Publié le 03.03.2020

Lauréat Appel à Manifestation d'Intérêt 2017

L'approche par compétences au service de la transformation pédagogique

La transformation pédagogique à la Rochelle Université : passer d'une logique d'enseignement à une logique d'apprentissage centrée sur les étudiants, en misant sur le développement de dynamiques collectives comme levier de l'appropriation des nouvelles pratiques.

La naissance du dispositif

Dans un contexte de transformation pédagogique inscrite dans son projet d'établissement, La Rochelle Université a initié, depuis 2016-2017, le passage d'une logique d'enseignement à une logique d'apprentissage centrée sur l'étudiant, en développant l'approche par compétences pour l'ensemble de ses formations. Les équipes enseignantes ont alors eu pour mission de décliner leurs syllabi en compétences, en substitution au découpage disciplinaire.

Ce premier travail, avec la mise en place d'ateliers collectifs et de conseil individuel, a permis de lancer une dynamique à l'échelle de l'établissement, avec une incitation politique forte.

Pour certains, ce travail de formalisation des programmes de formation en compétences a été ressenti comme suffisant pour répondre à l'objectif de développement d'une approche par compétences.

 

Pour d'autres, il a marqué le début d'une réflexion collective sur la formation, avec l'émergence de questionnements autour des méthodes d'évaluation des compétences, ou encore de l'appropriation collective d'un vocabulaire commun.

Dans ce contexte, le projet "Transformons ensemble la pédagogie" a été initié afin de soutenir et d'accompagner ces équipes dans une expérimentation de la mise en œuvre de l'approche par compétences, avec une perspective de généralisation au niveau de l'institution. Il s'agissait de s'appuyer sur la constitution de collectifs de travail, autour d'une approche-programme, pour développer une dynamique de transformation pédagogique institutionnelle.

Des stratégies en synergie

Dans un souci de cohérence, l'établissement a permis à la cellule (support au numérique, audiovisuelle, pédagogique) de se réorganiser en un Service Universitaire de Pédagogie : le Service des Pédagogies Innovantes (SPI). Le SPI est devenu le maillon entre les incitations "Top down" et les volontés et besoins du terrain ("Bottom up"). Afin de maintenir ces deux approches complémentaires, le SPI a travaillé en parallèle sur deux axes pour :

  • renforcer la mobilisation et l'accompagnement d'équipes à la mise en place de dispositifs pédagogiques transformants à l'échelle des programmes de formation, construits en collaboration avec des étudiants ;
  • généraliser la création de conditions favorables à un engagement pédagogique des enseignants à l'échelle de l'établissement.

Ainsi, deux conseillères pédagogiques ont accompagné trois équipes enseignantes (totalisant 20 personnes), constituées autour des formations suivantes :

Chacune des trois équipes a présenté des motivations différentes et spécifiques à son domaine de formation, tout en poursuivant des objectifs communs.

  • Elles s'appuient sur une dynamique collective.
  • Elles engagent une stratégie du changement des pratiques pédagogiques à l'échelle de la formation.

Les trois principes directeurs de l'accompagnement proposés par les conseillères pédagogiques

Axe 1 - Proposer un cadre suffisamment sécurisant pour permettre l'engagement des équipes dans cette transformation

Partant du principe que le développement d'un collectif de travail est un gage d'efficacité, mais que le regroupement d'individus autour d'un même objet de travail n'est pas suffisant pour créer ce collectif, des "temps forts" ont été organisés afin que les trois équipes puissent :

  • échanger sur leurs perceptions ;
  • se créer des références communes.

Des regroupements, en début et fin de chaque année, se sont déroulés avec l'appui d'experts proposant d'autres cadres de références et de réflexions. Les sessions de travail mensuelles, avec les conseillères pédagogiques (sujet tiers), ont aussi fait partie des éléments de sécurisation. Les enseignants ont reconnu ces séances comme "utiles", permettant de "clarifier" les éléments mal compris et de "faire progresser le projet", de "baliser "ou de donner une "vision claire".

Axe 2 - Accompagner dans une pratique flexible et adaptative aux personnes et situations

L'enjeu était aussi de répondre aux besoins spécifiques de chacune des équipes. Ceci a participé à la sécurisation du processus, sans toutefois verser dans l'esprit "recette miracle" parfois prêté à la pédagogie et, bien souvent, peu efficient. Ainsi, les deux conseillères pédagogiques se sont appuyées, à l'instar de Sephora Boucenna1, sur un canevas de l'accompagnement non figé, qui se construit au fur et à mesure avec les équipes.

En ce sens, la posture d'accompagnement doit parfois composer avec l'incertitude et l'imprévisibilité. C'est pour répondre à ce challenge que les interventions se déroulent en binôme pour la complémentarité du regard porté sur le projet et sur les formes et sources de questionnement. Cette posture, non dogmatique, a permis d’instaurer un vrai dialogue, et d’impulser un développement professionnel sur le sens des apprentissages, de la formation du travail en collégialité. Bien qu’il s’agisse d’un acte de formation, celui-ci s’est déroulé en dehors de tout cadre de transmission de savoir ou de savoir-faire qui serait reproduit de façon identique d'une équipe à une autre. C'est pourquoi, bien que participant au même projet, les trois équipes n'ont pas vécu le même accompagnement, tant en termes d'organisation que d'objets de travail.

Ainsi, une équipe a préféré des séances longues (3h) permettant des activités en profondeur (réflexivité, créativité), sur l'ensemble du programme mais espacées dans le temps. Cela a nécessité de la part de l'équipe une forte cohésion pour maintenir la motivation entre chaque séance. Pour une autre équipe, les rencontres étaient courtes (1h30), rythmées et régulières, ce qui a permis le maintien d'un cadre et d'une attention constante sur le projet. Ce fonctionnement implique que l'équipe s'appuie sur les conseillères pour initier une réflexion, comprendre un cheminement, et doit ensuite faire preuve d'autonomie pour transférer ce travail sur l'ensemble de la formation.

Axe 3 - S'appuyer sur le collectif dans un cadre collaboratif

Ce projet "Transformons ensemble la pédagogie" pose une ambition forte : transformer - ensemble. L'un des enjeux était de permettre aux enseignants de collaborer, et non de coopérer. Selon Liliane Dionne2, la visée de la coopération est instrumentale et axée sur les résultats, tandis que la collaboration est, elle, axée sur le processus et permet "d'accomplir ce qu'un individu n'aurait pu réaliser seul ou faire aussi bien" (Ibid, p.56).

Dans les pratiques collaboratives, des rencontres avec les étudiants ont pu être organisées. Elles ont participé à la prise de recul tant pour les enseignants que pour les étudiants, dont les représentations quant aux modalités d'apprentissages nécessitent aussi un accompagnement. Toutes les activités proposées, et les échanges qui en ont découlé, se sont réalisés dans un esprit de co-construction, de partage et d'équité dans ce que chacun pensait pouvoir apporter aux autres.

La volonté d'un travail collaboratif fort peut parfois déstabiliser, car il nécessite d'aller au-delà du consensus dans les prises de décisions, l'objet n'étant pas seulement d'atteindre un but mais de se transformer en visant ce but. La transformation collective pose ainsi la question de la transformation individuelle. Les enseignants ont révélé qu'avant la mise en place du projet, la plupart d'entre eux construisait leurs cours en listant les connaissances qu'ils souhaitaient aborder et que les étudiants devaient retenir de leurs interventions. Ils constatent aujourd'hui, grâce, selon eux, à l'implication dans ce projet collectif, une modification de leur perception et de leur pratique d'enseignement, enrichie par les échanges, les expérimentations partagées et la confrontation aux autres.

Un dispositif agile au service d'un développement professionnel continu

Transformer, modifier, faire évoluer ou développer ses pratiques pédagogiques, c'est s'engager dans une démarche particulière de réflexion sur soi, son environnement de travail, ses objectifs. Dans le contexte de l'enseignement supérieur, le travail d'accompagnement à la réflexivité peut s'appuyer sur la démarche Scholarship of Teaching and Learning (SoTL), reprise par Denis Bédard3.

Les acteurs du projet AMI 2017-2019 sont entrés dans la sphère du praticien réflexif. Ils se préoccupent de la qualité de leurs enseignements, par exemple à partir des retours des étudiants. Ils cherchent à analyser et évaluer ce qu'ils mettent en place avec pour objectif d'améliorer la qualité des apprentissages des étudiants. Dans la continuité de ce projet et en appui sur ces réussites, plusieurs projets se sont nourris du travail initié pour l'accompagnement d'équipes dans la transformation de leur pratique pédagogique.

Le projet NCU "Open Curriculum" porté par l'établissement au sein duquel est prévu une transformation pédagogique systémique et dans lequel une recherche doctorale a été intégrée pour apporter un éclairage scientifique sur les processus de changement et aider à dépasser les difficultés.

 

Le projet AMI 2019-2021 "Flexibiliser la formation et co-construire la transformation pédagogique" qui, à partir de notre expérience au sein de l'AMI 2017-2019 et des analyses menées dans le cadre de la recherche doctorale, nous a amené à mettre l'accent sur la nécessaire montée en compétences des acteurs dans un processus de transformation pédagogique.

D'une logique d'enseignement à une logique d'apprentissage

Les enseignants ont partagé leurs motivations initiales à s'engager dans un tel projet, qui pouvaient être :

  • des frustrations individuelles, de voir leurs étudiants majoritairement en échec ;
  • le souhait de répondre à l'évolution des publics, des mentalités, de la société ;
  • le désir de retrouver le plaisir d'enseigner et de partager avec une équipe.

Malgré la fin officielle du projet, au terme de ces deux ans, les équipes Sciences de la vie et Informatique, continuent de travailler. Le chemin de ce changement de paradigme de la formation est long, mais elles relèvent déjà, sur ce court terme, un certain nombre d'évolutions dans leurs pratiques, parfois à l'échelle individuelle mais aussi collective, comme :

  • replacer l'étudiant au cœur de sa formation ;
  • partager ses expériences et ses pratiques pédagogiques ;
  • travailler au sein d'une équipe élargie et plus seul, incluant aussi des étudiants et des conseillers pédagogiques ;
  • appréhender les champs théoriques des Sciences de l'éducation et de la formation ;
  • valoriser l'activité d'enseignement.

Les étudiants qui ont été rencontrés durant ce projet, aspirent, par le développement de la démarche APC, à :

  • pouvoir communiquer plus facilement sur leur diplôme à l'extérieur, donner à voir concrètement leur plus-value sur le marché du travail ;
  • diminuer le sentiment de stress lié à des évaluations "uniques" ne permettant pas "le droit à l'erreur", et avoir une meilleure visibilité des attendus ;
  • faciliter la compréhension de la formation par la mise en cohérence explicite des apprentissages ;
  • favoriser la réflexivité sur soi, ses qualités, ses faiblesses, pour mieux les valoriser ou les travailler.

Les conseillères pédagogiques considèrent pour leur part le développement de l'APC non comme une finalité mais comme un levier, parmi d'autres, d'une évolution des pratiques d'enseignement et d'une amélioration de la qualité de la formation. À ce titre, elles s'appuient sur le référentiel des compétences en pédagogie universitaire élaboré par l'Université Laval4 pour permettre aux enseignants de se positionner quant à leur développement professionnel, au cours du projet. Ces compétences sont les suivantes :

  • planifier des activités d'apprentissage et d'évaluation ;
  • communiquer/Animer en situation d'enseignement - apprentissage ;
  • accompagner les étudiants dans leur démarche d'apprentissage ;
  • adopter une représentation de l'acte d'enseigner et d'apprendre ;
  • développer une pratique réflexive à l'égard de sa pratique pédagogique ;
  • travailler en équipe à la réalisation de projets ou de programmes ;
  • agir de manière éthique et responsable en contexte d'enseignement.

L'évaluation du développement de ces compétences, qui peut être réalisée à partir des critères et indicateurs intégrés au référentiel, peut ainsi contribuer à mesurer :

  • les effets de l'accompagnement sur les représentations et la pratique enseignantes, à un niveau individuel ;
  • l'évolution d'une démarche centrée sur l'enseignement à une démarche centrée sur l'apprentissage (le niveau 1 correspondant à l'extrémité du paradigme centré enseignement et le niveau 4 correspondant à l'extrémité du paradigme centré apprentissage) ;
  • une amélioration de la qualité de la formation en termes de planification, de communication, d'accompagnement des étudiants et en particulier en termes de construction collective et d'évolution des programmes.

Notes

  1. BoucennaSephora (2015). L'accompagnement : une gestion structurelle de l'incertitude. Éducation et socialisation, Les cahiers du CERFEE. N.38. Mis en ligne le 15 juin 2015.
  2. Dionne, Liliane (2003). La collaboration entre collègues comme mode de développement professionnel chez l'enseignant : une étude de cas, Thèse, Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal.
  3. Bédard, Denis. (2014). Être enseignant ou devenir enseignant dans le supérieur : telle est la question… de posture! La pédagogie universitaire à l’heure du numérique. (pp.97-109).
  4. Savard, Claude. (2012). Enseigner à l'Université Laval : un référentiel de compétences en pédagogie universitaire. Résumé publié dans les Actes du Congrès de l'AIPU, Trois-Rivières, Canada.

Auteur(s)

Violaine Charil
  • Ingénieure et Conseillère pédagogique
La Rochelle Université
Maëlle Crosse
  • Conseillère pédagogique à La Rochelle Université

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