SEUL LE PRONONCE FAIT FOI
Je me réjouis de vous retrouver aujourd’hui afin d’aborder ensemble une question autour de laquelle beaucoup d’encre a été versée et qui me paraît déterminante : celle de la meilleure reconnaissance de la mission de formation des enseignants-chercheurs.
Cette question n’est pas nouvelle. J’y reviendrai. Mais à mes yeux, il est nécessaire que nous puissions définir ensemble les voies et moyens pour avancer sur le sujet. Avec le Plan Etudiants et la réforme de l’entrée en premier cycle, le Gouvernement a placé la personnalisation des parcours et l’accompagnement des étudiants au cœur des missions de notre enseignement supérieur.
Les enseignants-chercheurs, les enseignants et l’ensemble des personnels sont naturellement au cœur de cette démarche. C’est eux qui construisent aujourd’hui les parcours de formation personnalisés, les fameux "Oui si", eux qui analysent les dossiers et accompagnent les étudiants. Partout en France, ils sont aujourd’hui à pied d’œuvre et je veux les en remercier très chaleureusement.
Et s’ils le sont, c’est qu’ils ont à cœur d’honorer l’idée qu’ils se font de leurs missions, une idée qui les amène, depuis des années à accompagner plus particulièrement ceux qui sont plus fragiles ou à construire des parcours destinés à accueillir les bacheliers dans toute leur diversité.
Cet engagement est une réalité et il va de soi que cet investissement pédagogique n’a pas commencé avec le Plan Etudiants. Mais avec le Plan Etudiants, nous nous donnons les moyens de mieux le reconnaître et de lui donner toute sa place dans nos établissements et dans nos formations. Car aujourd’hui, la manière dont cet engagement est – ou non – reconnu sur le plan matériel et même moral est extrêmement variable.
C’est cette situation que nous devons infléchir et c’est pourquoi la notion de reconnaissance est déterminante. A mes yeux, elle porte une idée simple : l’engagement pédagogique doit pouvoir être soutenu et valorisé non pas à la marge, de manière variable et parfois aléatoire, mais de manière systématique et organisée. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que cela appelle ou exclut des dispositifs purement nationaux ou purement territoriaux. Ce qui m’importe, c’est que l’organisation des dispositifs conduise à des effets systématiques.
Cette reconnaissance, je souhaite donc qu’elle puisse être pleine et entière, c’est-à-dire qu’elle s’exprime sur tous les plans : règlementaire, indemnitaire, mais également dans les recrutements et les carrières et dans les esprits, afin que les deux missions cardinales de recherche et de formation puissent être prises en compte.
La question n’est pas nouvelle et de nombreux rapports ont été consacrés à la question. Je pense notamment au rapport que Claude Bertrand avait remis à Simone Bonnafous en 2014 et à un certain nombre de rapports de l’I.G.A.E.N.R.. Tous ces documents se sont accumulés au fil du temps, des actions ont été engagées, sans que cela ne permette d’améliorer de manière très significative la situation.
C’est que la question est complexe et délicate.
Chacun de nous le sait, entre les deux missions fondamentales des enseignants-chercheurs, il y a une forme d’asymétrie très matérielle : d’un côté, l’activité de recherche donne le sentiment d’être plus aisément objectivable, parce qu’elle se traduit par des résultats très concrets – les publications, mais également les contrats de recherche ou de partenariat. Tout cela a même permis de développer des indicateurs chiffrés, dont la pertinence, nous le savons, est parfois discutable, mais qui ont le mérite d’exister et de nourrir l’évaluation par les pairs. De l’autre, la mission d’enseignement, qui est tout aussi concrète, mais qui se traduit ou bien par un volume d’enseignement – qui ne dit rien de la nature de la formation délivrée elle-même – ou par des indicateurs très qualitatifs, qui rendent plus difficile l’analyse et l’évaluation par les pairs.
Cette asymétrie est un fait, une donnée. Le sentiment le plus largement partagé, mais je voudrais vous entendre sur ce point, est qu’elle a des effets sur la carrière des enseignants-chercheurs, en rendant plus difficile la prise en compte de l’engagement des professeurs et des maîtres de conférence dans l’activité de formation. Nombreux sont également ceux qui considèrent que cette asymétrie constitue un facteur de découragement pour les enseignants-chercheurs qui ont fait le choix de s’engager particulièrement dans l’enseignement, qui se consacrent largement à l’innovation pédagogique ou qui prennent des responsabilités particulières dans ce domaine.
Là aussi, je le dis très clairement, il est difficile d’objectiver les choses : nous n’avons pas, me semble-t-il, d’indicateurs qui nous permettent de documenter précisément ce constat. Et la première des questions que je vous propose de placer au cœur du dialogue que nous engageons aujourd’hui et qui se poursuivra au fil des prochaines semaines et des prochains mois, c’est bien celle de l’objectivation.
Objectivation de la situation, tout d’abord, en essayant de construire ensemble un état des lieux des régimes indemnitaires et des carrières qui nous permette d’identifier la nature et l’ampleur de l’écart qui peut exister entre les enseignants-chercheurs, selon qu’ils s’investissent, à un moment donné, dans l’une ou l’autre de leurs missions.
Cela suppose aussi, cela va de soi, d’être capable de mieux identifier et reconnaître l’engagement pédagogique lui-même. Je le disais à l’instant, c’est une des dimensions essentielles de la question. Là aussi, les pratiques sont variables et d’une section à l’autre du C.N.U., par exemple, les informations demandées et analysées sont différentes. Je souhaite que nous puissions, en lien avec la CP-C.N.U., recueillir ces pratiques et identifier celles sur lesquelles nous gagnerions, collectivement, à nous appuyer.
Je souhaite également que nous puissions, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, regarder ce qui se fait à l’étranger. Car si cette question est proprement académique, elle se pose à l’ensemble de nos collègues et des universités dans le monde. Des pratiques existent, qui mériteraient d’être analysées en détail – je pense par exemple à l’usage du portfolio pédagogique, qui permet de structurer les choses et de les rendre visibles.
Toutes ces questions constituent donc le premier axe de travail que je vous propose de mettre en place.
Deuxième axe de travail : la question de la bonne prise en compte de la diversité des missions, des rythmes et des responsabilités par les différents dispositifs existants – et notamment indemnitaires.
Sur le plan règlementaire, les textes, vous le savez mieux que quiconque, sont très clairs, mais aussi très complets. Ils énoncent les missions des enseignants-chercheurs, en adoptant une approche très large qui ne se limite pas à l’enseignement et à la recherche, mais qui s’ouvre également à la coopération internationale, aux relations avec les entreprises ou, bien sûr, à la participation à la vie des instances universitaires.
Cette vision large est indispensable et nous savons tous qu’être un enseignant-chercheur, ce n’est bien sûr pas seulement marcher sur les deux jambes que sont la recherche et la formation. Mais c’est aussi participer à la vie de nos universités et de nos écoles, qui sont des lieux ouverts et engagés.
Toutefois, cette pluralité ne favorise pas nécessairement – c’est une évidence – une reconnaissance indemnitaire également aboutie de ces missions. Sur ce plan, il existe un déséquilibre réel entre recherche et formation. La prime de responsabilités pédagogiques permet certes de prendre en compte l’investissement dans des fonctions ou missions identifiées, mais elle n’a pas été conçue pour accompagner l’engagement et l’innovation pédagogique, qui se trouvent sans doute à l’étroit dans ce dispositif indemnitaire.
Je souhaite que nous puissions ensemble travailler autour de ces questions. Nous avons devant nous une première occasion très concrète, celle de l’intégration des crédits indemnitaires ouverts au titre du Plan Etudiants afin d’accompagner la mise en place des dispositifs d’accompagnement dans les universités. En 2018, vous le savez, c’est un peu moins de 8 millions d’euros qui ont été dégagés à ce titre. Cet effort sera poursuivi en 2019 et sur le quinquennat.
L’enjeu, c’est donc de basculer d’une logique d’enveloppe ouverte sur 2018 à une structuration d’un dispositif indemnitaire en 2019. Comme je le disais à l’instant, cela peut passer par un travail autour de la prime de responsabilités pédagogiques, qui pourrait être élargie afin d’inclure l’investissement pédagogique. D’autres voies sont envisageables, comme la création d’une prime dans une logique semblable à celle de la P.E.D.R.. Ce sont ces questions dont nous devons discuter ensemble dans les semaines qui viennent.
Dans ce même cadre, il me semble nécessaire que nous puissions travailler ensemble, afin de permettre aux outils existants de mieux scander les cycles de carrière des enseignants-chercheurs. Je pense notamment au rôle que tiennent les C.R.C.T. qui n’ont pas d’équivalent pour le ressourcement pédagogique. Là aussi, il me semble que nous pouvons améliorer les choses.
Mon objectif est en effet le suivant : permettre aux enseignants-chercheurs qui souhaitent, à un moment déterminer, se consacrer plus particulièrement à l’activité de formation, de pouvoir, à l’issue d’une période d’investissement particulièrement intense, bénéficier effectivement d’un temps leur permettant ou bien de redévelopper leurs projets de recherche ou de construire un nouveau projet de formation.
Mais au-delà des questions de rythme et de dispositifs indemnitaires, je souhaite également que nous puissions ensemble travailler sur le déroulement de la carrière lui-même. Je veux en effet être très claire sur ce sujet : l’investissement pédagogique mérite sans aucun doute d’être mieux pris en compte sur le plan indemnitaire, mais travailler autour de l’indemnitaire ne peut et ne doit pas être une manière de ne pas poser la question du déroulement de carrière.
Sur ce plan, je sais que les différentes organisations ont des analyses qui ne sont pas toujours convergentes. Certains d’entre vous, je le sais, souhaitent interroger la distinction des corps de professeurs des universités et de maîtres de conférences. D’autres estiment nécessaire de poser la question de la place et du rôle de l’habilitation à diriger des recherches, qui fonde l’accès au corps de professeurs des universités. D’autres enfin s’interrogent sur le rôle de la qualification ou sur la structuration et l’équilibre des procédures d’avancement.
Ce sont là des questions importantes, des questions lourdes et délicates également. Elles engagent l’identité des enseignants-chercheurs. Si elles doivent être abordées, ce doit être, à mes yeux, de manière aussi consensuelle que possible et en partant d’objectifs et d’un diagnostic partagé. La question, en effet, c’est celle du déroulement de carrière et de l’accès au corps des professeurs d’université des maîtres de conférences qui se sont particulièrement engagés dans le travail pédagogique.
C’est de cette question que je souhaite que nous fassions ensemble un troisième axe de travail – un travail qui sera nécessairement au long cours et qui doit être approfondi. Aucune piste n’est évidente – et il en existe beaucoup d’autres que celles que je viens de citer. Nous devons prendre le temps de dialoguer ensemble autour de cette question tout au long des mois qui viennent, afin d’identifier ensemble la manière la plus pertinente d’y répondre.
Je souhaite enfin que ce travail de réflexion autour de la reconnaissance de la mission de formation englobe la question de la place et de la reconnaissance de cette mission pour l’ensemble des agents dans les établissements d’enseignement supérieur. Je pense aux B.I.A.T.S.S., bien sûr, qui font partie des pivots de nos formations et qui méritent eux aussi de voir leur engagement pleinement reconnu. Et je pense bien sûr également aux personnels qui enseignent à l’université sans être enseignants-chercheurs – et notamment aux enseignants du secondaire qui interviennent dans les établissements d’enseignement supérieur.
Les travaux conduits par l’I.G.A.E.N.R. sur la place des agrégés dans l’enseignement supérieur ont dessiné de premiers éléments d’état des lieux. Ils ont également ouvert des pistes. Cette question, je souhaite que nous nous en saisissions, en accord avec le ministère de l’Education nationale.
Chacun de nous sait le rôle que jouent les PRAG ou les PRCE dans les universités. Je souhaite qu’ils soient mieux reconnus et que leur déroulement de carrière reflète fidèlement leur espace d’intervention.
Je souhaite également – et nous y travaillons avec les établissements – que les conditions d’affectation dans le supérieur soient plus fluides. Nous avons tous constaté, à l’été dernier, que des difficultés pouvaient parfois exister, ce qui a parfois placé des enseignants, des universités et des lycéens dans une position extrêmement délicate. Il n’est satisfaisant ni de priver une université d’un enseignant ni de faire de même dans une classe de lycée. En accord avec le ministère de l’Education nationale, nous avons souhaité améliorer les choses et je sais que la D.G.R.H. y travaille, en lien avec la C.P.U..
Je veux être très claire sur ce point : ce sont bien entendu les enseignants-chercheurs qui ont vocation à enseigner dans les universités. C’est un principe essentiel, un principe constitutif de notre enseignement supérieur et la garantie de l’articulation permanente entre la formation et la recherche, l’une nourrissant l’autre.
Pour autant, chacun de nous sait que les PRAG et les PRCE contribuent directement à la vie quotidienne de nos établissements, avec une reconnaissance que l’on peut qualifier de variable. Nous savons également que les agrégés-docteurs et, dans une moindre mesure, les certifiés-docteurs sont nombreux et qu’ils s’inscrivent naturellement dans cet esprit.
Là aussi, nous devons réfléchir et travailler ensemble, pour identifier les pistes qui nous permettront d’avancer sur ces questions. L’objectif n’est pas de bouleverser les équilibres et les textes, mais bien de trouver des solutions concrètes qui permettront d’améliorer les choses.
Sur l’ensemble de ces questions, vous l’aurez compris, je souhaite avancer dans le dialogue et prendre le temps de la réflexion. Cela nous conduit naturellement à la question de la méthode.
La première étape de notre travail commun portera sur les dispositifs indemnitaires, afin de définir le cadre adapté qui pourra être appliqué à compter de 2019. Sur ce point, je souhaite que nous puissions engager une série de réunions bilatérales, qui nous permettront également d’échanger sur les trois autres axes de travail.
A l’issue de ces réunions bilatérales, je vous proposerai de nous retrouver dans le même format, avant l’été, afin à la fois d’échanger sur les propositions du ministère sur le sujet proprement indemnitaire et d’engager une nouvelle étape de réflexion organisée autour des trois autres axes. Il me semblerait utile que cette réflexion puisse être coordonnée par une personnalité indépendante et reconnue : nous aurons donc l’occasion, dans les prochaines semaines, d’échanger sur le bon profil pour jouer ce rôle de coordinateur.
Je veux être très claire sur le sujet : il ne s’agit pas de disposer d’un nouveau rapport. Nous en avons déjà de nombreux, au demeurant très stimulants. L’objectif, c’est bien de pouvoir engager, avant l’été, une réflexion qui puisse déboucher à terme sur des pistes concrètes et opérationnelles.
Ces pistes, il est essentiel que nous puissions les construire ensemble. C’est pourquoi je souhaite pouvoir recueillir vos propositions et vous entendre.
Je vous propose donc d’engager un tour de table.
Je vous remercie.