Le cancer du sein : où en est-on aujourd'hui ?
Le cancer du sein reste un problème de santé complexe et touchant des millions de personnes dans le monde entier. Sa complexité découle d'une large gamme de facteurs de risque contribuant à son développement. Les principaux facteurs de risque du cancer du sein incluent notamment des facteurs génétiques, en particulier les antécédents familiaux de susceptibilité (mutation BRCA), le régime alimentaire et l'obésité, le tabagisme, la consommation d'alcool et l'exposition aux radiations ionisantes. De plus, d’autres facteurs liés à la reproduction, comme les menstruations, la grossesse et l'allaitement peuvent également influencer le développement du cancer du sein.
Bien que la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie restent des options thérapeutiques principales, le cancer du sein a bénéficié ces dernières années des avancées de la médecine de précision, qui personnalise le diagnostic et le traitement en fonction des caractéristiques individuelles et tumorales.
Le cancer du sein n’est pas unique et se compose de sous-types alimentés par des mutations génétiques distinctes. Appréhender cette diversité est essentiel pour élaborer des stratégies de traitement sur mesure, visant à cibler les vulnérabilités spécifiques de chaque tumeur. Par exemple, le sous-typage moléculaire oriente les traitements personnalisés, comme les thérapies hormonales pour les tumeurs récepteurs-positifs. Récemment, l’immunothérapie montre un potentiel prometteur dans certains sous-types particulièrement difficiles à soigner comme le cancer du sein triple négatif. Enfin, plus récemment, l’intégration de l’intelligence artificielle améliore les stratégies de traitement personnalisées, tandis que les avancées dans l’utilisation des biopsies liquides fournissent des informations en temps réel sur la dynamique tumorale, facilitant ainsi le suivi et la modification des traitements.
Un aspect clé de la prise en charge du cancer du sein est le rôle crucial des outils de diagnostic dans la détection précoce. La mammographie, méthode principale de dépistage, est de plus en plus renforcée par de nouvelles technologies comme l'imagerie par résonance magnétique et les tests moléculaires, améliorant ainsi la précision du diagnostic. Cependant, des défis persistent pour garantir un accès généralisé aux programmes de dépistage, qui doit rester un impératif fort des collectivités de la santé. L’efficacité des traitements dépend principalement du stade de progression du cancer du sein lors du diagnostic. Plus le cancer est avancé, plus il est difficile à traiter correctement sur la durée, notamment à cause du risque de développement de métastases. Malgré tout, 30 % des femmes initialement diagnostiquées avec un cancer du sein à un stade précoce développeront finalement un cancer du sein métastatique et plus de 90 % des décès du cancer du sein sont liés au développement de métastases. Cependant, le taux de survie à 5 ans des femmes atteintes d'un cancer du sein métastatique est en constante augmentation, avec environ un tiers des femmes atteintes de cancer du sein métastatique encore en vie 5 ans ou plus après diagnostic.
Il reste donc impératif de trouver des solutions thérapeutiques efficaces pour lutter contre le cancer du sein métastatique. La difficulté de les localiser et de les cibler correctement oblige encore actuellement à des traitements de chimiothérapies lourdes et conséquentes pour les patientes, avec de forts risques de résistance. Il est donc important de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans le développement des métastases et de nombreux scientifiques s’attellent à identifier les acteurs de ces mécanismes, qu’ils serait ensuite possible de cibler pour prévenir ou combattre les cellules métastatiques.
Quelles sont vos dernières innovations pour lutter contre le cancer du sein ?
Notre équipe s’intéresse à la biologie du cancer du sein et des métastases. Une métastase de cancer du sein correspond au développement d’une tumeur secondaire au sein d’un autre organe, mais dont l’origine est une cellule cancéreuse issue de la tumeur d’origine (aussi appelée tumeur primaire). La dissémination des métastases et leur hétérogénéité rend le traitement du cancer du sein métastatique extrêmement difficile.
Contrairement à une équipe clinique, notre équipe de recherche fondamentale ne soigne pas directement les patient(e)s, mais cherche à mieux comprendre les mécanismes qui vont pousser une cellule saine à se transformer en cellule cancéreuse, puis potentiellement en cellule métastatique. Cette connaissance permet ensuite de pouvoir cibler ces mécanismes, en élaborant des traitements spécifiques utilisables en clinique bloquant certains caractères pro-oncogéniques ou pro-métastatiques des cellules cancéreuses.
Nous avons notamment découvert, lors de nos récents travaux, un nouveau mécanisme pro-métastatique que les cellules cancéreuses utilisent pour « s’échapper » de la masse tumorale et coloniser d’autres organes. Plus précisément, nous avons observé que la méthyltransférase SMYD2, surexprimée dans le cancer du sein triple négatif très agressif, développant fréquemment des métastases, entraîne une réorganisation de la morphologie des cellules cancéreuses. On parle alors de « remodelage du cytosquelette » des cellules. Cette réorganisation entraîne la formation de structures, appelées « lamellipodes », permettant aux cellules de se déplacer au sein de leur environnement. Plus concrètement, les travaux menés par le docteur Alexandre Casanova dans l’équipe montrent que la méthyltransférase SMYD2 modifie BCAR3, une protéine du cytosquelette importante pour l’adhérence des cellules, en lui transférant un groupement chimique méthyl (d’où le nom de méthyltransférase). Cette modification va être reconnue par trois nouvelles protéines, les FMNL1-2&3, et les recrute au niveau des lamellipodes immatures, permettant alors la formation de lamellipodes fonctionnels. Nos travaux montrent que bloquer l’activité de SMYD2 prévient la capacité migratoire et invasive de cellules du cancer du sein, et empêche l’apparition de métastases de tumeurs mammaires chez la souris.
Quelles sont les nouvelles approches thérapeutiques ?
Notre découverte suggère donc que bloquer l’activité de la méthyltransférase SMYD2 prévient l’apparition de métastases. Plusieurs inhibiteurs de SMYD2 existent et sont efficaces chez la souris, sans effets secondaires visibles. Il reste maintenant à confirmer l’efficacité et la non-toxicité de ces composés chez les patientes atteintes de cancer du sein. Cibler SMYD2 ne soignerait pas le cancer du sein, mais empêcherait le développement de métastases, responsables de plus de 90 % des décès. L’équipe soignante pourrait ainsi avoir plus de temps pour traiter correctement la tumeur primaire, sans craindre l’apparition de métastases. Ce traitement préventif serait particulièrement pertinent dans le contexte du cancer du sein, pour lequel un réel effort de dépistage précoce est mis en place par les politiques de santé, permettant ainsi de détecter des stades non métastatiques de cancer du sein.
Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?
Dans la suite directe de ces travaux, nous cherchons à encore mieux comprendre les mécanismes d’action de SMYD2 dans le cancer du sein. Notamment, nous avons identifié de nouveaux acteurs de ce mécanisme, et donc potentiellement de nouvelles cibles thérapeutiques pour contrecarrer la fonction pro-métastatique de SMYD2. Enfin, nous cherchons à déterminer si ce mécanisme n’est pas également en jeu dans la résistance acquise aux traitements hormonaux utilisés pour lutter contre le cancer du sein.
Nos travaux ne se cantonnent pas uniquement au cancer du sein. Nous avons plusieurs projets en cours cherchant à mieux comprendre les signalisations oncogéniques des méthyltransférases dans les cancers du sein, les cancers du poumon et les cancers pédiatriques. Ces méthyltransférases semblent en effet impliquées aussi bien dans la croissance tumorale, le développement métastatique et la chimiorésistance dans ces différents cancers. Mieux comprendre leurs fonctions permettra de proposer de nouvelles cibles thérapeutiques alternatives aux cliniciens, afin de développer de nouveaux médicaments et/ou de limiter les résistances aux traitements actuels.
Quelle est la place de l’IA dans vos recherches ?
L’IA joue pour l’instant encore un rôle annexe dans nos recherches fondamentales, même si nous l’utilisons pour des modèles de prédictions de structure ou d’interactions protéiques. Nous développons également des collaborations avec d’autres équipes utilisant de l’IA pour l’identification d’inhibiteurs des méthyltransférases.
En quoi les nouvelles avancées thérapeutiques changent-elles la qualité de vie des patientes ?
Les récentes avancées thérapeutiques et les campagnes pour des diagnostics précoces ont considérablement amélioré la prise en charge des patientes et leur survie. Cependant, l’apparition de métastases assombrit encore considérablement le pronostic vital des patientes. Il est donc primordial de mieux comprendre les mécanismes favorisant le développement des cellules cancéreuses métastatiques, leur motilité, leur infiltration et finalement leur prolifération au sein d’un nouvel organe.
Quels facteurs liés à nos habitudes de vie ont un rôle à jouer sur la prévention des cancers du sein ?
Comme de nombreux cancers, bien qu’une susceptibilité à développer un cancer du sein soit imputable à des mutations génétiques héréditaires (antécédents familiaux), un grand nombre de facteurs peuvent entrer en jeu (comme l’alcool, le surpoids et l’obésité, etc.). Le premier facteur reste l’âge, car plus de 80 % des cancers du sein se développent après 50 ans. Il est donc primordial de faire des dépistages fréquents passé cet âge. En parallèle, un mode de vie sain peut prévenir le risque de développer un cancer du sein. Il est donc important d’éviter les excès d’alcool, d'arrêter de fumer, de manger équilibré et varié, et de pratiquer une activité physique régulière. Ces conseils sont de toute façon bénéfiques pour prévenir de nombreuses autres maladies et améliorer le bien-être de chacun.