Lorsque le comité Nobel partage le prix Nobel de la Paix en 2007 entre le GIEC et Al Gore, son président souligne qu’ils se voient récompensés "pour leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l'homme et pour avoir posé les fondements des mesures nécessaires à la lutte contre ces changements".
Le double sens de l’activité du GIEC était ainsi mondialement reconnu comme un facteur d’équilibre de la planète, comme un modèle d’organisme intergouvernemental en matière d’expertise, de rigueur et d’éthique scientifiques.
Construire un édifice scientifique commun à l’ensemble de l’humanité qui permette d’éclairer la décision politique, de dresser un état des lieux de ces réflexions pour préparer l’action, telle est la vocation de ce groupe d’experts, devenu incontournable au fil des ans.
L’histoire du GIEC, c’est en effet celle d’une interface fertile entre la science et la politique qui n’a cessé de gagner en pertinence et en efficacité pour mettre le savoir et la connaissance à leur juste place : celle d’éclaireurs universels de l’initiative collective.
Les 30 ans qui viennent de s’écouler ont bien sûr été ponctués par les cinq rapports d’évaluation produits par le GIEC. Chacun de ses rapports a également marqué une étape majeure dans la prise de conscience internationale du changement climatique. Cette prise de conscience a été accompagnée par de grands textes internationaux : de la Convention-Cadre adoptée en 1992 à l’Accord de Paris approuvé en 2015, en passant par le Protocole de Kyoto, négocié sur la base du 3ème rapport du GIEC.
Si les travaux du GIEC sont si importants, c’est tout d’abord parce qu’ils rendent la complexité de la question compréhensible au plus grand nombre. Mais c’est aussi et surtout parce ces travaux obligent le politique. En effet le GIEC dépeint une situation que les gouvernements membres ne peuvent plus prétendre ignorer parce qu’ils en ont adopté le résumé, et cela amène le politique à prendre ses responsabilités et à se positionner face à un socle commun de connaissances scientifiquement fondées.
Le GIEC n’est pas un organisme de recherche en tant que tel, mais il est empreint de l’esprit et des valeurs de la recherche. Il dessine une véritable cartographie de l’état des connaissances sur le climat, en moissonnant la littérature scientifique pour faire émerger les savoirs consensuels – ceux qui résistent à l’examen de la critique internationale – pour dégager les espaces de controverses - espaces créatifs qui sont la vitalité-même de la recherche - mais aussi les zones d’incertitude, qui désignent en creux les domaines que la recherche doit investiguer dans le futur.
Il suffit de rappeler que chaque année paraissent plus de 20000 publications scientifiques contenant le mot clé "changement climatique" pour prendre conscience de l’importance du travail mené par le GIEC et pour mesurer l’effort de ses experts et de la communauté scientifique dans son ensemble. Je voudrais ici saluer leur engagement : chaque auteur, chaque contributeur, chaque relecteur, chaque membre des Unités supports techniques et du secrétariat du GIEC porte haut les valeurs de désintéressement et d’exigence de la recherche.
L’œuvre de synthèse menée par le GIEC tire sa légitimité et son pouvoir, non pas de l’uniformisation de la pensée, mais bien de la prise compte de toute la diversité : la diversité des pays, la diversité des disciplines et la diversité du genre. Les pays en développement ont la même voix au chapitre que les pays développés. Les sciences exactes comme les sciences humaines sont convoquées autour de la question climatique. Ce dialogue s’étend désormais à d’autres sources de connaissance car le GIEC cherche aussi à intégrer à sa revue les savoirs locaux et traditionnels. La mixité progresse - s’il n’y avait que 2% de femmes parmi les auteurs du 1er rapport - elles sont aujourd’hui presque 30% à y contribuer.
Fort de ces valeurs, le GIEC s’est lancé un nouveau défi, incarné par un 6ème cycle d’évaluation sans précédent, en termes de rapports produits, en termes de dimensions explorées, en termes de disciplines sollicitées.
Au-delà de l’évolution du changement climatique et des réponses apportées en matière d’atténuation ou d’adaptation, les rapports des trois groupes de travail intégreront les enjeux de soutenabilité et notamment de réduction de la pauvreté. Ils sont destinés à nourrir une synthèse qui sera un élément clé de l'inventaire global de l'accord de Paris, en 2023.
Ces axes de travail traduisent une ambition forte du GIEC, mais aussi de la communauté scientifique, et la France prendra toute sa part dans le soutien de cette communauté.
En effet, les travaux du GIEC reposent sur la mobilisation de l’ensemble des chercheurs de la planète et se nourrissent de leurs avancées et de leurs questionnements. Pour préparer l’avenir, il est donc impératif de produire et de publier des connaissances nouvelles dans une dynamique de science ouverte. Nous devons soutenir le continuum des savoirs : de la recherche fondamentale à la recherche sociétale, des pays du Nord aux pays du Sud. Des scientifiques de tous les horizons sont mobilisés : il est donc indispensable qu’ils aient accès à une matière première scientifique commune. Or le coût des publications peut, dans certains pays, être un frein au partage et donc au développement des connaissances. C’est pourquoi l’Open science est l’un des piliers de cet édifice scientifique commun que les experts et les chercheurs s’attachent à bâtir.
Car les défis à relever sont nombreux et exigent une recherche libre. Les processus de fonte des glaciers sont mal compris et mal représentés, ce qui nécessite la combinaison de l’observation in situ, comme de l’observation à distance et de la modélisation. Dans l’océan comme dans l’atmosphère, les processus physiques et dynamiques les moins bien décrits se situent à des échelles inférieures à la centaine de kilomètres, notamment dans les couches limites. Au-delà, il faut penser à l’articulation entre les questions climatiques et les enjeux sociétaux : le processus de formation et de vieillissement des particules atmosphériques devra être associé à l’étude de certaines pathologies respiratoires, les évènements hydrologiques extrêmes ne pourront être dissociés de la vulnérabilité du littoral et du territoire.
Les changements climatiques nous signifient, de façon parfois brutale, que nous sommes engagés dans une communauté de destin. Nous sommes tous concernés, nous avons tous un rôle à jouer et le GIEC permet à la science d’assumer pleinement ce rôle en tenant sa juste place.
Au-delà, et mon ministère y est particulièrement attaché, il est essentiel d’apporter tout notre soutien à la formation et à l’éducation des jeunes et des populations, au transfert des connaissances et des compétences permettant à chacun, dans chaque pays, de s’engager dans des actions et des innovations qui préserveront l’avenir commun de notre planète commune.
La synergie des connaissances, la coopération internationale et la réconciliation des hommes avec leur planète, c’est ce qui permettra cet avenir commun et je sais, Mesdames et Messieurs les experts du GIEC, Mesdames et Messieurs les chercheurs, que c’est cela vous tient à cœur et je vous en remercie très chaleureusement.