Publié le 19.10.2018

Concertation sociale sur la professionnalisation du 1er cycle post-bac: discours de Frédérique Vidal

Frédérique Vidal est intervenue jeudi 18 octobre 2018 lors de la concertation sur le développement et la modernisation des filières courtes professionnalisantes dans l’enseignement supérieur.

Étudiants qui travaillent sur des ordinateurs

En 15 mois à peine, deux larges concertations nous ont permis de débattre des grandes réformes qui traversent aujourd’hui l’enseignement supérieur et qui inscrivent la réussite de l’étudiant au cœur des stratégies des établissements.

Qu’il s’agisse de l’accès à l'enseignement supérieur ou de la rénovation de la Licence, nous sommes ainsi parvenus à tracer, ensemble, des perspectives nouvelles et à faire bouger les lignes. Bien sûr, nous n'avons pas été en accord sur tout et les désaccords avec telle ou telle organisation ont pu être marqués et parfois vifs. Mais nous avons su nouer un vrai dialogue et je m'en réjouis.

Nous ouvrons aujourd'hui un nouveau chantier. Il est crucial: il s'agit d'aller jusqu'au bout du travail que nous avons engagé autour de la réussite étudiante, en agissant ensemble pour améliorer les perspectives d'insertion professionnelle et en ouvrant de nouvelles voies de réussite aux étudiants qui entrent dans l'enseignement supérieur.

En effet, faire "réussir" un étudiant, c’est aussi le mettre en capacité de s’insérer dans une vie professionnelle qui répondra à ses attentes et à son projet. Une vie professionnelle véritablement "choisie" et certainement pas "subie".

Cette insertion professionnelle, il peut la rechercher après ce que l’on nomme un peu rapidement des études dites longues.

Mais il peut également ne pas vouloir attendre et préférer rechercher son premier emploi aux termes d’études plus courtes de 2 ou 3 années qui constituent ce que l’on appelle aujourd’hui le "premier cycle post-bac".

Ce premier cycle, on le sait, est constitué de diplômes qui ont été conçus pour permettre une insertion rapide dans le monde professionnel. Je pense aux B.T.S., aux D.U.T., à la Licence professionnelle et même, bien sûr, à la Licence générale qui, on ne le rappelle pas suffisamment, poursuit le double objectif d’une poursuite d’études et d’une insertion professionnelle immédiate.

 Pour une fois cependant, je voudrais que nous raisonnions « autrement » et que, de manière plus pragmatique, nous nous interrogions d’abord sur ce qu’est une insertion professionnelle réussie. Ce n’est que dans un second temps que nous pourrons nous saisir des outils dont nous disposons - les diplômes – et nous assurer qu'ils ouvrent bien les portes du monde du travail. Car si un diplôme n'est pas qu'un sésame pour la vie professionnelle, c'est aussi une de ses fonctions - et une fonction centrale.

L’importance de l’enjeu n’échappera à personne et ce, d’autant que la situation des jeunes sur le marché du travail n’est pas satisfaisante. Nous le savons tous, le taux de chômage des jeunes dépasse de manière significative la moyenne nationale :

  • près de 14% des 20-24 ans sont au chômage,
  • et 15% des 15-29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.

Or, la diplomation joue évidemment ici un rôle déterminant :

  • d’une part, les jeunes les moins diplômés connaissent un taux de chômage trois fois supérieur à celui des diplômés de l’enseignement supérieur,
  • d’autre part, les non-diplômés mettent en moyenne un an pour accéder à leur premier emploi en CDI, contre un peu plus de 3 mois pour les diplômés du supérieur,
  • enfin, la spécialité du diplôme, voire sa filière d’accès (classique ou en alternance) n’est bien sûr pas indifférente à l’insertion professionnelle du jeune diplômé.

Mais il n’y a pas que cela. En effet, outre cette traditionnelle question du taux d’accès à l’emploi, se pose également la question de savoir si l'insertion est réussie.

Cette réussite, elle se mesure d'abord au fait que le premier emploi correspond bien aux connaissances et compétences acquises durant la formation mais, également, que la formation initialement reçue et constamment enrichie permet une évolution professionnelle tout au long de la vie.

Or, de ce point de vue encore, les chiffres ne sont pas satisfaisants :

  • 35 % des 15-29 ans ont un contrat temporaire (C.D.D., intérim, apprentissage) qui conduit de moins en moins à un emploi stable,
  • et 45 % des jeunes en emploi après un Bac +2 ou un Bac +3 n’ont pas été formés pour le travail qu’ils occupent.


C’est dire si le sujet qui nous réunit aujourd’hui est un sujet majeur qui pose nombre de questions... des questions connues depuis plus de 20 ans mais qui n’ont en réalité jamais été résolues, malgré d'indéniables progrès.

Les premières questions sont évidemment relatives au contenu de la formation et au parcours suivi :

  • Doit-on privilégier un travail sur l'articulation entre le contenu de la formation et les exigences de la vie professionnelle ou développer plutôt la transition vers l’emploi en cours de formation, sur le mode de l’alternance ?
  • Doit-on diversifier les modes de professionnalisation de certaines de nos formations ou adopter une démarche identique pour l’ensemble de nos formations ?
  • Doit-on favoriser des trajectoires d’études linéaires et lisibles au risque de donner un sentiment d’irréversibilité des choix ou doit-on leur préférer des trajectoires qui ne stigmatisent pas les changements de direction et les repentirs, qui favorisent les allers et retours entre formation et vie professionnelle et qui, au fond, permettent à chacun de trouver le modèle de formation qui lui convient ?

Bien entendu, vous aurez compris, en m'entendant formuler ces questions, que j'ai parfois une inclination pour une réponse plutôt qu'une autre. Mais en réalité, nous le savons tous, plus encore que la voie choisie, ce sont les solutions concrètes retenues pour les mettre en oeuvre qui sont centrales. Et c'est bien là l'enjeu: construire ensemble des réponses concrètes qui permettent effectivement de changer la donne, au plus près du terrain et sans se payer de mots.

Ces réponses, nous devons les construire ensemble, dans la concertation, pour permettre à nos collègues de s'en saisir dans l'intérêt de nos étudiants. Là aussi, nous devons faire bouger les lignes et le faire ensemble, chacun dans notre rôle, bien sûr, mais ensemble.

Le sujet de la professionnalisation ne peut cependant se réduire au contenu de la formation. Se pose également la question des résultats concrets de la démarche de professionnalisation qui, si elle a indéniablement progressé dans notre système éducatif, ne garantit pas toujours une insertion professionnelle à Bac +2 ou Bac +3.

Je veux être très claire sur le sujet. Oui, l'enseignement supérieur a su, depuis longtemps déjà, tisser des liens avec le monde professionnel et travailler à l'insertion des futurs diplômés. Oui, certaines formations font figure, depuis des années, de référence, dans les I.U.T., dans les I.A.E. ou dans telle ou telle école. Oui, les formations proprement universitaires ont beaucoup évolué en l'espace d'une décennie.

Dire le contraire, c'est méconnaître la réalité de ce qui se passe réellement dans notre enseignement supérieur. C'est regarder le présent avec les lunettes d'un passé déjà bien lointain. Et nous savons combien l'image de notre enseignement supérieur souffre de ces préjugés datés.

Mais nous devons aussi mesurer le chemin qui reste à parcourir et le faire avec lucidité.

C'est tout l'objet de cette concertation.

Cela veut dire poser toutes les questions, y compris celles qui fâchent. Cela veut dire aussi affronter le poids des mentalités. Le regard que nous portons sur les études dites courtes est en effet très ambigu. Les mots mêmes le montrent.

Ambigu, car si les formations professionnalisantes sont plébiscitées par les étudiants et leurs familles, nous avons encore des difficultés à ne pas voir dans l'insertion professionnelle autre chose qu'un objectif par défaut, comme si on entrait dans la vie active parce qu'on ne peut pas faire autre chose pour telle ou telle raison.

Ambigu, car si les bacheliers généraux sont nombreux à s'engager dans des études dites courtes, c'est avec le projet de poursuivre bien au-delà du bac+2 ou du bac+3. Loin de moi l'idée de les en blâmer, bien au contraire.

Mais ce que nous constatons tous, du même coup, c'est que nous ne sommes pas capables d'accueillir de manière satisfaisante tous les bacheliers qui souhaitent effectivement s'insérer au bout de deux ou trois ans. Et notamment les bacheliers professionnels et technologiques.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Et ce d'autant moins que les étudiants issus des milieux les moins favorisés y sont plus nombreux. Ne pas parvenir à leur proposer une poursuite d'études qui correspond à leurs projets, c'est bien souvent leur fermer la voie de l'ascension sociale. C'est entretenir le poids des déterminations sociales et bien souvent territoriales.

Poser la question de l'accès aux filières professionnalisantes, c'est donc poser aussi la question de la mobilité sociale.

Et cet objectif nous oblige: à nous de trouver les solutions concrètes pour favoriser encore la démocratisation effective de notre enseignement supérieur - celle qui débouche sur l'obtention d'un diplôme et une insertion réussie.

Enfin, et sans avoir évidemment épuisé le sujet, que penser de la lisibilité et de la flexibilité de nos diplômes ?

Est-on par exemple vraiment certain qu’un jeune bachelier comprenne immédiatement ce qui différencie un B.T.S. d’un D.U.T.et d’une licence professionnelle ?

Est-on tout à fait sûr que celui qui choisit de s’inscrire dans une licence générale sait que des éléments de professionnalisation pourront lui être proposés ?

A-t-on la certitude que l’étudiant qui débute en licence générale et qui ne s’y épanouit pas a la possibilité de se réorienter dans des formations professionnalisantes ?

Et la question rebondit bien sûr du côté du monde de l’entreprise. Au-delà de l’intitulé de la formation ou du type de diplôme, connaît-il précisément les connaissances et compétences de celui qu’il recrute ? Arrive-t-il à s’y retrouver dans notre offre de formation et à savoir facilement ce qu’il peut attendre d’un jeune auquel il hésite à proposer son premier emploi ? Et au-delà, est-il certain que cette formation lui a permis d’acquérir toutes les compétences et connaissances nécessaires pour évoluer dans un monde professionnel qui est confronté à des changements de plus en plus rapides ?



Ces questions, je l’ai dit, sont connues. Les pistes de solution le sont également. Si nous voulons apporter des réponses, nous devons les saisir de manière globale : ne parler que du D.U.T., de la Licence, de la Licence professionnelle ou des formations proposées par les grandes écoles n’aurait pas de sens.

Il nous faut avancer de manière cohérente dans une double direction.

Notre réflexion doit d’abord porter sur la manière dont l’Etat réinterroge ses diplômes.

Comment "nos" diplômes se mettent-ils en capacité de répondre encore davantage qu’ils ne le font aujourd’hui à tous ces défis ? Comment y répondent-ils ensemble ? Comment construisent-ils un dialogue entre équipes pédagogiques ? Comment se répartissent-ils les rôles ? Comment répondre aux attentes et aux aspirations de tous les étudiants? Comment valoriser les diplômes ou parcours professionnalisants ? Voilà certaines des questions auxquelles il conviendra de répondre.

Je veux le dire très clairement, ces questions, je les aborde sans tabou : toutes les pistes doivent pouvoir être examinées, qu’il s’agisse de faire évoluer les D.U.T. et d’aller vers des formations en 3 ans, de questionner la Licence professionnelle et son articulation au reste du dispositif ou de mieux reconnaître les formations innovantes qui voient le jour dans notre enseignement supérieur.

Mais en retour, nous devons collectivement être exigeants : exigeants sur ce que nous entendons par "professionnalisation", qui n’est pas et ne peut pas être un simple vernis que l’on appliquerait sur telle ou telle formation existante ; exigeants sur la cohérence d’ensemble de notre système de formation ; exigeants sur sa lisibilité, qui est aujourd’hui très largement insuffisante ; et exigeants enfin sur notre capacité collective à aller jusqu’au bout de la démocratisation de notre enseignement supérieur.

Je veux être très claire : travailler sur les filières courtes professionnalisantes, ce n’est en aucun cas enfermer les jeunes dans des destins tout tracés, bien au contraire : les passerelles doivent être partout.

Mais ce doit aussi être l’occasion pour nous de réfléchir à la manière dont nous accueillons, dans l’enseignement supérieur, les étudiants les plus fragiles, ceux pour lesquels les études supérieures ne sont pas une évidence, qui ont parfois beaucoup hésité et qui ont besoin d’être accompagnés.

C’est vrai à l’université, avec les "Oui si". C’est vrai aussi en B.T.S. et c’est tout le sens des classes passerelles, que nous avons mises en place avec Jean-Michel Blanquer et qui nous permettent de construire de nouveaux parcours en 3 ans qui conduisent aux B.T.S.. Ce doit être vrai aussi pour les D.U.T., que nous devons ouvrir plus largement encore aux bacheliers technologiques.

L’enseignement supérieur n’est pas qu’une juxtaposition de formations. C’est un tout, un ensemble, un système cohérent qui répond à une seule et même mission de service public, qui a un même rôle social : accueillir, accompagner et former les futurs étudiants, quels qu’ils soient. Aucun de nous ne peut se désintéresser de l’accueil des étudiants dans toute leur diversité.

Mais la réflexion doit également s’ancrer dans nos territoires. Car la professionnalisation, c’est à cette échelle qu’elle se construit le mieux, dans le dialogue avec les collectivités territoriales et le monde économique.

Ce dialogue, les établissements le conduisent tous les jours. Et je l’ai engagé également, à mon niveau, avec les présidents de conseils régionaux et avec les élus. Je le poursuivrai au cours des mois qui viennent, avec comme objectif de favoriser l’émergence, sur l’ensemble du territoire, de formations nouvelles qui répondent aux besoins des territoires et qui favorisent leur développement.

Le seul mot clef, c’est d’oser : oser sortir des sentiers battus ; oser proposer des formations qui n’existent pas ailleurs et qui ont une résonnance particulière sur le territoire qui les co-construit ; oser mettre en place des formations qui peuvent rapidement s’adapter aux évolutions socio-économiques que connaît nécessairement tout bassin d’emploi.

C’est aussi notre rôle collectif. L’université doit construire des savoirs et faire avancer la connaissance. Mais elle doit aussi les diffuser largement dans l’ensemble de la société et permettre à ce savoir de produire tous ses effets.

Faire bouger ainsi les lignes et imaginer ensemble des réponses concrètes à l’exigence de professionnalisation, c’est une lourde tâche.

Mais je vous connais. Je me connais. Je connais notre engagement collectif. Je sais que nous partageons la volonté d’accompagner notre jeunesse vers la réussite. J’ouvre donc cette concertation avec confiance et détermination.

Je vous propose, pour avancer dans ce chantier, de retenir une méthode un peu différente de celle qui était la nôtre jusqu’ici.

D’une part, je souhaite la création d’un unique groupe de travail et non d’une série de groupes traitant, de manière séparée et cloisonnée, d’une série de sujets. Un groupe qui, bien sûr, s’enrichira au fil des réunions d’experts, de témoignages et de regards extérieurs qui viendront nourrir le débat... mais un groupe unique qui, de manière globale et transversale, répondra à chaque question posée.

D’autre part, je souhaite également que les débats puissent prendre pour point de départ une « contribution » qui serait, à chaque séance et en fonction des sujets, demandée à des acteurs "clés" du dispositif. La discussion s’en trouvera ainsi considérablement enrichie.

Mon objectif, c’est que nous puissions, d’ici la fin de l’année, faire un premier point d’étape sur l’avancement de vos travaux et de vos réflexions. Et je vous propose donc, sans plus attendre, de vous passer la parole pour un premier échange.

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