SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI
Je tiens tout d'abord, en guise d'introduction, à adresser mes félicitations républicaines et sincères à tous ceux qui parmi vous ont été élus ou renouvelés dans leur mandat à l'occasion du scrutin du 27 septembre dernier. En particulier, je tiens à vous adresser, Monsieur le Président, mes plus chaleureuses félicitations pour votre élection à la tête de la commission de la Culture et nécessairement, je tiens à rendre hommage au travail important réalisé depuis 2014 par votre prédécesseur, Catherine Morin-Desailly.
La période que nous traversons est en tout point « exceptionnelle », et je tiens à vous assurer ici de ma pleine et entière coopération pour répondre aux grands défis qui nous attendent pour les mois à venir. Qu'il s'agisse de l'avenir de notre enseignement supérieur, de l'accompagnement de nos étudiants ou des perspectives de notre recherche, la crise que nous traversons appelle une mobilisation de tous, un dialogue nourri et régulier entre le gouvernement et le Parlement, des actions coordonnées et concertées. Je serai toujours au rendez-vous de ces impératifs et je sais pouvoir trouver en vous des interlocuteurs ouverts et de puissants relais.
C'est particulièrement vrai s'agissant de notre Recherche. Je connais à la fois l'implication de la Chambre Haute et l'importance qu'elle accorde à ces sujets, et j'aurai plaisir à échanger avec vous tout le long de l'examen parlementaire.
En vous présentant aujourd'hui le projet de loi de programmation de la recherche, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je voudrais partager avec vous deux constats.
Tout d'abord, celui de l'importance vitale de la science pour notre pays. Il n'y a pas de grande nation sans une recherche d'excellence à la hauteur des défis globaux de notre temps, dont la pandémie de Covid-19 a révélé l'immense complexité. Il n'y a pas de pays prospère sans une recherche de pointe, capable d'aller chercher sur le front des connaissances les innovations de rupture qui feront le lit de la croissance de nos entreprises. Et enfin, il n'y a pas de pays libre, sans une maîtrise totale des technologies stratégiques qui façonneront l'avenir, à l'instar de l'intelligence artificielle (I.A.), du quantique ou de la biologie moléculaire, ce qui suppose par ailleurs une attention toute spécifique pour les sciences humaines et sociales et le domaine des humanités dans son ensemble qui participent de plus en plus de ces avancées.
Ce caractère vital de la science, nous l'avons parfois perdu de vue. Bien sûr, la France est fière de sa recherche et de ses chercheurs, fière d'avoir abrité des générations de prix Nobel et fait éclore de grandes théories et de grandes découvertes qui ont marqué en profondeur notre histoire, si bien que nous sommes tous un peu pasteuriens et tous un peu structuralistes sans vraiment le savoir. A cet égard, je tiens à saluer et à rendre hommage au professeur Emmanuelle Charpentier qui a été récompensée ce matin même du prix Nobel de chimie pour ses travaux sur l'édition du génome et la technique des ciseaux génétiques. La science est une part de notre identité. Et nous avons fini par oublier que cet héritage est aussi une réserve d'espoir et de solutions pour l'avenir.
Or deux évènements majeurs, de natures bien différentes, sont récemment venus nous le rappeler.
Lorsque les flammes ont attaqué la cathédrale Notre-Dame l'an dernier, nous étions tous profondément émus mais pas désarmés, parce que nous avions accumulé suffisamment de connaissances en histoire de l'art, en archéologie, en physique et en chimie des matériaux, pour lancer, dès le lendemain, un immense chantier de restauration. Vous aviez d'ailleurs, par un passionnant rapport de l'OPECST paru en juin 2019, souligné à la fois l'immense complexité de la restauration mais aussi la richesse des compétences et moyens techniques dont nous disposions pour y faire face. De la même manière, lorsque la crise sanitaire a éclaté, si nous avons pu très rapidement disposer d'un test diagnostic, séquencer le virus du premier patient français, modéliser la dynamique de l'épidémie et lancer des essais cliniques, c'est parce que la recherche se tenait prête, c'est parce qu'il y a 7 ans le consortium REACTING a été créé pour organiser notre réponse à l'émergence de nouveaux pathogènes, c'est parce que depuis plusieurs années des équipes inventorient les virus existants, c'est parce que depuis des décennies les scientifiques se passionnent pour le monde de l'infiniment petit.
Cette réactivité, cette clairvoyance, nous les devons à des siècles de science et d'esprit critique. Laisser le socle de nos connaissances se déliter, priver la recherche des moyens de construire aujourd'hui celles dont nous aurons besoin demain, c'est, au fond, nous condamner à être impuissants face aux défis que nous identifions déjà et tétanisés par ceux que nous n'imaginons pas encore.
En vérité, c'est le destin que nous nous préparons si nous ne réinvestissons pas massivement dans notre recherche. De la baisse du nombre d'inscriptions en doctorat à la stagnation des rémunérations des personnels de recherche en passant par l'âge moyen d'entrée dans la carrière, tous les voyants sont au rouge et conduisent à un même constat : la recherche française décroche. Cet affaiblissement découle d'un sous-investissement chronique, à rebours de l'ambition que nous avions affichée il y a 20 ans dans la Stratégie de Lisbonne. En réalité, nous courrons aujourd'hui après une décennie perdue. Le seul programme 172 a stagné entre 2007 et 2017, le défaut d'investissement dans notre recherche rognant la marge de manœuvre de nos opérateurs, en l'espèce les organismes de recherche. Le même constat pourrait être dressé s'agissant des universités et des écoles.
Loin des 3 % que nous nous étions engagés à atteindre en 2010, nous consacrons aujourd'hui 2,2 % de notre PIB à notre recherche, quand d'autres nations, comme l'Allemagne ou le Japon, ont dépassé les 3 %, voire les 4 %, en Corée du Sud. Derrière cette cible manquée, il y a non seulement un risque de déclassement international, mais également un quotidien qui n'a cessé de se dégrader dans nos laboratoires. Etre chercheur en 2020, c'est courir après les financements, se faire rattraper par des tâches administratives envahissantes, composer avec le manque de personnels d'appui, affronter de nouveaux concurrents internationaux parfois mieux armés. Et c'est aussi, malgré tout, faire preuve d'un engagement sans faille, dont la lutte contre la Covid-19 a permis de mesurer l'ampleur, ainsi que l'ont montré les travaux du groupe Recherche du Sénat, et je tiens à saluer ici l'engagement des membres de ce groupe : Madame Darcos, Monsieur Ouzoulias, Monsieur Piednoir et Madame de la Provôté. Le rapport que vous avez produit en juin dernier a été particulièrement précieux pour alimenter les réflexions de mon ministère, à la fois sur les impératifs de court terme liés à la gestion de la crise, comme pour ceux de long terme que nous abordons avec cette loi de programmation.
Comme vous le soulignez très justement dans votre rapport, ces derniers mois, notre recherche a prouvé combien nous pouvions compter sur elle. Il est grand temps que la nation lui rende la pareille.
C'est tout l'objet du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Sa première ambition est de servir la communauté scientifique, de lui rendre, selon le cap fixé par le Premier Ministre en février 2019, le temps, la visibilité et les moyens dont elle a besoin pour accomplir sa mission. C'est pourquoi ce texte a été écrit au plus près des femmes et des hommes qui font vivre la science au quotidien : il est le fruit de la vaste concertation que j'ai conduite pendant plus de 18 mois mais également des centaines de visites que j'ai effectuées dans les laboratoires depuis 3 ans. Chacune d'entre elle m'a permis de mesurer tout à la fois la passion des communautés de recherche pour leur métier, et la frustration, parfois la colère, générée par des décennies de promesses sans lendemain et de stratégies sans effet sur un quotidien de plus en plus difficile.
Elles m'ont convaincue que nous devons à la recherche française une loi qui restaure la confiance entre la Nation et ses chercheurs, une loi ambitieuse et réaliste, une loi qui ne se contente pas de fixer un horizon mais qui pose les jalons pour l'atteindre, autrement dit une loi de programmation. C'est dans cet esprit de réalisme et d'exigence que nous avons travaillé à l'Assemblée nationale en première lecture, ce qui a permis d'enrichir le texte de garanties, de sécurité et de précisions supplémentaires concernant les mesures relatives aux ressources humaines. Et je suis convaincue que des enrichissements complémentaires seront débattus et votés ici, au Sénat.
Ce pacte de confiance repose sur une trajectoire d'investissement de 25 milliards d'euros sur 10 ans, gravée dans le marbre de la loi. Pallier par pallier, elle construira une augmentation de 20 % des moyens de la recherche et sanctuarisera son budget à hauteur de 20 milliards d'euros en 2030. Ce budget cible est un budget plancher, un socle de base, qui ne dit pas tout des moyens dont disposera la recherche durant les prochaines années. Ainsi, le Plan de relance n'investit pas moins de 6,5 milliards d'euros dans l'enseignement supérieur, la recherche et de l'innovation sur 3 ans. Si France Relance et la programmation s'inscrivent dans des temporalités différentes et portent des philosophies complémentaires voire synergiques, toutes deux témoignent d'un même engagement de l'Etat envers la recherche, d'une même volonté de la réarmer en profondeur pour aborder l'avenir avec sérénité et audace. Il en va de même pour la prochaine génération des contrats de plan État-Région, idem pour les investissements d'avenir ainsi que pour la progression du budget des crédits du ministère négociée chaque année avec les ministères financiers. A cet égard, le plan étudiants comme le soutien à la vie étudiante et tous les éléments qui constituent le budget du ministère viennent en plus de la programmation de la recherche.
Pour tenir ses objectifs et remplir ce pacte de confiance entre la Nation et ses chercheurs, la programmation dont nous allons débattre s'appuie sur 4 axes :
Le premier, c'est un réinvestissement massif et inédit dans tous les domaines de la connaissance. Il s'agit de 25 milliards d'euros supplémentaires investis au cours des 10 prochaines années, selon une trajectoire construite selon des marches progressives qui permettront de donner de la visibilité à nos équipes de recherche. C'est un investissement inédit depuis plusieurs décennies. Au-delà des montants, ce qui se joue, c'est la construction d'un cadre permanent de programmation afin de porter notre recherche dans le temps long. Les députés ont ainsi introduit une clause dite « de revoyure » qui permettra de réactualiser, sur le modèle des lois de programmation militaire, la programmation de la recherche au moins tous les trois ans.
Cette programmation est construite sans a priori disciplinaire. Les moyens injectés dans la recherche ne seront pas fléchés. La grille de lecture de la programmation n'est pas sectorielle, tout simplement parce qu'elle ne correspond pas à la réalité du monde dans lequel nous vivons. Les défis qui se posent à nous aujourd'hui n'ont que faire des frontières disciplinaires, ils surgissent précisément au carrefour des connaissances : c'est le cas des maladies émergentes ou ré-émergentes qui relient les santés humaines, animales et les questions environnementales, c'est le cas du réchauffement climatique, qui convie à la même table la physique de l'atmosphère, le droit international, la sociologie des comportements, les sciences économiques et bien d'autres.
Le Gouvernement a donc fait le choix d'une programmation libre et transversale, qui garantisse à tous les territoires de la recherche d'être correctement irrigués. L'un des piliers de cette stratégie, c'est l'Agence nationale de la recherche, dont le budget sera rehaussé à hauteur de 1 milliard d'euros à l'issue de la programmation. Notre objectif, c'est de permettre à l'A.N.R. de renouer avec sa vocation universelle, que le faible taux de succès à ses appels à projet a fini par occulter. En relevant ce dernier à 30 %, les financements de l'A.N.R. s'adresseront à tous les projets, à ceux qui s'emparent des priorités définies par l'État comme à ceux qui sont mus par une démarche exploratoire ; à toutes les équipes et à toutes les disciplines, des sciences exactes comme des sciences humaines et sociales ; à tous les territoires, ceux qui comptent des grandes universités pluridisciplinaires tout comme ceux qui portent des universités thématiques. Nous ferons également en sorte que l'A.N.R. s'adapte aux particularités de chacune des disciplines.
L'objectif de ce projet de loi, c'est naturellement de porter l'A.N.R. au rang des meilleures agences de financement de la recherche dans le monde. C'est aussi et surtout de mettre un terme à l'opposition entre financement sur appel à projet et financements de base. Notre recherche ne souffre pas d'un excès d'appel à projet, elle souffre d'un défaut de financement généralisé. Il ne faut pas faire l'un ou l'autre, il faut faire les deux et c'est bien l'objet de ce projet de loi.
Le choix d'investir massivement dans notre agence nationale de financement n'est pas toujours compris de tous : certains y voient une rupture de l'équilibre entre financements récurrents et financements sur projets et une exaltation de la concurrence au détriment de la collaboration. Ceux-là oublient tout d'abord que, parallèlement, la programmation prévoit d'augmenter le budget récurrent des laboratoires de 10 % l'an prochain, pour atteindre 25 % en 2023. Mais surtout, le renforcement des moyens de l'A.N.R. répond lui aussi au besoin de crédits de base, tout comme il reconnaît l'importance du collectif, mais il le fait en empruntant un chemin moins classique, moins attendu : celui du préciput. Le préciput, c'est cette enveloppe supplémentaire qui revient au laboratoire et aux établissements de l'équipe lauréate d'un appel à projet. En atteignant 40 % des financements alloués, ce mécanisme permettra d'irriguer l'ensemble des territoires et des disciplines de 450 millions de crédits de base supplémentaires par an. Ainsi, à chaque fois qu'une équipe remportera un appel à projet, son succès contribuera à financer les travaux de ses collègues. Ce n'est pas là l'image que je me fais de la lutte de tous contre tous mais bien davantage de la solidarité.
J'ai missionné avant l'été un groupe de travail sur la répartition du préciput impliquant organismes et universités de toutes tailles et couvrant toutes les disciplines. Ce groupe de travail a abouti à une solution consensuelle pour la répartition des 40 %. Ainsi 25 % reviendront au total aux établissements contractant et hébergeur à un horizon proche de 2023, 5 % reviendra au Laboratoire à un horizon de 2027, et 10 % au site au même horizon 2027 dans le cas où existe un accord de site préalablement.
Pour renforcer l'ancrage territorial de la programmation, j'ai d'ailleurs installé avant l'été un groupe de travail, co-présidé par Renaud Muselier, qui doit nous permettre de coordonner et de renforcer les actions entre mon Ministère et les territoires. Je sais que vous êtes nombreux ici à vous intéresser à ce dialogue et à encourager son développement. C'était d'ailleurs l'objet d'un excellent rapport d'information, en 2019, de votre collègue le sénateur Jean-François Rapin, « Les régions, acteurs d'avenir de la recherche en France ». Comme vous l'avez fait dans le cadre de ce travail, j'ai moi aussi entamé un tour de France « territoires des savoirs », au cours duquel j'ai pu observer la formidable émulation des acteurs locaux et la montée en puissance des Régions dans le déploiement de notre politique de recherche sur le territoire. Et je crois que ce groupe de travail que nous avons mis en place avec le Président Muselier nous permettra de répondre à votre proposition numéro 2, qui visait au renforcement de la concertation entre les instances de pilotage régionales et nationales, pour favoriser les synergies en termes de financement.
La force du collectif est également au cœur du 2ème axe de ce projet de loi. Réarmer notre recherche, c'est d'abord et avant tout cultiver sa plus grande richesse : ses talents. Il nous faut à la fois mieux reconnaître les personnels de recherche et assurer leur relève en attirant de nouveaux profils. C'est pourquoi la programmation amorce le plus vaste mouvement de revalorisation salariale depuis des décennies, en y associant de près les organisations syndicales, à travers un protocole d'accord en cours de négociation, qui garantira que tous les métiers, toutes les catégories et tous les grades en bénéficieront. Ainsi, 92 millions d'euros par an seront consacrés pendant 7 ans à la convergence des systèmes indemnitaires, afin de tirer l'ensemble des rémunérations vers le haut.
Une première étape est prévue jusqu'en 2027 afin de construire la convergence des régimes indemnitaires au sein des corps du ministère. L'enjeu est de construire un ensemble cohérent recrutant au niveau du doctorat allant des maîtres de conférences aux chargés de recherche en passant par les ingénieurs de recherche, soit 70 % des fonctionnaires assimilés A+. C'est ce qui nous permettra de réaliser une seconde phase, entre 2028 et 2030 de convergence à fonction publique comparable.
Si nous voulons garantir l'avenir de ce collectif, il nous faut aussi redonner aux jeunes générations le goût des carrières scientifiques. Pour cela, nous proposons de les rendre plus attractives, plus dynamiques, plus sûres et ce, dès le doctorat. La programmation prévoit ainsi d'augmenter de 20 % le nombre de contrats doctoraux, de systématiser et de rehausser leur financement, et de créer un contrat post doctoral public et privé afin de sécuriser la transition vers un poste pérenne. Les contrats seront revalorisés de 30 % d'ici 2023. C'est la première fois qu'un gouvernement s'engage à ce point pour nos doctorants.
L'autre étape clé, c'est bien entendu l'entrée dans la carrière des chercheurs et des enseignants-chercheurs, auquel la loi donnera un nouvel élan. Dès l'an prochain, les maîtres de conférence et les chargés de recherche ne seront plus rémunérés en dessous de 2 SMIC et bénéficieront d'un accompagnement de 10 000 euros en moyenne afin de démarrer leurs travaux. Il n'y aura pas d'enjambement ou d'inversion de carrières et des revalorisations spécifiques sont prévues pour les chercheurs et enseignants-chercheurs récemment recrutés dans leurs corps.
Parallèlement, de nouvelles voies de recrutement pourront être proposées : les chaires de professeur junior. Elles permettront aux établissements qui souhaiteront s'en saisir de jouer à armes égales avec les autres nations scientifiques, où ces tenure track sont bien installées dans le paysage. Il s'agit de renforcer l'autonomie des universités notamment en leur donnant un véritable levier de recrutement selon les meilleurs standards internationaux. Il s'agit de faire vivre également des approches originales, interdisciplinaires notamment qui peinent à exister dans les cadres et procédures actuelles. Les postes dont il s'agit viendront en plus et seront environnés par un abondement spécifique de 200 000 euros de l'A.N.R., ce qui leur permettra de travailler avec quelques doctorants par exemple et de construire ainsi progressivement leur équipe.
Ces chaires sont en effet un atout essentiel pour attirer dans notre pays des scientifiques au profil atypique et prometteur, dont le parcours ne rentre pas dans les cases du cursus académique classique.
Celui-ci conserve pour autant toute sa pertinence, et il ne sera ni menacé ni concurrencé par la création de ces nouvelles modalités de recrutement, qui viendront non pas à la place, mais en plus. En gage de ce principe, chaque recrutement sur une chaire de professeur junior sera couplé à une promotion de maître de conférence dans le corps des professeurs d'université, comme je m'y suis engagé lors du vote du texte devant le CNESER au mois de juin dernier.
L'emploi statutaire sera par ailleurs conforté par la création de 5 200 postes supplémentaires durant toute la durée de la programmation. L'effort portera notamment sur les emplois d'ingénieurs et de techniciens dont l'érosion se fait cruellement sentir dans nos laboratoires. Leur savoir-faire est une part essentielle de l'excellence de notre recherche, et nous devons le préserver davantage, en consolidant l'emploi titulaire, mais aussi en améliorant la condition des contractuels, grâce à la création du C.D.I. de mission scientifique. Ce nouvel outil permettra de mettre fin aux situations ubuesques de personnels recrutés spécifiquement pour accompagner un projet de recherche sur la base d'un contrat qui ne leur permettra pas de rester jusqu'au terme dudit projet. Le C.D.I. de mission scientifique remet les pendules à l'heure en alignant la durée du contrat sur la durée du projet. Ce faisant, il offre aux personnels toutes les garanties du C.D.I. et les droits qui y sont associés, ce qui représente un indéniable progrès social.
En évitant aux équipes de courir sans cesse après les personnels techniques, la création de cet outil participe également du 3ème pilier de ce texte : simplifier la vie des laboratoires.
Ce projet de loi donne ainsi le coup d'envoi à un vaste chantier de simplification dont le leitmotiv a des airs de pléonasme : rendre les chercheurs à la recherche. Rendre les chercheurs à la recherche, c'est une ambition essentielle dans un quotidien aujourd'hui envahi de formulaires, de dossiers d'évaluation et de demandes de financement, qui grignotent inexorablement le temps dévolu à la science. Les tâches administratives doivent retrouver leur juste place et c'est tout l'objet, par exemple, de la rationalisation du monde foisonnant des appels à projets, qui seront référencés sous le portail unique de l'A.N.R. et dont les calendriers et les procédures seront harmonisées. Rendre les chercheurs à la recherche, c'est aussi rééquilibrer les 2 missions des enseignants-chercheurs au cours de leur carrière, en leur permettant de se consacrer exclusivement à leurs travaux pendant des périodes dédiées, grâce à l'augmentation des congés pour conversion thématique, des capacités d'accueil de l'Institut universitaire de France et des délégations au C.N.R.S., en S.H.S. notamment.
Le quatrième pilier de cette programmation est en réalité sa clé de voûte, celle qui donne tout son sens à l'investissement massif demandé à la nation.
Si la recherche exige cet effort collectif de 25 milliards d'euros sur 10 ans, c'est pour mieux contribuer à la vie économique et culturelle de la cité. La période troublée que nous vivons illustre bien l'importance de cet enjeu. En mettant la recherche en train de se faire en pleine lumière, la crise sanitaire a donné à voir toute l'ambiguïté des relations entre la science et société. Nos concitoyens attendent à la fois trop et pas assez de la science : trop de certitudes, quand la recherche avance à tâtons, cultive le doute méthodique et vit de controverses ; pas assez de repères, quand la recherche distingue des faits établis et des vérités scientifiques dans la mêlée des opinions, des préjugés et des fausses informations. Pour dissiper ce malentendu, il faut que le dialogue entre la science et la société gagne en familiarité et en réciprocité. Plus de familiarité, c'est une recherche qui va au-devant des citoyens, dans des lieux innovants qui permettront des échanges entre scientifiques et journalistes ou dans le cadre des écoles qui pourront accueillir plus facilement chercheurs et enseignant-chercheurs, et qui se fait plus accessible grâce à l'engagement des chercheurs en faveur de la médiation scientifique. Plus de réciprocité, ce sont des citoyens davantage associés aux orientations et au travail de recherche, grâce au développement des sciences participatives. Toutes ces orientations sont inscrites dans la programmation.
Ce que ce projet de loi vise par ailleurs, c'est un changement d'échelle dans les relations entre la recherche et l'entreprise. Dans la crise économique que nous traversons, il est essentiel d'actionner les bons leviers pour favoriser l'éclosion de start-up françaises, stimuler la compétitivité de nos P.M.E. et réindustrialiser notre pays. Or la recherche fait partie de ces atouts qui peuvent faire toute la différence, créer la surprise et bouleverser un marché. A condition d'avoir su trouver le chemin de l'entreprise. Or force est de constater qu'aujourd'hui ce chemin est trop peu emprunté, dans un sens comme dans l'autre, parce que trop de barrières culturelles et administratives séparent encore les deux mondes. Si nous voulons les abattre pour créer une relation de confiance, solide et pérenne, il faut que les hommes et les idées circulent davantage entre le laboratoire et l'entreprise. C'est pourquoi la programmation prévoit de faciliter les mobilités public privé en autorisant les chercheurs à consacrer plus de temps à la création de leur start-up ou à la vie d'une entreprise, et en ouvrant davantage de perspectives aux doctorants désireux d'effectuer leur thèse dans le privé, grâce à l'augmentation de 50 % du nombre de bourses CIFRE et à la définition d'un contrat doctoral de droit privé. D'autre part, le projet de loi stimule la recherche partenariale en doublant les financements de l'A.N.R. consacrés aux chaires industrielles, aux laboratoires communs et aux instituts Carnot, et en labellisant les sites universitaires qui auront su rendre leur offre de transfert plus simple, plus lisible, plus rapide.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est à la fois ambitieux et pragmatique : il vise à redonner à la science la place centrale qu'elle mérite dans notre société, non à force d'incantations et de vœux pieux, mais grâce à des mesures concrètes, construites à hauteur de paillasse. Je ne doute pas que cet esprit de vérité, de réalisme, conduira nos débats, et je vous remercie par avance pour toutes les propositions et réflexions que vous inspirera ce texte majeur pour l'avenir de notre recherche et de notre pays.