La « recherche par le projet » artistique à la Casa de Velázquez
Nicolás Combarro est artiste et chercheur, il vit entre Paris, la Galice et Madrid (Espagne). Il est lauréat du contrat doctoral artistique par le projet (2024-2027) de la Casa de Velázquez, qu'il mène dans la continuité de sa résidence artistique. Son sujet « La Matière de l’amnésie » porte sur l'architecture concentrationnaire de la répression sous le régime franquiste (1936-1939).
Cette thèse bénéficie d'une co-direction française menée par Pr Stéphane Michonneau, spécialiste en histoire contemporaine à l'UPEC, et espagnole menée par Pr Rafael Tranche, spécialiste en histoire des médias et de la photographie, à l’université Complutense de Madrid. Des artistes référents conseillent également Nicolás Combarro dans sa production artistique à l'instar d'Arno Gisinger, artiste autrichien et professeur des universités à Paris 8, dont la pratique lie photographie et historiographie, à travers la représentation du passé.
Les photographies et collages réalisés par Nicolás Combarro en résidence à Madrid sont exposés à l'Académie des beaux-arts, au Pavillon Comtesse de Caen, à Paris, jusqu'au 9 mars 2025.
Qu'est-ce que le contrat doctoral de « recherche par le projet » artistique ?
Ce dispositif de « recherche par le projet » a été créé en 2021 et financé par la Casa de Velázquez, selon sa double compétence d'Académie de France à Madrid et d'École des hautes études hispaniques et ibériques (EHEHI). Il permet le développement d'une double compétence de haut niveau, entre création artistique contemporaine et recherche scientifique en sciences humaines et sociales.
La « recherche par le projet » offre une méthodologie innovante, met à profit l'expérimentation et favorise l'appréhension des problématiques du sujet sous un angle multidisciplinaire.
Pour postuler, les candidats doivent être inscrits dans une université française (sans condition de nationalité) et présenter un projet de thèse dans le champ de la création artistique (arts plastiques, arts appliqués, architecture, composition musicale, scénographie, commissariat d’exposition…). L'appel à candidature est ouvert entre mars et mai.
La Casa de Velázquez est d’une grande originalité en tant que lieu de dialogue entre recherche et création. C’est un endroit où, en tant que chercheur non espagnol, on peut renouveler le regard sur l’Espagne, révéler ce que les Espagnols n’interrogent pas ; c’est aussi vrai de l’ensemble des Écoles françaises à l’étranger.
Interview : Nicolás Combarro, artiste et chercheur
Parlez-nous de votre sujet, l’iconographie concentrationnaire, quelles sont les traces qui persistent ? Que sont devenus les bâtiments ?
Nicolás Combarro : J'ai obtenu la bourse de la Casa de Velázquez pour faire un projet de recherche artistique avec l'Université de Paris-Est Créteil (UPEC) et l'Université Complutense de Madrid. C'est une recherche sur les images des camps de concentration en Espagne. C'est un réseau de répression qui n'est pas très connu, ni en Espagne ni en dehors de l'Espagne. Et justement, je voulais faire un projet de recherche sur les images de ces camps, mais aussi sur les lieux où étaient les camps. Je fais dialoguer les images d’archives et les images, qui n'existaient pas, que je vais créer avec mon travail artistique.
Quelle est votre méthode de travail ? Comment le projet artistique et le projet de recherche se nourrissent-ils l’un l’autre ?
Après la guerre civile, c'était plus difficile de justifier l'existence des camps de concentration. Il y a très peu, presque pas d'images, et cette absence provoque une espèce de méconnaissance de cette réalité, que je voudrais détourner par mon travail artistique. Mon travail a une partie méthodologique plus proche de l'histoire contemporaine, dans le sens d'aller chercher les images, les documents de ces camps dans les archives, puis les localiser, parce que ce n'est pas très connu, ou la localisation n'est pas exacte.
Ensuite, la partie artistique, consiste à aller sur les lieux pour les photographier, les comprendre, et attendre que la nuit tombe. C'est là que je projette la lumière sur les ruines, sur ce qui reste de l'architecture. Ensuite, je peux prendre une image du paysage, un peu obscure, avec cette lumière qui révèle, qui met l'accent sur l'architecture, où on peut peut-être imaginer, essayer d'établir un pont avec le passé, au moment où il y avait un camp dans ces lieux.
Ce projet est en co-tutelle entre l'Université de Paris-Est Créteil et l'Université Complutense de Madrid. Dans une co-tutelle, il faut rédiger la thèse dans les deux langues [ndlr : français et espagnol], c'est un dialogue entre les deux mémoires et entre deux méthodologies de recherche différentes.
Quels médias utilisez-vous ?
Je travaille différents médias pour mon travail artistique. La photo, c'est peut-être le média que je travaille le plus, mais il y a aussi le collage. Dans le collage, ce que je fais, c'est que je photographie les monuments conçus par les associations de mémoire. Ce sont des monuments commémoratifs des lieux de violence, où il y a eu des fosses communes, des camps de concentration. Ce sont généralement des pierres qu'on met pour ne pas oublier cette réalité qui s'est passée pendant, mais aussi après la guerre civile. Je rassemble ces monuments dans un collage. En même temps que je fais des images des ruines des camps, je fais aussi de la 3D, des modèles de ces structures avec un système très proche de l'archéologie contemporaine. Parfois aussi, je travaille la modélisation avec des modèles de sculpture. Je vais faire des négatifs et des positifs de ces sculptures. Parfois, de petite taille : une pierre. Parfois, une grande structure que je vais montrer dans la salle. On va avoir un rapport physique avec l'objet et aussi avec l'échelle de cette réalité, qui est oubliée ou qui est effacée de l'histoire.
Kaléidoscope
Exposition des artistes de la Casa de Velázquez 2023-2024
L’exposition intitulée Kaléidoscope présente le travail des artistes de la 94e promotion de l'Académie de France à Madrid, accueillis en résidence à la Casa de Velázquez en 2023-2024. Ce kaléidoscope, métaphore utilisée par Walter Benjamin pour décrire la multiplicité et la fragmentation de l’expérience moderne, fait référence à leurs différents univers créatifs, parfois très engagés, dont certains se font écho.
Académie des beaux-arts
Pavillon Comtesse de Caen, 27 quai de Conti, Paris 6e
Exposition du 6 février au 9 mars 2025
Du mardi au dimanche de 11h à 18h.
Entrée libre et gratuite