A l'approche du One Planet - Polar Summit, qui aura lieu du 8 au 10 novembre, Jean Jouzel, paléoclimatologue, et Heidi Sevestre, glaciologue, donnent leurs points de vue sur la situation.
Publié le 06.11.2023
Fonte des glaciers : qu'en pensent les spécialistes Jean Jouzel et Heidi Sevestre ?
Transcription textuelle | Fonte des glaciers : qu'en pensent les spécialistes ?
Heidi Sevestre :
Sur Terre, c'est entre 1,5 et 2 milliards de personnes qui utilisent l'eau des glaciers. Un glacier c'est assez simple, c'est de la neige qui s'est accumulée sur des périodes très très longues. On se retrouve avec des couches de neige qui tombent les unes sur les autres, année après année. Ces couches de neige commencent à se compacter, à se densifier et comme par magie, la neige se transforme en glace.
Ils sont véritablement vivants. Nos glaciers de montagne, dans les Alpes, sont des châteaux d'eau. Pendant l'été ils nous amènent de l'eau douce. On va l'utiliser pour tout un tas de choses, que ce soit pour produire de l'électricité, pour l'agriculture, pour faire en sorte que nos rivières continuent à s'écouler pendant l'été. Parfois même nos rivières refroidissent les centrales nucléaires.
Jean Jouzel :
Les calottes glaciaires n'ont rien à voir avec les Alpes. Le Groenland c'est quatre fois la surface de la France métropolitaine donc des épaisseurs de glace au centre du Groenland de trois kilomètres. De même en Antarctique, c'est la surface de l'Europe et aussi plus de trois kilomètres de glace d'épaisseur au milieu de l'Antarctique. Ce sont aussi des acteurs du réchauffement climatique.
Heidi Sevestre :
On se rend compte que leur fonte, leur désintégration, affecte directement les populations humaines. Sur les littoraux, on a 700 millions de personnes qui y habitent. Au nord on a le Groenland, au sud on a l'Antarctique. On sait aujourd'hui que si le Groenland disparaissait, le niveau des océans pourrait augmenter de 6 à 7 mètre en moyenne sur Terre. Ca va être des déplacements d'activité économique, de populations.
Jean Jouzel :
Ce sont aussi des terres dans l'Antarctique de collaborations scientifiques remarquables depuis l'année géophysique internationale en 1957, ce sont des collaborations internationales très fortes. Le réchauffement climatique se traduit par une ouverture pour le moment temporaire du passage du nord/ouest, du passage du nord/est. J'espère simplement que l'appétit des différents pays en termes de ressources, d'appétits commerciaux, ne nous emmèneront pas vers des conflits ou des risques de tensions dans ces régions géopolitiques. Je crois que c'est intéressant de mettre les projecteurs sur les régions polaires.
Heidi Sevestre :
Je me réjouis tellement de voir qu'on a un sommet en France sur la cryosphère. Il était temps. Ce que j'attends, c'est vraiment des décisions très fortes, courageuses, ambitieuses, concrètes. Si on franchit certaines températures, on risque la disparition quasiment totale des glaciers des Alpes d'ici la fin du siècle dans les prochaines décennies. On sait que la situation n'est pas bonne. La question qu'il faut qu'on se pose c'est : qu'est-ce qu'on peut faire ?
Il y a deux choses qui comptent. La première ce sont les émissions de gaz à effet de serre. Chaque tonne de charbon, de gaz et de pétrole qu'on émet participe à faire disparaître cette cryosphère. La deuxième chose, qui est aussi liée à la combustion des énergies fossiles, c'est la pollution de l'air. On se rend compte que ce soit en Arctique, en Antarctique ou dans les glaciers des Alpes, la pollution de l'air peur retomber sur ces glaces, assombrir la surface blanche et quand les glaciers s'assombrissent, ils absorbent plus de rayonnement solaire et fondent un peu plus rapidement. Pour éviter de perdre cette cryosphère il faut que l'on ait une date à partir de laquelle on commence à diminuer notre utilisation des énergies fossiles et c'est vraiment ce que j'attends.
Jean Jouzel :
Je sais que beaucoup de jeunes s'engagent et je souhaite qu'ils continuent à le faire. La question que je me pose très souvent c'est comment emmène-t-on l'ensemble d'une génération vers cette neutralité carbone ? C'est maintenant que ça se décide. On a beaucoup de mal à comprendre que c'est entre aujourd'hui et 2030 qu'on décide largement du climat d'après 2050. J'encourage les jeunes à s'engouffrer dans cette transition aussi bien dans leur vie de citoyen que dans leur vie professionnelle.
Heidi Sevestre :
Ces jeunes générations, je ne veux pas généraliser, mais ont déjà le constat en tête, savent très bien ce qui est en train de se passer et on envie d'être déjà à l'étape de l'action. Pour que ces actions se mettent en place, on a besoin de l'accompagner.
Jean Jouzel :
Il faut tout faire pour préserver nos glaciers. Ça fait partie d'un patrimoine très important de l'humanité.
Heidi Sevestre :
Le moment d'agir c'est aujourd'hui. Le One Planet Polar Summit c'est une occasion à ne pas manquer. Aujourd'hui on n'a plus le luxe de rater des opportunités d'une vision internationale comme celle-ci donc agissons.