Publié le 03.05.2024

Discours de Sylvie Retailleau à l'occasion de sa rencontre avec les présidents d'université

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a prononcé un discours à l'occasion du conseil d'administration de France Universités jeudi 2 mai 2024.

SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI

Monsieur le Président, cher Guillaume,

Mesdames les Présidentes,

Messieurs les Présidents,

J’ai l’habitude de m’adresser assez souvent et directement à vous, sans un trop grand formalisme. Pourtant aujourd’hui, alors que les derniers jours ont été particulièrement mouvementés pour nos établissements, je souhaite conférer à cette prise de parole une solennité particulière.

Depuis plusieurs semaines, des revendications s’expriment de manière de plus en plus radicale sur nos campus, ne permettant pas le dialogue. Ce mouvement, partant des États-Unis, s’étend sur la planète, en Europe, en Australie, en Inde, pouvant même conduire à des affrontements entre groupes d’étudiants comme nous l’avons vu hier à Los Angeles. Par-delà les revendications, ce sont surtout les modes d’action qui ont connu une escalade, ce que je condamne fermement. Une petite minorité d’étudiants ne peut pas bloquer une majorité d’étudiants et faire régner un climat de peur voire de violence par des propos et des gestes inacceptables, d’autant quand on leur propose un cadre de débats respectueux où la liberté d’expression se conjugue avec les valeurs universitaires, le respect de la loi et les principes de la République.

Je l’ai dit et je le redis : le débat et la liberté d’expression, oui, c’est même une des vocations des universités. Mais cela n’autorise pas tout, et les blocages et les intimidations, c’est non.

Parallèlement, vos réactions, vos décisions, sont attaquées de toutes parts. Elles sont attaquées parfois au-delà de la caricature. Je pense par exemple aux décisions de ne pas autoriser ou d’annuler des conférences au sein de vos établissements.

Si vous laissez faire, on vous accuse de trop laisser faire. Si vous agissez, on vous accuse de trop agir. L’heure n’est visiblement pas à la raison – je le regrette, et pourtant nous avons besoin de réaffirmer quelques principes clairs et autrement plus équilibrés que des tweets agressifs.

Le temps est donc maintenant venu de rappeler à mon tour ce que doit être l’université : ce qui peut et doit s’y passer ; ce qui ne peut pas et ne doit pas s’y passer. Il est nécessaire que nous puissions redire ensemble ce qu’est l’université et ce que nous voulons pour nos étudiants, nos enseignants, nos chercheurs, pour l’Université, avec un grand U.

En premier lieu, et parce que les polémiques du moment semblent détourner tout un chacun de cette évidence, je veux rappeler le rôle fondamental de l’Université : la construction et la transmission des savoirs.

Tout le reste, je dis bien tout le reste ne peut s’apprécier qu’à l’aune du respect de cette identité première de nos établissements. Et pour cela, pour accomplir sa mission, l’Université a besoin d’un cadre apaisé, de pouvoir fonctionner sereinement et donc de démocratie, de pluralité et de neutralité.

*

Alors d’abord, la démocratie. L’Université en est le bastion. Pourquoi ?

Car au fondement de l’idée même d’université, il y a la foi en l’intelligence humaine, l’intelligence collective et dans le pouvoir de l’éducation et du savoir.

C’est la combinaison de ces trois piliers qui permet de cheminer ensemble pour construire et transmettre le savoir. Et c’est cela, seulement cela mais c’est déjà beaucoup en fait, qui légitime la possibilité d’y tenir des débats, d’y échanger des idées. Oui, vous avez raison, je cite votre tribune : "les universités sont des bastions démocratiques et entendent le rester" ! C’est pour cette raison que je refuse qu’elles soient instrumentalisées à des fins politiques. Il en va des principes fondamentaux de notre République et de l’image de la France dans le monde.

Il est bon aussi de rappeler que le code de l’éducation et les franchises universitaires permettent de garantir ce cadre de liberté et de responsabilité. Alors, je ne vais pas faire devant vous de cours de droit ou d’histoire, laissant cela aux experts de nos établissements d’ESR.

Notre droit et notre Histoire, vous les connaissez comme moi. Mais comme je sais qu’un article datant de 1970 du Doyen Vedel – grande figure s’il en est de l’université et de Sciences Po – circule entre vous, je voudrais faire mienne une citation de ce dernier : "La plus sûre manière d’assassiner une liberté est d’en donner une image absurde". Ne tombons pas dans le piège !

Simplement, rappelons encore et toujours ce que signifient les franchises qui sont tout sauf un élément du folklore ou un privilège des présidents !

Les deux franchises majeures sont, je continue de citer le doyen Vedel, d'une part, le pouvoir juridictionnel de l'Université, d'autre part son pouvoir de police. Le pouvoir juridictionnel, c’est l'existence de juridictions universitaires et donc d’un dispositif de sanctions disciplinaires. Cette compétence disciplinaire n’écarte pas pour autant les enseignants-chercheurs et les étudiants du respect du droit pénal commun, j’y reviendrai.

L'autre franchise, c’est la police administrative. Oui, les présidentes et les présidents sont responsables du maintien de l'ordre dans l’enceinte universitaire. Et la police ne peut y entrer que sur réquisition de l’autorité universitaire, c’est-à-dire vous, ou sur appel au secours.

Je connais et mesure la responsabilité qui vous incombe mais je sais aussi que votre main ne tremble pas quand il s’agit de signer la réquisition. Et je sais aussi la solidarité qui anime votre Conférence pour accompagner ces situations difficiles, et vous savez que le Gouvernement n’y a jamais été défavorable lorsque la situation l'exigeait. Ne laissons pas dire que les présidentes et les présidents sont démunis. Je vous demande donc d’utiliser l’étendue la plus complète des pouvoirs que vous confère le Code de l’éducation. C’est à ce prix que nous convaincrons nos concitoyennes et nos concitoyens de la pertinence de nos franchises, de toutes nos franchises. Ne tirons pas un trait sur cet héritage pluriséculaire au nom des agissements d’une toute petite minorité qui instrumentalise honteusement notre jeunesse !

Cette instrumentalisation, celle qui pousse à l’escalade et à la radicalisation, nous devons la combattre. Nous devons la combattre car elle éloigne l’Université des deux grands principes démocratiques qui la sous-tendent : la pluralité et la neutralité.

Je commence par la neutralité. L’Université est le siège de la neutralité en ce sens qu’elle participe au service public de l’enseignement supérieur. C’est cette neutralité qui garantit que tout usager, qu’il soit étudiant, enseignant, chercheur ou personnel de l’établissement, soit à sa place à l’Université. Quelles que soient ses convictions politiques, religieuses ou encore philosophiques. Quelle que soit sa condition, son origine ou sa couleur de peau.

Je ne me résoudrai jamais à ce qu’un étudiant ou une étudiante ait peur de se rendre à l’université à cause de sa religion. À ce qu’il ou elle demande à suivre les cours en distanciel pour ne pas avoir à être confronté à un climat incertain, quand il n’est pas franchement hostile.

Vous partagez cette conviction, je le sais. Et je vous demande d’y veiller encore plus, par des mesures de prévention, de protection, j’y reviendrai par la suite, et aussi des sanctions quand cela s’impose.

Dans ce cadre, les mesures de police qui sont les vôtres doivent être motivées par la conservation ou le rétablissement de l’ordre public. Un étudiant menacé par un autre, c’est un motif. Aussi, vos pouvoirs vous permettent de prendre des mesures conservatoires comme l’interdiction temporaire d’accès de l’établissement à des personnes qui s’adonneraient à de tels comportements. Je vous demande de le faire quand c’est nécessaire.

Il va de soi également, dans ces conditions, qu’il est hors de question que les universités prennent une position institutionnelle en faveur de telle ou telle revendication dans le conflit en cours au Proche-Orient. Cela serait du reste contraire au principe de spécialité en vertu duquel elles ne peuvent exercer d’autres missions que celles qui leur sont expressément confiées par les textes régissant leurs compétences. Cela vaut tout aussi bien pour une déclaration institutionnelle sur les revendications des belligérants, notamment les frontières au Proche-Orient, que pour quelque boycott que ce soit vis-à-vis des partenariats académiques ou économiques en lien avec un pays en particulier, Israël en l’espèce. Ce serait contraire aux prérogatives des universités et, encore une fois, inacceptable au regard de la jurisprudence constante de nos juridictions en matière de neutralité du service public.  

S’agissant de la pluralité des expressions, c’est votre rôle essentiel que de la garantir. Mais comme j’ai eu l’occasion de le dire à maintes occasions depuis quelques jours, le débat, c’est oui ; le blocage, c’est non.

Et l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit.

C’est pourquoi je vous demande de renforcer vos dispositifs pour permettre à tous les débats de se tenir dans vos établissements, dans le respect de la loi, naturellement, mais aussi des personnes et des idées. Si les procédures prévues par vos règlements de la vie étudiante ne sont pas assez protectrices de cette pluralité, je vous demande d’y travailler ou de les compléter par des chartes partagées entre vos gouvernances et les associations étudiantes notamment.

*

Voilà pour les principes. Je voulais les réaffirmer devant vous.

Et désormais, pour les faire vivre, je veux donner quelques perspectives de l’action du ministère pour soutenir vos efforts. Je ne reviens pas sur tout ce qui a déjà été fait : la lettre que je vous avais adressée le 9 octobre, le dispositif spécifique de suivi des événements dans les universités depuis le 7 octobre, notamment les actes à caractère antisémite, la structuration du réseau des référents "racisme, antisémitisme" avec notamment la réunion d’octobre 2023 et la circulaire de janvier 2024, etc. Vous en êtes partie prenante, en particulier en travaillant à une meilleure visibilité pour les étudiants sur les outils de prévention, de protection et de sanction mis en place dans vos établissements.

Mais il faut aller plus loin.

Nous mettrons en place, à la rentrée, un nouveau système de signalement dans l’application DIALOGUE.

Cette application, vous la connaissez bien et, si j’en crois les retours de mes services, vous l’appréciez pour ce qu’elle facilite la tâche des établissements et qu’elle est ergonomique. Elle permettra d’opérer un suivi de bout en bout de la chaîne entre la survenue de l’acte et son dénouement disciplinaire et/ou judiciaire dans un système d’information unifié, accessible aux gouvernances des universités, aux rectorats et à l’administration centrale.

Nous aurons besoin, au début de l’été, d’établissements bêta-testeurs de cette nouvelle procédure.

Je vous demanderai donc de me faire parvenir une liste d’établissements volontaires. Grâce à ce nouveau traitement dans un Système d’Information unifié, nous pourrons à chaque instant dire combien d’actes ont été signalés, combien ont fait l’objet d’une saisine disciplinaire et d’un signalement de l’article 40 et quelle suite a été donnée.

Ce sera un puissant levier d’accompagnement de nos politiques publiques de lutte contre l’antisémitisme, mais aussi le racisme, les discriminations ou encore les VSS dans les universités, puisque cette procédure sera également dupliquée pour ces situations.

Dans l’intervalle, c’est-à-dire jusqu’à la fin de l’année universitaire, je vous demande de procéder scrupuleusement aux transmissions d’informations prévues par le Code, par les procédures actuelles. Nous les consoliderons au ministère pour disposer d’une vue d’ensemble.

Il ne vous aura pas échappé que le Parlement est particulièrement attentif à la situation au sein de nos établissements. Dans le cadre de la mission de contrôle que lui confie la Constitution, il a lancé des travaux, je pense par exemple à la mission d’information des sénateurs Lévi et Fialaire sur la montée de l’antisémitisme. Ce sont des sujets importants et il est crucial que nous puissions utilement éclairer ces travaux et informer le Parlement des actions menées, avec des données fiables et consolidées.

Nous renforcerons également la formation des présidents nouvellement élus, qui sera aussi ouverte à vous tous déjà en responsabilités, formation dans laquelle figurera un module spécifique à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, à la prévention des discriminations et à l’ensemble des enjeux de société auxquels vos nouveaux collègues et vous-mêmes êtes confrontés dans l’exercice de vos fonctions.

Nous aurons en outre besoin de vous pour renforcer un module du même type pour les responsables d’associations étudiantes au moment de leur procédure d’agrément ou de reconnaissance dans vos établissements.

Dans un esprit proche, le ministère travaille au développement de partenariats avec des associations du champ citoyen et mémoriel – par exemple, celles qui transmettent la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, mais pas uniquement – permettant d’envisager des actions communes entre les deux écosystèmes dans la sensibilisation des étudiants à la lutte contre l’antisémitisme. Je forme le vœu que les établissements et les rectorats développent à leur tour de telles conventions à l’échelle territoriale.

Enfin, pour renforcer nos argumentaires communs en matière de réponse aux revendications de suspension des coopérations universitaires dans le cadre des conflits internationaux, j’ai saisi le Collège de déontologie.

Je lui demande de préciser dans quel cadre s’inscrit, au regard des principes déontologiques des codes de la recherche, de l’éducation et de la fonction publique, la coopération scientifique et technologique internationale, si essentielle pour nos universités, dans les domaines de la formation, de la recherche et de l’innovation, et qu’il puisse également proposer des repères et des lignes dont vos établissements pourront se saisir pour définir leur propre stratégie de collaboration. En complément, j’attends que le Collège rappelle le rôle et la place de l’Université dans l’organisation des débats publics et précise dans quel cadre ils doivent s’inscrire, tout en garantissant la pluralité et la liberté d’expression, en accord avec ses missions, dans le respect des personnes et des idées de chacun.

Vous l’aurez compris, Mesdames et Messieurs, notre mobilisation est pleine et entière. Mais elle ne portera ses fruits que si, main dans la main, les pouvoirs publics et les établissements avancent ensemble pour déployer ce plan d’action. Je sais pouvoir compter sur vous et vous en remercie.

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Service presse du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR)

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