"Le réel exil commence lorsque le présent est confisqué. Quand on est condamné à rêver le temps d'avant et attendre l'avenir".
Cette citation du poète irakien Chawki Abdelamir décrit bien la situation des scientifiques en exil dont les recherches, les libertés académiques et parfois la vie, sont suspendues dans leur pays d'origine ; suspendues à l'arbitraire, suspendues aux exactions d'un régime totalitaire. A travers le monde, des initiatives sont nées pour opposer à ces présents confisqués un avenir possible, ailleurs, et pour offrir à ces vies suspendues une chance de se poursuivre et de s'enrichir de nouvelles expériences, au sens scientifique et personnel du terme. Telle est la promesse de PAUSE : permettre à des hommes et à des femmes de reprendre le fil de leur vie et de leurs travaux, assurer la continuité de leurs recherches et de leur quotidien.
L'envergure internationale des rencontres qui se sont tenues aujourd'hui donnent la véritable mesure de ce défi : il est mondial et sa résolution dépendra de notre capacité à l'appréhender à toutes les échelles, de la plus locale à la plus globale, de la plus individuelle à la plus collective. C'est pourquoi je tenais particulièrement à être présente ce soir pour vous redire combien le Ministère est fier de soutenir ce programme et combien il est vital que ce soutien soit le plus large et le plus partagé possible.
La situation des scientifiques en exil expose au grand jour un péril humain et scientifique qui appelle une mobilisation générale : du monde, il exige la plus grande coopération.
De la patrie des Lumières et des droits de l'Homme, il attend une réponse à la hauteur du symbole qu'elle représente tant pour la sécurité des hommes que pour la sauvegarde des savoirs.
"Sauver une vie pour sauver des idées" : PAUSE est la réponse française à un impératif moral universel, qui représente aussi une opportunité scientifique et économique. Pour que cette réponse soit la plus efficace possible, elle doit trouver un écho dans la société toute entière et une place dans une approche globale des migrations.
Ce que je voudrais rappeler tout d'abord, c'est que le soutien aux scientifiques en exil est à la fois un devoir et une chance. Accueillir des hommes et des femmes qui sont menacés dans leur pays parce qu'ils servent non le pouvoir mais le savoir relève d'un impératif moral et scientifique. Chercher la vérité conduit toujours à s'exposer. A fortiori face à un régime totalitaire qui voit dans la connaissance un espace de résistance. Retirer à un chercheur ses libertés académiques, c'est circonscrire ce territoire de l'esprit qui échappe à l'emprise de la fiction totalitaire que le pouvoir entend imposer, pour reprendre l'expression d'Hannah Arendt. Empêcher un chercheur de chercher, c'est exercer un terrorisme de la pensée pour protéger les dogmes sur lesquels reposent les régimes autoritaires des vérités que la science établit.
Ce territoire inaliénable de la science, ce refuge ultime de la pensée, c'est aussi ce que la France représente aux yeux du monde. C'est son honneur que d'incarner la patrie des droits et des idées. C'est aussi sa responsabilité de traduire en actes ces valeurs héritées de son histoire ; elle ne peut se réduire à un symbole vidé de son sens par une légitimité de façade qui ne reposerait que sur des mots ou sur un legs du passé. Dépasser l'archétype pour être pleinement acteur, voilà la dignité de la France. C'est être fidèle à son humanité que d'accueillir ces hommes et ces femmes menacés ; c'est être fidèle à son humanisme que de protéger leurs savoirs et leur liberté de produire de la connaissance. Accueillir des scientifiques en exil, c'est donner asile à des idées, à des recherches, à des pratiques scientifiques. Dans la Grèce Antique, l'asile c'est "ce que l'on ne peut piller". Le destin du site de Palmyre offre une bien triste métaphore du pillage intellectuel qui est à l'œuvre à travers chaque limogeage, chaque menace, chaque violence perpétrée contre les enseignants et les chercheurs. Empêcher que la science ne se transforme en un champ de ruines dans les pays en guerre, c'est participer à la sauvegarde d'un patrimoine immatériel universel mais c'est aussi s'engager pour l'avenir de ces nations. Les intellectuels, les savoirs et les compétences qui trouvent un refuge hors de leur terre natale sont autant de leviers pour la reconstruction future de leur société. Il s'agit là d'un enjeu stratégique international qui nous rappelle la véritable mesure de l'aide aux scientifiques en exil.
Ressources pour l'avenir de leur pays d'origine, ils sont aussi des atouts pour celui de leur pays d'accueil. On ne dit jamais assez combien la richesse scientifique d'une nation dépend de sa capacité à faire dialoguer les savoirs, à rassembler en son sein les connaissances les plus diverses, à attirer les esprits les plus brillants. L'ouverture sur le monde est la condition même de l'excellence. Comme le rappelle Gérard Noiriel dans Le creuset français, de Jules von Mohl à Marie Curie en passant par le chimiste Orfila, la science et la culture françaises savent ce qu'elles doivent au métissage des idées.
Ce qu'emportent avec eux ces chercheurs étrangers, ce sont des connaissances, des travaux déjà entamés, des pratiques différentes et des partenariats. Les accueillir dans nos organismes, nos universités et nos écoles, c'est donner l'opportunité à la France d'explorer de nouveaux territoires du savoir, accéder à des réseaux différents, créer des coopérations inédites, favoriser les échanges avec d'autres pays. Si la France se situe historiquement au carrefour européen des idées, l'accueil de chercheurs essentiellement issus aujourd'hui de Turquie et de Syrie est aussi une opportunité d'élargir vers l'Orient sa vision de la science. Et puisque la recherche alimente l'innovation, le monde économique, les entreprises et les industries sont les seconds bénéficiaires de ce vaste brassage des idées.
La solidarité à l'égard des scientifiques en exil est donc un impératif moral mais aussi une opportunité de favoriser le rayonnement et l'attractivité de notre pays. La situation des enseignants et des chercheurs exilés exigeait donc des pays démocratiques une réponse à la hauteur de ces enjeux multiples.
La réponse de la France a été efficace et participative. Elle tient en un mot : PAUSE. Je tiens tout d'abord à saluer les réussites dont le programme peut s'enorgueillir après quelques mois d'existence seulement. Le premier bilan effectué au mois de juin dernier faisait état de 63 scientifiques accueillis dans 50 établissements et organismes de recherche à travers la France. Le 3e appel à candidature a permis de sélectionner en octobre 35 nouveaux candidats, ce qui porte à 98 le nombre de scientifiques bénéficiaires du dispositif en 2017. PAUSE a donc presque atteint son objectif de 100 chercheurs accueillis par an ! Un résultat qui traduit une mobilisation remarquable de tous les acteurs. Et d'abord, de ceux qui ont présidé à la naissance de PAUSE :
- En premier lieu, la communauté scientifique : le programme est né de la recherche. Il n'aurait pas vu le jour sans le rapport que Liora ISRAEL a établi en septembre 2016 sur l'accueil en France des scientifiques en danger et sans ses précieuses recommandations pour un dispositif national.
- En second lieu, l'Etat : si la recherche est inscrite dans les gènes de PAUSE, il doit sa naissance en janvier 2017 à une volonté politique sans faille. Je salue l'engagement du secrétaire d'Etat Thierry Mandon, et la qualité de la coopération interministérielle qu'il a conduite avec ses homologues des Ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Le MENESR a ainsi accompagné les premiers pas de PAUSE d'une dotation de 2 millions d'euros en 2017.
- En troisième lieu, une institution : cet acte de naissance serait incomplet sans mentionner le berceau qui a accueilli le dispositif. L'engagement du Collège de France, l'implication de ses membres au sein du comité de parrainage de PAUSE, participent de cette réussite collective. Le rayonnement du Collège, son prestige scientifique sont également essentiels pour la visibilité du programme.
Science, Etat, caution académique : PAUSE a vu le jour sous les meilleurs auspices. Mais il ne suffisait pas d'être bien né pour exister. Sans la mobilisation des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, PAUSE serait resté une utopie. C'est l'adhésion et la participation de la communauté scientifique et universitaire qui a donné corps à ce beau projet. J'en veux pour preuve tout d'abord l'implication de ses plus grands représentants au sein du comité de direction du programme : la Chancellerie, C.P.U., C.D.E.F.I., C.N.R.S., INSERM, CNOUS, récemment rejoints par l'INRA et Inria Quant aux 50 établissements et organismes qui ont accueilli les premiers chercheurs, ils ont su traduire la solidarité en actes et honorer les valeurs d'ouverture de la recherche. De l'élaboration du projet scientifique du chercheur réfugié à son accompagnement social et professionnel, leur implication relève d'un véritable engagement, humain et financier.
Le monde socioéconomique a su également prendre ses responsabilités : premier mécène privé de PAUSE, c'est l'entreprise Michelin qui a ouvert la voie d'une prise de conscience de la société civile, en donnant 200 000 euros sur 2 ans. Le fonds de souscription de PAUSE, placé sous l'égide de la Fondation de France, recueille aussi les dons issus de la générosité publique et des particuliers. La dynamique participative est ainsi en marche.
Convaincue de la puissance du collectif, PAUSE poursuit le dialogue au-delà des frontières nationales. Cette ouverture sur le monde fait partie de son identité : c'est en effet l'étude comparative de Liora Israel menée à partir des dispositifs existants en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis, qui a conduit à la première ébauche de PAUSE. Sources d'inspiration, ces programmes homologues britannique, allemand et américain, sont désormais devenus de véritables partenaires de PAUSE. La présence de trois de leurs représentants ce soir est la preuve de l'étroitesse des liens qui les unissent et je tiens à les saluer. Les rencontres qui s'achèvent nous rappellent combien la prise en charge des scientifiques en exil appelle une coordination mondiale des initiatives nationales.
Les premiers résultats de PAUSE ont prouvé la réactivité des acteurs politiques, institutionnels et socioéconomiques face à ce défi. Mais si l'impulsion donnée par l'Etat a été fondatrice, l'écho positif qu'elle a trouvé au sein de la société doit désormais gagner en ampleur et en profondeur. PAUSE a fait la démonstration de son efficacité en matière d'accueil en urgence. Si l'objectif des 100 chercheurs par an est déjà atteint, la question du renouvellement de leur convention annuelle se pose déjà, tandis qu'au gré de ces premières expérimentations, de nouveaux besoins et de nouvelles attentes surgissent. Pour pérenniser, étendre et prolonger l'action de PAUSE, il faut que la société tout entière s'empare du sujet et s'engage dans cette dynamique participative.
Je le répète, relever le défi de l'aide aux scientifiques réfugiés appelle la mobilisation de tous. Il appartient à chaque acteur de porter plus loin ses engagements. L'Etat a joué le rôle d'amorceur à travers l'implication de trois ministères, dont la coopération est essentielle pour la bonne marche du dispositif. Cet appui interministériel est en train de s'étendre. En effet, le ministère de la Culture a récemment émis le souhait de rejoindre PAUSE, puisque des établissements relevant de sa tutelle pourraient aussi accueillir des scientifiques en exil. Le ministère de l'E.S.R.I. soutiendra encore davantage le dispositif puisque j'ai décidé d'augmenter en 2018 la donation conventionnelle d' 1 million d'euros.
Mais cet élan ne suffit pas. Il doit être relayé par la communauté scientifique et universitaire, qui s'est déjà fortement mobilisée.
La poursuite de son effort doit s'entendre en termes de chiffres certes : j'espère ainsi que l'année 2018 verra l'entrée de nouveaux établissements dans le dispositif. Mais elle doit aussi s'entendre en termes de nature. Au-delà de l'accueil, c'est l'insertion des chercheurs en exil que PAUSE doit soutenir. Cette question devient d'ailleurs cruciale à l'échéance des conventions d'accueil. Le rôle des établissements est déterminant : il leur appartient de donner aux chercheurs réfugiés des opportunités de réussite identiques à celles dont bénéficient leurs pairs. Cette promotion de l'égalité des chances passe par un accompagnement social et scientifique, qui va de l'apprentissage du français à la valorisation de leurs travaux de recherche dans des domaines parfois peu représentés en France.
Bien entendu, la question de l'insertion concerne également les acteurs socioéconomiques, dont le soutien peut prendre d'autres formes que le mécénat classique. Le don financier demeure bien entendu essentiel : rappelons-le, PAUSE estime à 30 000 euros le montant nécessaire pour accueillir un chercheur et sa famille durant 1 an. C'est dire si l'apport du mécénat est un levier incontournable.
Mais pour que la société soit sensibilisée à la situation des scientifiques en exil, pour qu'elle soit prête à les accueillir et à les intégrer, compter sur la tradition d'hospitalité qui fait la dignité de notre pays ne suffit pas. Il faut que le destin de ces hommes et de ces femmes résonnent chez nos concitoyens. Il faut que leurs parcours soient mieux compris et que la question migratoire dont ils relèvent soit mieux connue.
Les migrations font partie de ces grands défis contemporains qui ne peuvent faire l'économie de l'éclairage de la recherche. L'apport des sciences humaines et sociales dans ce domaine est incontournable.
Je crois fermement que des dispositifs tels que PAUSE doivent s'adosser à une culture scientifique des migrations, la plus largement diffusée et partagée, sous peine de ne jamais trouver un écho durable au sein de la société. C'est pour répondre à ces enjeux très actuels que le C.N.R.S. et l'INSERM portent le projet d'un Institut de convergences sur les Migrations, destiné à s'installer sur le futur campus Condorcet dédié aux S.H.S.. La diffusion des résultats de la recherche sur les migrations, en plein essor, est fondamentale pour mettre en échec les récits xénophobes sur l'immigration qui pourraient faire obstacle, au sein de la société, à l'accueil des scientifiques en exil et des réfugiés en général. La recherche a peu à peu déconstruit le récit initial du déracinement et de l'assimilation pour envisager les migrations sous l'angle dynamique de la circulation, des réseaux, des interrelations, des transferts, d'hommes mais aussi de savoirs, de techniques, d'œuvres, d'objets. L'étude des migrations joue de toute la gamme des échelles, conjuguant les approches les plus locales et les plus globales. Elles nous apprennent comment les parcours des migrants s'infléchissent en fonction des politiques migratoires du pays d'arrivée, de la communauté qui les accueillent, des intermédiaires qui les soutiennent, ou qui, hélas, les exploitent. Comment ignorer la pertinence de ces recherches pour la prise en charge des scientifiques en exil et la réussite d'un dispositif tel que PAUSE ?
J'ai ouvert mon propos par la citation du poète Chawki Abdelamir qui considère que l'exil commence lorsque le présent est pris en otage. Je souhaiterais la clore sur ces mots du moine chrétien Honoré d'Autun : "L'exil de l'homme, c'est l'ignorance ; sa patrie c'est la science". Plusieurs siècles séparent ces deux réflexions.
Naviguer de l'une à l'autre, c'est aller du réel à l'utopie, celle d'une science sans frontières, celle d'un asile universel de la connaissance où tous les savants et intellectuels pourraient se retrouver et échanger. Offrir une place dans ce territoire de la pensée incarné par la communauté française d'ES et de recherche, c'est l'idéal que PAUSE poursuit avec pragmatisme, sans nier les difficultés, mais en essayant de communiquer à l'ensemble de la société son enthousiasme et ses convictions. Il appartient à chacun de l'accompagner dans cette voie exigeante de l'humaniste en actes.