Je tenais tout d'abord à vous remercier d'avoir répondu présent et d'être ici, aujourd'hui, pour le lancement de la concertation sur l'entrée dans le premier cycle et pour réfléchir aux évolutions de son organisation.
Cet échange, il était essentiel que nous l'ayons rapidement. J'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec la majorité d'entre vous et de partager de premiers éléments de constat que nous aurons l'occasion de rappeler aujourd'hui. Il faut maintenant aller plus loin et le faire ensemble.
La raison en est simple : chacun voit bien, au lendemain du 3e tour d'A.P.B., que le système est à bout de souffle et, même si je suis persuadée que nous parviendrons à trouver des solutions pour la majorité des candidats sans affectation, je crois que nous devons modifier profondément les choses d'ici la rentrée prochaine.
Je commencerai donc par le constat.
Un système à bout de souffle
Nous ne sommes plus en mesure d'accueillir de manière satisfaisante chaque étudiant.
Vendredi dernier se déroulait le troisième tour d'Admission Post-Bac. Nous sommes mi-juillet et il y a encore près de 9 726 étudiants en attente sur une licence non sélective de leur secteur. 2 465 sont de nouveaux bacheliers. De nombreux autres étudiants qui n'ont pas été pris dans une formation sélective ou qui ont refusé une proposition se trouvent aujourd'hui sans affectation.
Cette situation est inacceptable.
D'ici la rentrée universitaire 2017, avec les présidents et en lien avec les services académiques, nous allons continuer à travailler au cas par cas pour que chacun puisse trouver une solution. Depuis la fin du mois de mai, la mobilisation est générale, en PACES, en droit, en S.T.A.P.S., dans toutes les filières sous tension, pour résoudre les difficultés et trouver des solutions.
Avant toute chose, je veux donc saluer tous ceux qui, dans les universités, dans les services des ministères et dans les services académiques, travaillent d'arrache-pied pour débloquer la situation et réduire, tour après tour, le nombre d'étudiants sans solution.
Avec leur aide et en utilisant pleinement la procédure complémentaire, où les places vacantes se comptent en centaines de milliers, nous parviendrons à trouver une solution pour nos futurs étudiants.
Mais cela n'en reste pas moins un immense gâchis.
Le tirage au sort en est le meilleur exemple : faute d'avoir sû construire ensemble des modalités d'entrée dans le premier cycle qui permettent une orientation active, progressive et personnalisée, nous en sommes réduits à fermer les yeux sur la diversité des parcours, des attentes et des acquis de nos étudiants et à tirer au sort ceux qui auront la possibilité de suivre la formation qu'ils souhaitent, sans garantie de succès pour eux.
Le résultat, ce sont des dizaines de milliers d'étudiants qui ne feront pas les études de leur choix. Ce sont les portes de tel ou tel cursus qui se ferment devant des bacheliers qui ont pourtant toutes les chances d'y réussir. Et d'autres qui obtiennent une place dans cette même formation, alors même qu'ils ont toutes les chances d'y échouer s'ils ne sont pas accompagnés.
Il est là, le vrai scandale du tirage au sort : lorsque le hasard décide d'une inscription à l'université, comment s'étonner que l'immense majorité de nos étudiants inscrits en licence soit confronté à l'échec ?
Le deuxième scandale du système ce sont aussi les bacheliers professionnels et technologiques qui sont sans affectation à ce stade de l'année. Parmi les jeunes qui sont toujours en attente de propositions, il y a 4 fois plus de bacheliers technologiques que de bacheliers généraux et 8 fois plus de bacheliers professionnels. Pourquoi ?
Parce qu'ils ont bien naturellement privilégié dans leurs vœux les formations courtes professionnalisantes et qu'ils y sont peu acceptés. Ils arrivent alors en masse dans la procédure complémentaire d'A.P.B. et doivent alors parfois choisir une Licence Générale. Faut-il rappeler ici qu'un bachelier professionnel a moins de 3% de chance de réussir une Licence Générale ? Ce scandale est aussi un scandale social que je ne peux tolérer.
J'insiste donc : l'enjeu, ce n'est pas seulement l'accueil, c'est aussi et surtout la réussite des étudiants.
Le vrai paradoxe, vous le connaissez : jusqu'à la rentrée, dans les filières en tension, il y a trop de candidats et pas assez de places. L'année commencera avec des amphithéâtres bondés. Et au fil des premières semaines, les étudiants seront de moins en moins nombreux. Ces mêmes amphithéâtres vont se vider. Avec, à la clef, un taux d'échec qui est tout simplement insupportable :
- 30% des étudiants abandonnent le cycle universitaire en fin de première année ;
- 27% des étudiants de première année à l'université obtiennent leur licence en 3 ans et ils ne sont que 40% à l'obtenir en 4 ans.
Cette situation, je l'ai connue comme professeur et comme président d'université, vous la connaissez tous, comme enseignants, comme étudiants, comme parents.
C'est donc aussi de cette question de l'échec massif en premier cycle dont nous devons nous saisir.
Alors oui, bien sûr, à la fin, après avoir changé de cursus, les étudiants vont, parfois, souvent même, finir par décrocher un diplôme et là aussi nous le savons tous n'auront pas les mêmes opportunités. Mais que de temps perdu ! Et au final, ces étudiants, ces citoyens, auront un sentiment : celui d'avoir été seul, sans aide réelle du système, et cela contribuera à nourrir une incompréhension, un rejet de ce système.
La conclusion est simple même si la mise en œuvre de la solution va nécessiter toute notre imagination et notre engagement : nous devons sortir de la sélection par l'échec et proposer à chaque étudiant un parcours vers la réussite.
Certains d'entre vous ont d'ores et déjà eu l'occasion d'affirmer leur opposition à toute forme de sélection.
Mais il faut être très clair : la sélection est une réalité, c'est la réalité que nous vivons. Ces amphithéâtres qui se vident en l'espace de quelques semaines, ces nouveaux étudiants qui décrochent parce qu'ils n'ont pas les acquis nécessaires pour suivre la formation qu'ils avaient choisie, ils sont bel et bien sélectionnés par l'échec.
Je suis convaincue que l'accès de tous les bacheliers à l'enseignement supérieur doit rester un droit. Je vous le dis solennellement, ce droit n'est pas négociable.
Mais ce droit doit être une réalité. Quand un étudiant rejoint une filière, nous devons lui donner les moyens de réussir. Nous lui devons une information pleine et entière. Nous lui devons la vérité : lorsque son parcours et ses acquis sont en décalage avec les exigences objectives d'un cursus, nous devons lui dire que ses chances sont faibles, nous devons lui faire des propositions pour mettre toutes les chances de son côté, par exemple en lui proposant de faire sa licence en 4 ans ou de suivre des modules renforcés dans les matières-clefs en première année ou en l'accompagnant socialement.
Et nous devons lui signifier clairement que d'autres formations existent, qui lui correspondent bien mieux et dans lesquelles il aurait de vraies chances de réussir dans un premier temps. Car il faut aussi autoriser ceux qui le souhaitent et qui s'en donneront les moyens à penser leurs études tout au long de leur vie et ce sera aussi un sujet dont nous devrons nous emparer.
C'est la raison pour laquelle j'ai d'ores et déjà demandé à l'ensemble des présidents d'université de porter à la connaissance des étudiants les "prérequis" identifiés par leurs équipes pédagogiques dans chacune des filières et les résultats obtenus en fonction des filières générales, technologiques ou professionnelles précédemment suivies.
Cela a suscité des réactions, parfois des inquiétudes. C'est pourtant la première des informations que nous devons à nos étudiants : nous devons leur dire quelles sont les compétences et disciplines-clefs pour réussir, nous devons leur dire à quoi ressemble exactement le cursus qu'ils vont suivre, nous devons leur indiquer quelles sont leurs réelles chances de succès.
L'entrée dans l'enseignement supérieur est et doit rester l'occasion d'un nouveau départ, un moment où l'on rebat les cartes et où le champ des possibles est à nouveau ouvert.
Mais si nous voulons maintenir cette ouverture, alors nous devons répondre aux questions suivantes :
- comment faisons-nous face aux licences en tension, où le nombre de places est largement inférieur au nombre de candidatures ? Je pense aux STAPS, par exemple, où chacun voit bien que l'ouverture de places n'est pas une solution, sauf à tirer un trait pur et simple sur l'insertion professionnelle des étudiants ;
- comment faisons-nous pour que les bacheliers issus des séries technologiques et professionnelles soient accueillis dans la filière de leur choix ? Car nous le savons, aujourd'hui, rares sont ceux d'entre eux qui s'inscrivent à l'université par choix. Ils le font bien souvent parce qu'ils n'ont pas de place en STS ou à l'IUT ou encore car ils ne sont pas en capacité de rejoindre le monde du travail. Nous ne pouvons pas être aveugles à cette réalité. Et je le redis avec force : la solution, là aussi, n'est pas de fermer la porte de l'enseignement supérieur à ces bacheliers, mais de leur faire de vraies propositions, qui leur donnent de vraies chances.
- comment personnalisons-nous les cursus pour prendre en compte le profil de chacun, repérer les forces, compenser les faiblesses, bref, comment accompagnons-nous nos étudiants ?
Répondre à ces questions, c'est bâtir le "contrat de réussite étudiant" que le président de la République et le premier ministre ont proposé aux Français de mettre en place.
Pourquoi un tel contrat ?
Parce qu'avec le tirage au sort, nous sommes arrivés au bout d'une logique, qui fait comme si deux étudiants candidats dans une même formation se ressemblaient, comme deux éléments d'un ensemble interchangeable, qu'il s'agirait de parvenir à « affecter » sur une place vacante.
Nous devons en finir avec le traitement de masse, qui est la vraie cause de l'échec.
Nous devons apprendre à faire du sur-mesure, en proximité et non pas uniquement via une plateforme désincarnée.
Nous devons travailler ensemble pour que chaque étudiant ait une proposition, qui corresponde à ses vœux, qui prenne en compte son histoire, son parcours, sa motivation, ses forces, mais aussi ses fragilités et qui lui donne toutes les chances de réussir.
Ce contrat de réussite étudiant, c'est à nous de l'imaginer ensemble. Il sera ce que nous en ferons.
Une méthode : une concertation ouverte et nourrie par l'ensemble des acteurs
Car cette réforme du premier cycle, fondée sur l'accueil et la réussite des étudiants, nous la construirons ensemble, dans le dialogue et la concertation.
Nous ne serons sans doute pas d'accord sur tout. Nous aurons des différences, des divergences. Le moment venu, le Gouvernement prendra ses responsabilités pour proposer une nouvelle organisation du premier cycle aux Françaises et aux Français.
Mais cette réforme, c'est de notre dialogue qu'elle naîtra. Je souhaite que nous puissions mettre tous les sujets sur la table, que nous les abordions sans œillère, sans posture et sans tabou.
Vous tous qui êtes ici rassemblés, vous êtes les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous êtes experts de ces questions. Et je le dis très clairement : je suis prête à examiner toutes les propositions, toutes les idées, d'où qu'elles viennent.
Aujourd'hui, c'est un diagnostic que nous devons partager et de premières pistes que nous devons tracer. Dès demain, commenceront des réunions bilatérales, où nous travaillerons avec chacun d'entre vous pour affiner l'analyse et identifier les idées qui vous paraissent les plus prometteuses.
Dès la dernière semaine du mois d'août, je vous proposerai de nous retrouver pour poursuivre les échanges, identifier les grands thèmes de travail et converger sur l'architecture de la réforme. Des groupes de travail seront alors constitués pour bâtir les grandes propositions tout au long du mois de septembre.
Enfin, sur la base de ces échanges et de ce dialogue, nous consoliderons ces propositions au moins d'octobre, avec un horizon : renouveler notre manière d'accueillir et d'accompagner les étudiants avant la rentrée 2018 et en finir ainsi avec le tirage au sort.
Car encore une fois, cette réforme sera bâtie sur une exigence simple : un bachelier doit pouvoir trouver une place adaptée à son parcours et à ses souhaits dans le supérieur. En tenant compte bien entendu des capacités d'accueil qui elles-mêmes doivent intégrer les besoins socioéconomiques du pays. Mais si nous voulons en finir avec les solutions de simplicité, nous devons être imaginatifs et nous devons l'être ensemble.
Aussi, c'est à vous que je vais à présent passer la parole. À chacune et à chacun d'entre vous, je veux poser deux questions :
- partagez-vous le constat que je viens d'exposer – et notamment la nécessité absolue d'en finir avec le tirage au sort ?
- si vous partagez ce constat, quelles sont les pistes que vous souhaiteriez que nous explorions ensemble ?
Je vous remercie.