SEUL LE PRONONCE FAIT FOI
Je tenais à ce que cette première réunion de travail puisse se tenir dès aujourd’hui – c’est-à-dire le jour même de la clôture de la procédure normale de Parcoursup. Depuis quelques semaines, beaucoup de choses ont été dites ; des chiffres ont été additionnés sur des coins de table et des opinions parfois dénuées de tout fondement ont été largement relayées.
C’est la loi du genre, je le sais. La nouvelle procédure d’admission dans l’enseignement supérieur constitue une transformation profonde. Elle devait donc inévitablement être scrutée, commentée et parfois instrumentalisée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle l’a été. L’heure est maintenant venue d’aller au-delà des opinions, d’établir les faits et d’en tirer des conclusions. Cette méthode, c’est la vôtre et c’est la mienne, c’est la méthode scientifique et c’est la seule – soit dit en passant – qui permette d’atteindre des résultats.
C’est pourquoi je me dois de rappeler d’emblée que les données dont nous disposons aujourd’hui ne sont encore que des données partielles : non seulement nous ne faisons que commencer le travail d’analyse, mais il ne s’agit, en toute hypothèse, que des données portant sur la seule procédure dite
"normale " de Parcoursup. La procédure complémentaire, elle, se poursuit encore jusqu’au 21 septembre. Un bilan complet ne pourra donc être tiré qu’à la fin du mois de septembre.
Ce que nous savons d’ores et déjà, maintenant que la procédure normale est close, c’est que Parcoursup a pleinement fonctionné. A la fin du mois de juillet, près de 600 000 candidats avaient trouvé leur place dans l’enseignement supérieur. Et depuis cette date, ce sont les bacheliers dont la situation est la plus complexe que nous accompagnons – c’est-à-dire ceux-là même qu’un algorithme, aussi sophistiqué soit-il, ne pourra jamais permettre d’affecter automatiquement. Et nous continuerons à accompagner, tout au long du mois qui vient, les 3 187 bacheliers qui n’ont pas encore trouvé de proposition adaptée pour la rentrée. L’engagement du Gouvernement sera tenu.
Au cours des dernières semaines, à Reims, à Lille et un peu avant à Aix-en-Provence ou à Cayenne, j’ai participé à des commissions académiques d’accès à l’enseignement supérieur, qui ont été créées par la loi Orientation et réussite des étudiants. Le travail qui y est accompli par les recteurs et leurs services comme par les présidents d’université, les proviseurs et l’ensemble des chefs d’établissement est tout simplement remarquable. Il y a eu une vraie mobilisation pour que chacun ait une proposition qui ait du sens, qui corresponde à son projet, qui soit cohérent avec son parcours. Remettre de l’humain dans la procédure d’entrée dans l’enseignement supérieur, c’est bien cela.
Et le véritable enjeu est humain. Cela fait quelques semaines que les questions techniques liées à la plateforme occupent le débat. Certains font comme si accompagner plus de 600 000 futurs étudiants vers l’enseignement supérieur était un simple problème d’optimisation, comme s’il fallait ranger chacun dans une case coûte que coûte et aussi vite que possible. Raisonner comme cela, c’est juste oublier les étudiants qui sont derrière les chiffres, des étudiants qui hésitent, qui parfois savent et parfois ne savent pas ce qu’ils veulent faire, des étudiants qui peuvent changer d’avis tout au long de la procédure.
Rien qu’au mois d’août, 25 000 places ont été proposées à de nouveaux candidats parce que d’autres avaient changé de projet.
Alors oui, tout cela prend du temps. Car du temps, il en faut quand on doit mûrir son orientation, faire son choix et l’assumer. Et remettre de l’humain, cela veut aussi dire donner du temps et en prendre pour accompagner.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas travailler sur le calendrier, au contraire : j’ai beaucoup échangé avec les équipes des universités et des lycées et j’entends leur besoin d’avoir une plus grande visibilité sur leurs classes et leurs groupes de TD en amont de la rentrée. Nous devrons donc faire bouger les lignes sur ce point.
Mais nous ne devrons pas perdre de vue un point essentiel : chaque fois que l’on augmente les contraintes, que l’on complique les règles, que l’on contracte les délais, cela a des effets sur les futurs étudiants – et d’abord sur ceux qui sont le moins en mesure de maîtriser le système et d’en utiliser toutes les possibilités.
Avec le comité éthique et scientifique de la plateforme Parcoursup, nous allons travailler sur la procédure elle-même, sur son rythme, son calendrier, pour voir si nous pouvons faire aussi bien, voire mieux plus vite. Et si c’est possible, nous le ferons. Nous regarderons dans quels délais les candidats ont répondu, à quel moment les différents types de formation ont atteint leurs capacités d’accueil et nous identifierons les ajustements nécessaires d’ici la fin du mois : il faut en effet que la plateforme soit prête pour le lancement de la procédure 2019.
Mais avec vous, Mesdames et Messieurs les membres du comité de suivi de la loi, nous allons travailler sur des sujets qui exigent plus de temps. Votre mission, c’est en effet d’analyser les effets de la loi Orientation et réussite des étudiants : ce qui compte pour vous, c’est ce qu’il y a derrière la plateforme, qui n’est qu’un outil. Cela ne vous interdit pas, bien sûr, d’être attentifs aux évolutions techniques. Mais ce sont leurs effets de fond qu’il vous revient de suivre et d’analyser.
Car si nous avons transformé en profondeur la procédure d’accès à l’enseignement supérieur, si nous avons mis en place Parcoursup et tout ce qu’il y a autour et derrière Parcoursup, c’est avec un objectif : démocratiser l’enseignement supérieur, un enseignement supérieur qui s’est désormais massifié, c’est l’évidence, mais qui n’a pas encore réussi à relever pleinement le défi du nombre.
C’est un objectif exigeant, qui appelle une action constante et au long cours. Réussir la démocratisation de l’enseignement supérieur n’est pas l’affaire d’une année. C’est une tâche qui nous mobilisera tout au long du quinquennat et qui, au-delà, devra être encore prolongée. Nous devons enclencher un mouvement – et ma conviction profonde, c’est que nous l’avons enclenché cette année.
Et d’abord parce que la réussite des étudiants a été replacée au centre des préoccupations de l’ensemble du système éducatif. Le taux d’échec en Licence, nous le savons, était largement alimenté par les modalités d’entrée dans l’enseignement supérieur. Comme moi, comme l’ensemble des enseignants-chercheurs, vous avez eu l’occasion de voir, année après année, les amphithéâtres et les salles de TD se vider en l’espace d’un semestre.
Trop d’étudiants découvraient, au cours des premières semaines, que les études supérieures dans lesquelles ils s’étaient engagés ne leur correspondaient pas ou étaient en décalage avec ce qu’ils avaient imaginé. Et trop d’étudiants aussi, nous le savons, se retrouvaient dans une filière par défaut.
Avec la loi ORE, nous nous sommes donné les moyens d’accompagner les futurs étudiants tout au long du processus d’orientation. Car l’orientation ne se réduit pas au moment du choix : elle se prépare en amont, elle se nourrit d’informations, elle s’accompagne avant et elle se prolonge après. Nous avons mis en place tous les nouveaux outils pour donner du sens, de la substance et plus d’efficacité à ce processus : avec le rôle renforcé des deux professeurs principaux, avec les fiches Avenir, avec les attendus, une petite révolution de l’orientation s’est engagée au cours de l’année écoulée.
Elle mérite d’être analysée et évaluée et il me parait crucial que vous puissiez vous saisir de ce sujet, pour à la fois en faire un premier bilan, identifier les éventuels manques et les ajustements nécessaires. Et c’est pourquoi je souhaite qu’à compter de la prochaine réunion du comité de suivi, nous puissions associer au comité de suivi des spécialistes de ces questions dans les établissements.
Mais il ne suffit pas de préparer les choix d’orientation. Il faut aussi les accompagner. C’est tout le sens des parcours individualisés que nous avons mis en place à la rentrée. Je pense aux « Oui si », bien sûr, et au-delà, à la nouvelle Licence sur laquelle nous avons travaillé l’année dernière. Là aussi, nous devrons faire un premier bilan, essayer de comprendre pourquoi certains étudiants acceptent et d’autres non et identifier la bonne manière de rendre les « Oui si » aussi attractifs que possible. Là aussi, un mouvement a été enclenché, mais s’il faut aller plus loin, je suis prête à y travailler avec vous et avec les établissements.
Tout cela suppose également, c’est l’évidence, que nous puissions mettre en place les bons indicateurs de suivi de la réussite des étudiants. C’est un sujet complexe : les taux de succès sont un premier point de repère, mais ils agrègent des réalités différentes : je souhaite qu’ensemble, nous puissions travailler à établir les bons points de repère. C’est essentiel, car c’est à l’aune de la réussite étudiante que nous pourrons juger du succès de la réforme.
Et là aussi, nous avons deux défis à relever : le défi de la réussite du plus grand nombre, bien entendu, mais aussi et peut-être même surtout celui de la réussite des plus fragiles, de ceux qui abordent l’enseignement supérieur sans détenir toutes les clefs nécessaires pour aller jusqu’au bout de leurs capacités et de leurs aspirations. Là aussi, j’ai vu se mettre en place des expériences de parcours -3/+3 très prometteuses
Les déterminants sociaux de la réussite dans le supérieur sont bien identifiés : il y a parmi vous certains des chercheurs les plus reconnus sur ce sujet et je tiens à vous remercier très sincèrement d’avoir accepté de participer à cette analyse et à cette réflexion.
Ouvrir plus largement encore les portes de l’enseignement supérieur à tous les bacheliers, quels que soient leur histoire, leur projet, leur filière, leur territoire d’origine : cette volonté irrigue l’ensemble de la loi « Orientation et réussite des étudiants ». Et parce que les inégalités sociales prennent de multiples formes, nous avons choisi d’aller sur tous les fronts : non seulement nous avons introduit un pourcentage minimal de boursiers fixé par les recteurs dans chaque formation, y compris les formations sélectives, mais nous avons aussi fait en sorte que les bacheliers technologiques et professionnels puissent trouver leur place en IUT et en BTS, pas pour les y enfermer mais parce que ces formations peuvent être de formidables tremplins pour eux . L’autocensure est une réalité contre laquelle il faut lutter.
Parcoursup n’est pas une boîte noire, au contraire, c’est un révélateur. Les règles qui régissent la plateforme découlent directement de la loi. Elles sont claires et publiques. Elles ont été discutées et elles le seront encore dans l’avenir.
C’est ce niveau de transparence qui nous permet enfin de poser clairement des questions qui, jusqu’ici, demeuraient dans l’ombre. Je pense notamment à la question territoriale, qui fait entrer en tension deux aspirations contradictoires : l’aspiration à la mobilité, parce qu’aucun étudiant ne doit se sentir assigné à résidence dans sa ville, son académie ou sa région ; et l’aspiration à la proximité, au fait de pouvoir poursuivre des études près de chez soi.
Notre devoir collectif, ce n’est pas de trancher pour les étudiants. C’est de leur ouvrir les deux possibilités : bouger, s’ils le souhaitent ; ou étudier près de chez eux, s’ils le préfèrent, et pour cela nous pouvons aussi penser de nouvelles solutions.
C’est la raison pour laquelle, avec la loi ORE, les recteurs sont désormais en mesure de garantir que ces deux libertés sont effectives en fixant des taux de mobilité par formation. Nous l’avons fait pour la première fois en 2018 et je souhaite que vous puissiez vous pencher rapidement sur les résultats, afin que nous puissions ensemble construire les lignes directrices à adopter pour l’année prochaine, notamment en Ile-de-France.
Trouver le bon équilibre et conforter cette liberté de choix me paraît déterminant. Et au-delà des taux fixés par les recteurs, cela veut dire trois choses.
Cela veut d’abord dire lever les freins à la mobilité – les freins économiques et matériels, bien sûr, et c’est la raison pour laquelle, dès cette année, nous avons mis à la disposition des commissions académiques des contingents de place réservés dans les résidences universitaires et créé une aide à la mobilité, évidemment cumulable avec les bourses, pour accompagner l’installation. Cela ne se sait pas encore assez et nous devons le faire savoir.
Au-delà des obstacles matériels, envisager de poursuivre ses études ailleurs, cela veut aussi dire savoir qu’il existe telle ou telle formation à tel endroit, avoir conscience du fait qu’elle correspond à votre projet et que vous y avez toutes les chances de réussir. Sur Parcoursup, il y a plus de 13 000 formations : autant dire qu’on n’en a jamais fait le tour.
Enfin cela suppose de rendre la mobilité attractive : choisir une formation éloignée mais porteuse d’insertion professionnelle en lien avec un territoire ou permettant de combler une aspiration au savoir doit être valorisée. Parce que c’est aussi une preuve de maturité et d’autonomie.
Cela signifie une chose très simple : nous devons accompagner individuellement chaque futur étudiant pour qu’il puisse explorer l’ensemble des possibles qui font sens au regard de son projet et de ses envies, sans pour autant nourrir les réflexes d’autocensure et renforcer les idées préconçues.
Ce que je constate aussi aujourd’hui, à la fin de la procédure normale de Parcoursup, c’est que 127 000 places sont encore vacantes. Et ce sont, pour nombre d’entre elles, des places disponibles dans des formations qui ont été et qui sont encore très demandées : il reste ainsi 21 000 places en BTS, 6000 en classes préparatoires, 6500 en droit, près de 6800 dans les formations de santé...
On ne peut donc pas, comme je l’entends trop souvent, résumer la question de l’entrée dans l’enseignement supérieur à une question de nombre de places disponibles. Bien sûr, les capacités d’accueil sont indispensables et le Gouvernement a pris ses responsabilités sur ce sujet dès l’année dernière.
Mais c’est aussi et même surtout une question de rencontre, à l’échelle de chaque candidat, entre des souhaits de formation et des capacités d’accueil à tel ou tel endroit.
C’est pourquoi nous devrons faire finement le bilan, territoire par territoire. Les recteurs y travailleront, avec l’ensemble des établissements et des acteurs.
Nous devrons aussi travailler pour identifier la bonne manière d’accompagner un futur étudiant qui a toutes les chances d’être accueilli dans une formation qui correspond pleinement à son projet, qui se trouve à quelques dizaines de kilomètres de chez lui et qu’il ne connaît pourtant pas ou au sein de laquelle il ne candidate pas. Il y a trop d’occasions manquées.
C’est vrai pour les formations sélectives. C’est vrai aussi pour les Licences : dans les villes universitaires, notamment de taille moyenne, il y a des formations qui offrent un encadrement et un accompagnement particulièrement remarquable et qui disposent de places alors que dans d’autres lieux les contraintes sont fortes. Je ne m’y résigne pas et je veux y travailler avec les territoires et avec les universités, pour faire mieux connaître aux lycéens les possibilités qui existent.
Poser la question de la mobilité, c’est donc aussi poser la question des déséquilibres territoriaux – et des enfermements. Là aussi, beaucoup de choses ont été dites, beaucoup de choses qui étaient profondément erronées. Non, Parcoursup n’a pas renforcé la barrière du périphérique, au contraire, nous avons enfin commencé à la faire tomber : plus de 43 % des candidats de l’académie de Créteil ont eu une proposition à Paris, contre 26 % avec APB.
Là aussi, je suis prête à aller plus loin encore et vos propositions sur les taux de mobilité me seront précieuses. Mais je ne laisserai pas dire, comme cela a été le cas au cours des derniers mois, que Parcoursup enferme là où Parcoursup a ouvert le système et démultiplié les possibilités offertes aux futurs étudiants de Créteil et de Versailles, comme d’ailleurs. Parcoursup n’est pas le problème, c’est une des solutions pour lutter contre l’assignation à résidence.
Là aussi, Parcoursup joue son rôle de révélateur. Cette crainte de l’assignation à résidence, qui est parfois une réalité, nous le savons, s’est largement exprimée. Cette crainte, je l’entends, nous l’entendons tous. Elle nous oblige à aller plus loin encore, à aller au fond des questions pour apporter des réponses plus efficaces et plus larges encore. Mais pour cela, il faut sortir des démarches politiciennes et travailler ensemble, avec les territoires. J’y suis prête.
Je souhaite que le comité de suivi de la loi puisse jouer un rôle pivot dans ce travail. La diversité des regards, votre expertise scientifique et pédagogique, votre engagement aussi dans ces questions sont autant d’atouts pour nous permettre d’imaginer ensemble des voies nouvelles.
Je le disais il y a quelques instants, si les ajustements techniques liés à la plateforme doivent être décidés d’ici la fin du mois de septembre, nous avons jusqu’à la fin de l’année pour travailler afin de renforcer, en 2019, la mobilité et l’ouverture sociale du dispositif. Naturellement, il ne s’agira là que d’une première étape et sur ces questions plus que sur tout autre, c’est au cours des mois et des années qui viennent que nous devrons poursuivre le travail.
A très court terme, deux des sujets que je viens d’évoquer me paraissent appeler de votre part des recommandations : comment conforter la dynamique des « Oui si » et comment asseoir les taux de mobilité fixés par les recteurs sur des lignes directrices encore plus nettes ?
Je vous remercie donc à nouveau très chaleureusement d’avoir accepté d’être les moteurs de cette réflexion et je vous propose à présent d’échanger très librement.
Je vous remercie.