SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI
La semaine dernière, nous avons perdu un géant.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour l’honorer.
Explorateur, ethnologue, géomorphologue, éditeur et écrivain.
Orphelin de père à 17 ans et de mère à 21 ans, orphelin aussi d’une certaine idée de la France après la défaite de 40, Jean Malaurie choisit, après la guerre, d’étudier la géographie.
La géographie, cette discipline dont Saint-Exupéry disait, je le cite, « c’est très utile, si l'on est égaré pendant la nuit. » Peut-être était-ce donc une évidence de choisir, au sortir de la guerre, après la nuit, cette belle matière, qui nous aide à comprendre le monde.
C’est ce statut de géographe qui lui vaut d’être recruté par Les Expéditions polaires françaises, dirigées par Paul-Emile Victor. C’est sa première mission, au Groenland, en 1948.
En 1950-1951 il mène, en solitaire, une expédition au nord de Thulé. C’est là sa première rencontre avec le peuple Inuit. « Là commence ma vie », avait-il l’habitude de dire.
Et le 29 mai 1951, il est le premier homme, avec l’Inuit KUTSIKITSOQ, à atteindre le pôle Nord géomagnétique, avec deux traîneaux à chiens.
En 1979, il devient directeur de recherche. Géomorphologue de formation, ses travaux se réclament de la triple tradition d'Emmanuel de Martonne et de Fernand Braudel, l'un géographe, l'autre historien, et de Gaston Bachelard qui s'est interrogé sur le pouvoir de l'imaginaire et des forces de la nature. Ses travaux scientifiques portent sur le Nord du Groenland, l'Arctique central canadien, les îles du Détroit de Béring, les côtes alaskiennes et la Tchoukotka, région du Nord-Est de la Russie, mais ses travaux portent aussi sur les rapports de l'homme avec la nature.
Chez les Inuits dont il a partagé intimement la vie jusque dans des iglous de neige, il s’attache au dynamisme social qui a sans cesse restructuré ces groupes, inspirés sensoriellement des écosystèmes physiques, et qu'il décrit parfaitement dans ses ouvrages « Ultima Thulé : De la découverte à l'invasion » publié en 1990 et « L'Appel du Nord », paru en 2001.
Il était également président de 15 congrès internationaux arctiques et l'auteur de neuf films sur l'Arctique, dont « La Saga des Inuits » série de 4 films pour France 5, produite par l'Institut national de l'audiovisuel.
Passé de la géographie physique à l’ethnologie il fonde, en 1955, la collection « Terre humaine » aux Editions Plon.
Sa méthode interdisciplinaire a fait de cette collection un phénomène d'édition unique au monde dont le cinquantenaire, fêté en 2005, a été l'occasion de la publication de « Terre humaine, cinquante ans d'une collection, hommages ».
De la science des roches à la science des hommes, c’est aussi ce voyage intérieur que résume le titre qu’il avait choisi pour ses mémoires, « De la pierre à l’âme ».
Dans le prolongement de ses nombreuses missions d'exploration et activités d'écriture, Jean Malaurie a fondé en 1957 le Centre d'études arctiques à l’École Pratique des Hautes Études. Il a également présidé diverses associations et fondations, telles la Fondation française d'études nordiques, la Société arctique française ou le Fonds polaire Jean Malaurie du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris.
Cet immense explorateur, qui a mené une trentaine d'expéditions polaires, a reçu de multiples distinctions et décorations, et la France n’était pas le seul pays à ainsi honorer son œuvre.
Je ne les citerai pas toutes mais l’on peut mentionner le Prix de l'Académie des sciences, la Médaille d'Or de la Société arctique française, la Grande Médaille de la Société de géographie, la Patron's Gold Medal, avec la signature de Sa Majesté la Reine Elizabeth II, la Distinction Nersornaat dont il était si fier, ou encore la Distinction de l'Ours polaire, décernée personnellement par le Premier ministre du Groenland à Paris.
Des titres, il en possédait des dizaines. Grand Officier de la Légion d’honneur, Commandeur des Arts et des Lettres, commandeur de l’Ordre national du Mérite, Sage des peuples du Nord.
C’est cette sagesse, qui va nous manquer. Et qui déjà nous manque.
Cette cérémonie nous permet de manifester notre reconnaissance, et notre infinie gratitude.
Jean Malaurie partait sans carte. C’est lui qui les dressait.
Il faisait partie d’une génération marquée par la Guerre. Une génération animée par l’envie furieuse de vivre et de refonder, de reconstruire.
Et la semaine dernière, nous avons perdu un géant.
Peut-être peut-on trouver un peu de réconfort dans l’immense héritage scientifique, humain, sensible, que Jean Malaurie nous a légué, et dans l’idée d’une vie remplie de découvertes, de sagesse, et d’amitiés.
Peut-être peut-on trouver un peu de réconfort aussi dans le fait que peu de temps avant son départ, Jean Malaurie a vécu une semaine spéciale. Car en l’espace d’une semaine, alors que ses pastels, ses « Crépuscules arctiques », étaient exposés à l’UNESCO, il a reçu le prix spécial du jury Roger Caillois.
Homme entier, Jean Malaurie suscitait des amitiés fidèles. En témoigne la présence de son Altesse sérénissime le Prince de Monaco présent aujourd’hui pour honorer la mémoire de ce loyal ami.
Jean Malaurie, dresseur de cartes, amoureux de la liberté, et de l’altérité.
Jean Malaurie, « explorateur et indéfectible ami des Inuits ».
À ce géant qui nous a tant appris, je tiens à dire merci.
À ces proches et sa famille, je tiens à exprimer mes profondes et sincères condoléances.