidentale. Il a fait l’objet de poursuites devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université au motif qu’il aurait, le 15 juin 2023, à l’occasion d’un contrôle d’identité préalable à un examen, exigé d’une étudiante qu’elle retire son voile. Il aurait ainsi perturbé le déroulement de l’épreuve, méconnu le principe de laïcité, la liberté de conscience, et porté atteinte à la dignité des étudiants et de l’exercice de ses fonctions. Par une décision du 5 février 2024, dont il interjette appel, il s’est vu infliger la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein d’un établissement public, pour une durée d’un an avec privation de la totalité du traitement. Le 13 juin 2024, le Cneser statuant en formation disciplinaire a suspendu l’exécution de cette décision ;
    Sur la régularité de la décision de première instance :
  2. Aux termes de l’article R. 712-35 du Code de l’éducation : « Le président de la section disciplinaire convoque chacune des personnes déférées devant la formation de jugement, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quinze jours au moins avant la date de la séance. » Il résulte de ces dispositions que la lettre recommandée convoquant le mis en cause doit lui parvenir ou, s'il est absent, lui être présentée au moins quinze jours avant la date de la séance ;
  3. Il est constant que la convocation à la séance de la section disciplinaire du 5 février 2024 a été retirée par Monsieur XXX le 29 janvier 2024, soit seulement sept jours avant cette séance. La garantie prévue par les dispositions précitées a dès lors été méconnue, de sorte que la décision litigieuse est entachée d’irrégularité. Par suite, il y a lieu d’annuler la sanction du 5 février 2024 et de statuer par la voie de l’évocation ;
    Sur le fond :
  4. En premier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment d’un enregistrement produit par Monsieur XXX, que le 15 juin 2023, alors qu’il surveillait seul un examen où étaient présents environ trente-cinq étudiants, il a demandé à trois reprises à une étudiante de relever le voile qu’elle portait, en lui indiquant qu’il souhaitait contrôler son identité et l’absence d’écouteur dans ses oreilles. Un chahut a suivi dans l’amphithéâtre, durant lequel Monsieur XXX a intimé aux étudiants de continuer à composer dans le calme et leur a adressé des remarques relatives à leur comportement. L’ensemble de ces événements a duré environ quatre minutes ;
  5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 121-1 du Code général de la fonction publique : « L'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » L’article L.141-6 du Code de l’éducation dispose que : « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. » ;
  6. Monsieur XXX est poursuivi au motif que les faits mentionnés au point 4 auraient perturbé le déroulement de l’épreuve, méconnu le principe de laïcité, la liberté de conscience, et porté atteinte à la dignité des étudiants et de l’exercice de ses fonctions. Toutefois, d’une part, il soutient que, s’il a demandé à l’étudiante concernée de retirer très brièvement son voile, c’est uniquement parce que ce dernier l’empêchait de comparer utilement son visage à la photographie figurant sur sa carte d’étudiante, et de vérifier qu’elle ne portait pas de dispositif auditif, ainsi qu’il le lui incombait en application du règlement des examens de l’université. Il résulte de l’enregistrement sonore produit que Monsieur XXX a conservé à l’égard de cette étudiante un comportement poli et pondéré et que le voile n’a été retiré que pendant un très bref instant. Les témoignages produits par l’université, imprécis et partiellement contradictoires, ne sont pas de nature à remettre en cause cette version de faits, ni à établir que l’intéressé aurait eu à l’égard de l’étudiante en cause un comportement discriminatoire lié au port de ce voile ;
  7. D’autre part, s’il résulte des attestations et témoignages produits par l’université que Monsieur XXX a pu tenir devant ses étudiants des paroles maladroites et hors de propos à propos de l’organisation connue sous le nom « État islamique », il ne peut en être conclu qu’il aurait adopté un comportement hostile à l’Islam en tant que tel, ni à certaines pratiques adoptées par les fidèles de cette religion. Dans ces conditions, le comportement de Monsieur XXX, consistant à mettre en œuvre le règlement des examens puis à ramener l’ordre, et qui ne traduit pas un comportement discriminatoire ou hostile à la liberté de conscience de l’étudiante concernée, n’est pas fautif. Il y a lieu, dès lors, de le relaxer des poursuites à son endroit ;
    Sur les conclusions à fin d’injonction :
  8. En premier lieu, l’annulation de la sanction infligée par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale implique qu’il soit enjoint à cette université de retirer la décision du dossier personnel de Monsieur XXX, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision. En revanche il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
  9. En deuxième lieu, si l’annulation d’une mesure d’éviction implique la reconstitution de la carrière de l’agent illégalement évincé, elle ne lui donne en revanche pas droit, en l’absence de service fait, au versement des traitements dont il a été privé. Les conclusions tendant au versement d’un rappel de traitement doivent dès lors être rejetées et il appartient à Monsieur XXX, s’il s’y croit fondé, de demander à l’université de Bretagne Occidentale de l’indemniser des préjudices subis du fait de la sanction annulée. En revanche, il y a lieu d’enjoindre à l’université de Bretagne Occidentale de reconstituer la carrière de Monsieur XXX, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ;
  10. En troisième lieu, il n’appartient pas aux juridictions de l’ordre administratif de se prononcer sur les modalités selon lesquelles leurs décisions doivent être rendues publiques. Par suite, les conclusions tendant à l’affichage de la présente décision dans toutes les unités de formation et de recherche de l’établissement sont rejetées ;
    Sur les frais de l’instance :
  11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise sur leur fondement à la charge de Monsieur XXX, qui n’est pas la partie perdante à la présente instance. Par ailleurs, Monsieur XXX, qui n’a pas recouru aux services d’un avocat, n’établit pas avoir exposé des frais non compris dans les dépens, de sorte que ses conclusions tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’État à ce titre doivent être rejetées ;

 

Décide

 

Article 1 – La décision rendue 5 février 2024 par la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs qui a prononcé, à l’encontre de Monsieur XXX, la sanction d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement au sein de tout établissement public d’enseignement supérieur pour une durée d’un an, avec privation de la totalité du traitement, est annulée.

 

Article 2 – Monsieur XXX est relaxé.

 

Article 3 – Il est enjoint à l’université de Bretagne Occidentale de reconstituer la carrière de Monsieur XXX et de retirer de son dossier personnel la sanction infligée en première instance, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

 

Article 4 – Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

 

Article 5  Dans les conditions fixées aux articles R. 32-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’université de Bretagne Occidentale, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, au recteur de l’académie de Rennes.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 29 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Frédérique Roux, Lilian Aveneau, Marguerite Zani, Jean-Luc Hanus, Julie Dalaison, Véronique Reynier, Fabrice Guilbaud, Anna Pappa Delbano, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025,

 

Le président,
Christophe Devys

La vice-présidente,
Frédérique Roux

Le greffier en chef,
Éric Mourou
 

 

 

Monsieur XXX

N° 1803

Gaël Raimbault

Rapporteur

Séance publique du 29 janvier 2025

Décision du 20 février 2025

Vu la procédure suivante 

Le président de l’université de Bretagne Occidentale (UBO) a engagé le 16 novembre 2023, contre Monsieur XXX, maître de conférences affecté à la faculté de droit à l’université de Bretagne Occidentale, des poursuites disciplinaires devant la section disciplinaire compétente à l’égard des enseignants-chercheurs de son établissement ;

Par une décision du 5 février 2024, la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs a prononcé la sanction d’abaissement d’échelon, décision immédiatement exécutoire nonobstant appel ;

Par un mémoire en appel du 20 mars 2024, Monsieur XXX demande au Cneser statuant en matière disciplinaire :

  • d’annuler la décision de la section disciplinaire de l’UBO ;
  • d’annuler la sanction prononcée ;
  • de le relaxer de toutes poursuites disciplinaires ;
  • d’enjoindre à l’UBO de reconstituer sa situation statutaire en procédant au rétablissement de sa situation au dernier échelon de la classe normale de maître de conférences, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d’une semaine à compter de la notification de la décision à intervenir ;
  • d’enjoindre à l’UBO d’afficher l’arrêt du Cneser disciplinaire sur les panneaux d’affichage de l’établissement sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai d’une semaine à compter de la notification de la décision à intervenir ;
  • de condamner l’UBO à lui verser la somme de 1500 euros en application de l’article L 761-1 du Code de justice administrative ;

Monsieur XXX soutient que :

  • la procédure devant la section disciplinaire a méconnu l’article R. 712-35 du Code de l’éducation dès lors qu’il a reçu la convocation à la séance de jugement sans respecter le délai de quinze jours ;
  • la section disciplinaire n’a pas motivé l’exécution provisoire de la sanction ;
  • la sanction n’est pas fondée dès lors que les faits qui la fondent ne sont pas établis et que, en tout état de cause, ils ne sont pas fautifs dès lors, notamment, que l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales protège sa liberté d’expression ;
  • en tout état de cause, la sanction est disproportionnée ;

Par un mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 4 octobre 2024, le président de l’université de Bretagne Occidentale demande au Cneser statuant en matière disciplinaire le rejet de la requête d’appel de Monsieur XXX et sa condamnation au versement à l’établissement, de la somme de 2000 euros en application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale soutient que les moyens soulevés par Monsieur XXX ne sont pas fondés ;

Par un mémoire récapitulatif en réponse du 8 janvier 2025, Monsieur XXX réitère ses observations, soutenues par les mêmes moyens ;

Par un second mémoire en défense réceptionné au greffe du Cneser statuant en matière disciplinaire le 22 janvier 2025, le président de l’université de Bretagne Occidentale réitère également ses précédentes observations ;

Par un nouveau mémoire en réplique daté du 24 janvier 2025, Monsieur XXX réitère à nouveau ses observations ;

La commission d’instruction s’est tenue le 6 novembre 2024 ;

Par lettres recommandées du 26 décembre 2024, Monsieur XXX, ainsi que le président de l’université de Bretagne Occidentale, ont été régulièrement convoqués à l’audience du 29 janvier 2025 ;

Le rapport d’instruction rédigé par Gaël Raimbault ayant été communiqué aux parties par courrier recommandé en même temps que la convocation à comparaître devant la formation de jugement ;

Monsieur XXX étant présent ;

Le président de l’université de Bretagne Occidentale étant représenté par Maître François Marani, avocat ;

Vu l’ensemble des pièces du dossier ;

Vu :

  • la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
  • le Code de l’éducation, notamment ses articles L. 232-2 à L. 232-7, L. 952-8, R. 232-23 à R. 232-48 ;
  • le Code général de la fonction publique ;
  • le Code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique le rapport de Gaël Raimbault, rapporteur ;

Monsieur XXX ayant été informé de son droit de garder le silence à l’audience et de ne pas s’auto-incriminer ;

La parole ayant été donnée aux parties, Monsieur XXX ayant eu la parole en dernier ;

La formation de jugement du Cneser statuant en matière disciplinaire ayant délibéré à huis clos sans que Gaël Raimbault, rapporteur, n’intervienne ni n’ait voix délibérative ;

 

Considérant ce qui suit 

  1. Monsieur XXX est maître de conférences en droit public, affecté à l’université de Bretagne Occidentale. Il a fait l’objet de poursuites devant la section disciplinaire du conseil académique de l’université au motif qu’il aurait, le 10 novembre 2023, adressé sur une liste de diffusion regroupant l’ensemble des personnels de l’université, un courrier électronique provocateur et outrancier, en réponse à l’annonce d’un colloque consacré au thème « féminin(s) en décalage, du décentrement à l’émancipation ». Il aurait ainsi méconnu la charte du bon usage de la messagerie électronique professionnelle et le devoir de dignité, et porté atteinte au bon fonctionnement du service et à l’image de l’établissement. Par une décision du 5 février 2024, dont il interjette appel, il s’est vu infliger la sanction d’abaissement d’échelon. Le 13 juin 2024, le Cneser statuant en formation disciplinaire a suspendu l’exécution de cette décision ;
    Sur la régularité de la décision de première instance :
  2. Aux termes de l’article R. 712-35 du Code de l’éducation : « Le président de la section disciplinaire convoque chacune des personnes déférées devant la formation de jugement, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quinze jours au moins avant la date de la séance. » Il résulte de ces dispositions que la lettre recommandée convoquant le mis en cause doit lui parvenir ou, s'il est absent, lui être présentée au moins quinze jours avant la date de la séance ;
  3. Il est constant que la convocation à la séance de la section disciplinaire du 5 février 2024 a été retirée par Monsieur XXX le 29 janvier 2024, soit seulement sept jours avant cette séance. La garantie prévue par les dispositions précitées a dès lors été méconnue, de sorte que la décision litigieuse est entachée d’irrégularité. Par suite, il y a lieu d’annuler la sanction du 5 février 2024 et de statuer par la voie de l’évocation ;
    Sur le fond :
  4. En premier lieu, il est constant que, le 10 novembre 2023, un agent affecté au sein de la faculté de lettres et sciences humaines a diffusé sur la liste regroupant l’ensemble du personnel de l’université de Bretagne Occidentale un lien permettant d’accéder au programme et à l’affiche d’une journée scientifique interdisciplinaire organisée par l’unité de formation et de recherche, intitulée « les féminins en décalage, du décentrement à l’émancipation ». Le soir même, Monsieur XXX a répondu à l’ensemble de cette liste par un message proposant, notamment, l’organisation d’une conférence consacrée d’un point de vue juridique à « l’accumulation instable des enzymes dans le système digestif du mycélium digestif de la puce aquatique du Haut-Karabagh du sud ». Ces faits, qui ne sont pas contestés, doivent être regardés comme établis ;
  5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 121-1 du Code général de la fonction publique : « L'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » L’article L. 141-6 du Code de l’éducation dispose que : « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. » L’article L. 952-2 du même code prévoit que : « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent Code, les principes de tolérance et d'objectivité. » ;
  6. Les propos tenus par Monsieur XXX revêtent un caractère ironique et dévalorisant et tendent exclusivement à remettre en question la pertinence du thème et des interventions prévues durant la journée d’étude en cause, sans apporter aucun élément scientifique et dans un domaine où il ne possède aucune compétence particulière. Ces propos constituent ainsi la pure expression d’une opinion personnelle, détachable de ses fonctions d’enseignement et de recherche, qui ne visait qu’à humilier ses collègues et à contester, sans aucun fondement, leur légitimité scientifique. Ils ne relèvent ainsi pas de la liberté d’expression prévue par l’article L. 952-2 du Code de l’éducation, et méconnaissent dès lors le principe de dignité dans l’exercice des fonctions et de respect de la diversité des opinions qui découlent des dispositions mentionnées au point 5. Ils ne relèvent pas non plus de la liberté d’expression prévue par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui stipule que l’exercice de la liberté d’expression comporte des droits et des devoirs et peut être soumis à des restrictions en vue de protéger, notamment, la réputation ou les droits d’autrui. Au surplus, ce message méconnaît la nécessité de service qui s’attache à un usage proportionné d’une liste de diffusion comprenant plusieurs centaines de personnes. Il en résulte que le message du 10 novembre 2023 constitue une faute ;
  7. En troisième lieu, l’article L. 952-8 du Code de l’éducation dispose que : « les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation. » ;
  8. En tenant compte de la gravité de la faute commise, de l’absence de conséquences dommageables de celle-ci, tel qu’il résulte de l’instruction, et de l’absence de modération par l’université de la liste de diffusion en cause, dont il résulte un mésusage de celle-ci qui excède la personne de Monsieur XXX, il y a lieu d’infliger à l’intéressé la sanction du blâme ;
    Sur les conclusions à fin d’injonction :
  9. En premier lieu, l’annulation de la sanction infligée par la section disciplinaire de l’université de Bretagne Occidentale implique qu’il soit enjoint à cette université de retirer la décision du dossier personnel de Monsieur XXX, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision. En revanche il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
  10. En deuxième lieu, s’il appartient à Monsieur XXX de demander à l’université de Bretagne Occidentale de l’indemniser des préjudices subis du fait de la sanction annulée, il y a lieu d’enjoindre à cette université de Bretagne Occidentale de reconstituer la carrière de Monsieur XXX, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ;
  11. En troisième lieu, il n’appartient pas aux juridictions de l’ordre administratif de se prononcer sur les modalités selon lesquelles leurs décisions doivent être rendues publiques. Par suite, les conclusions tendant à l’affichage de la présente décision dans toutes les unités de formation et de recherche de l’établissement sont rejetées ;
    Sur les frais de l’instance :
  12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise sur leur fondement à la charge de Monsieur XXX, qui n’est pas la partie perdante à la présente instance. Par ailleurs, Monsieur XXX, qui n’a pas recouru aux services d’un avocat, n’établit pas avoir exposé des frais non compris dans les dépens, de sorte que ses conclusions tendant à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’État à ce titre doivent être rejetées ;

 

Décide

 

Article 1 – La décision rendue 5 février 2024 par la section disciplinaire du conseil académique de l’université de Bretagne Occidentale compétente à l’égard des enseignants-chercheurs qui a prononcé la sanction d’abaissement d’échelon à l’encontre de Monsieur XXX est annulée.

 

Article 2 – Monsieur XXX est sanctionné d’un blâme.

 

Article 3 – Il est enjoint à l’université de Bretagne Occidentale de reconstituer la carrière de Monsieur XXX et de retirer de son dossier personnel la sanction infligée en première instance, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

 

 

Article 4 – Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

 

Article 5  Dans les conditions fixées aux articles R. 232-41 et R. 232-42 du Code de l’éducation susvisé, la présente décision sera notifiée à Monsieur XXX, au président de l’université de Bretagne Occidentale, au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et publiée, sous forme anonyme, au Bulletin officiel de l’enseignement supérieur et de la recherche ; copie sera adressée, en outre, au recteur de l’académie de Rennes.

 

Délibéré à l’issue de la séance du 29 janvier 2025, où siégeaient Christophe Devys, président de section au Conseil d’État, président du Cneser statuant en matière disciplinaire, Frédérique Roux, Lilian Aveneau, Marguerite Zani, Jean-Luc Hanus, Julie Dalaison, Véronique Reynier, Fabrice Guilbaud, Anna Pappa Delbano, membres de la juridiction disciplinaire.

 

Fait à Paris le 20 février 2025,

 

Le président,
Christophe Devys

La vice-présidente,
Frédérique Roux

Le greffier en chef,
Éric Mourou

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