Qui êtes-vous ?
Ludivine Doridot : Je suis Ludivine Doridot, enseignante et chercheuse à l’université Paris Cité depuis 2017. Mes travaux de recherche se focalisent sur l’endométriose. Je m’intéresse aux éléments liés au système immunitaire et comment ça pourrait être impliqué dans la mise en place et l’évolution de la pathologie.
Daniel Vaiman : Je suis Daniel Vaiman, directeur de recherche à l’Inserm et mes travaux de recherche sont les thématiques liées aux pathologies de la reproduction chez l’humain, dont l’endométriose.
C’est quoi l'endométriose ?
Daniel Vaiman : C’est une pathologie qui a été découverte au niveau histologique vers les années 1920. Ce sont des lésions qui se trouvent en général dans la cavité abdominale et qui ressemblent au tissu utérin. Ce sont des petits morceaux d’utérus, qui se trouvent à l’extérieur de l’utérus. En général, les femmes ont des douleurs très fortes, souvent pendant la période des règles, parfois lors des rapports sexuels, lors de la miction, lorsqu’elles vont à la selle ou tout le temps. Le deuxième symptôme est l’infertilité. On estime que sur les cas d’infertilité féminine, la moitié est liée à l’endométriose.
Ludivine Doridot : On estime que 25 % des femmes atteintes n’ont pas de douleurs. Dans ce cas, la maladie est découverte dans le cadre d’un diagnostic pour l’infertilité.
Y a t-il d’autres conséquences que les douleurs physiques ?
Ludivine Doridot : Oui. Selon des estimations faites en Europe, les femmes atteintes d’endométriose auraient un coût de 10 000 euros par an par patiente liés aux soins, à l’absentéisme au travail, au manque de productivité… Il y a aussi des questionnaires pour évaluer la qualité de vie des patientes, qui prouvent que leur qualité de vie est 20 % moins élevée qu’une personne qui n’a aucune pathologie connue.
Daniel Vaiman : L'infertilité peut aussi avoir des causes psychologiques différentes de celles liées aux douleurs physiques. Les rapports sexuels sont douloureux. Ils sont donc moins fréquents et la probabilité de concevoir un enfant diminue, ce qui peut engendrer une autre forme de souffrance. Il y a également des femmes qui ont de l’endométriose tellement sévère qu’elles hésitent à manger puisqu’elles peuvent avoir des problèmes digestifs.
Quand est-ce que ça a été découvert ?
Daniel Vaiman : L'obstétricien américain John A. Sampson, qui a vécu au début du siècle, a décrit l’existence des lésions d’endométriose. C’est lui qui a donné le mot endométriose. L’article date de 1927. Je pense qu’il y a eu pendant très longtemps l’idée que le fait d’avoir des douleurs pendant les règles était normal. Ce qui a changé les choses, à mon sens, c’est l’établissement d’une échelle de douleur. Sur une échelle de 1 à 10, les femmes qui ont de l’endométriose disent qu’elles sont à 10. Ça correspond à une fracture osseuse, un accouchement sans péridurale ou une colique néphrétique. Je connais même des cas de jeunes femmes qui perdent connaissance.
Ludivine Doridot : En fait, les douleurs très fortes pendant les règles ont été décrites depuis l’Antiquité.
Daniel Vaiman : D’ailleurs, on estime que 10 % des femmes en sont atteintes, donc il n’y a aucune raison de penser que c’était différent à l’Antiquité. Durant la préhistoire, la vie des femmes était différente. Elles étaient enceintes très tôt et la grossesse met sous silence les douleurs liées à l’endométriose. La maladie n’avait pas le temps de se manifester.
Pourquoi a t-on du mal à diagnostiquer cette maladie ?
Ludivine Doridot : Ça prend du temps de former des soignants. Il y a encore des gens qui pensent qu’avoir mal pendant les règles c’est normal, ce qui n’est pas étonnant puisqu’il y a à peu près 70 % des femmes qui vont avoir des douleurs pendant les règles, mais pas des douleurs extrêmes. Il y a un problème de prise de conscience au niveau des familles et des médecins puisqu’on propose la pilule avant même de faire de l’imagerie. C’est la première ligne de traitement qui permet dans 60 % des cas de diminuer les douleurs.
Daniel Vaiman : Il y a à peu près 40 % de l’endométriose qu’on appelle ovarienne. Ce sont des lésions qui se mettent sur l’ovaire. Quand on veut l’enlever, on va couper dans l’ovaire et diminuer la réserve ovarienne, c’est-à-dire le nombre de follicules disponibles pour la fertilité. La réserve ovarienne chez la femme diminue progressivement, puis à 35 en moyenne il y a une chute très brutale. Après la ménopause, les douleurs disparaissent. C’est une maladie considérée pour certains médecins comme bénigne car elle peut provoquer des douleurs intenses mais elle n’est pas mortelle.
Ludivine Doridot : Ce qui a des conséquences aussi sur les traitements parce que pour une maladie bénigne, on n’acceptera jamais des traitements qui ont des effets secondaires potentiellement importants. Du coup, ça limite beaucoup la recherche sur les nouveaux traitements puisqu’on considère qu’on peut vivre avec. Aussi, la recherche avance lentement car on manque en général de moyens pour financer des choses. Je viens d’en obtenir un conséquent donc je vais pouvoir avancer plus vite.
Daniel Vaiman : Finalement, c’est une maladie complexe mais la thérapie l’est aussi. Le parcours de santé est extrêmement complexe.
Ludivine Doridot : En fait, on sait que c’est une maladie complexe parce que s’il y avait eu un gène majeur, on l’aurait trouvé. On sait qu’il y a une grande hétérogénéité, des sous-groupes de patientes.
Est-ce qu’on peut en guérir ?
Ludivine Doridot : Actuellement, la chirurgie est le seul traitement curatif potentiel.
Daniel Vaiman : Effectivement, quand il y a une endométriose ovarienne, c’est relativement facile à repérer et à enlever, mais ça a des conséquences sur la fertilité. Il y a également l’endométriose profonde, au niveau du péritoine, au-delà de 1,5 centimètre de profondeur. Dans ces cas-là, les lésions sont bien visibles et la chirurgie peut être très efficace. Tous les organes sont ramassés, tirés comme des élastiques qui ramassent tout vers le centre. Si par contre il y a de l’endométriose superficielle, ça peut être très douloureux. Ce sont des lésions beaucoup moins profondes, qui peuvent être dispersées, et là le chirurgien doit être extrêmement pointilleux pour ne rien oublier.
Ludivine Doridot : Il y a des liens fibreux entre les organes, qui ont tendance à les bloquer dans leurs mouvements. Du coup, ils sont figés et ça peut engendrer des problèmes digestifs aussi, créer des occlusions intestinales. Il y a un effort énorme pour que les chirurgies soient faites par des médecins de différentes spécialités car effectivement ça peut toucher le système urinaire, le système digestif… Il ne faut pas que ce soit uniquement le gynécologue qui soit là pour enlever, ça ne touche pas que la sphère gynécologique.
Sur quoi travaillez-vous ?
Ludivine Doridot : J’ai commencé à travailler sur des modèles murins à qui on tente de donner de l’endométriose, ce qui n’arrive pas naturellement chez les souris. L’objectif est de trouver des traitements car le seul traitement pour l’instant est contraceptif, la pilule, donc c’est difficile de dire ça à des femmes qui veulent avoir des enfants. Le deuxième aspect qui m’intéresse ce sont les conséquences de l’endométriose sur la grossesse. On sait que les femmes atteintes vont avoir un risque plus important de faire des fausses-couches, deux fois plus de probabilité, et un plus petit poids de naissance pour l’enfant. J’essaie de comprendre pourquoi. Je me demande comment l’endométriose peut altérer le système immunitaire et au contraire comment le système immunitaire peut influencer l’évolution de l’endométriose. Je cherche à obtenir une autorisation éthique pour récupérer le sang menstruel de patientes avec et sans endométriose. En parallèle, j’essaie de mettre au point ces conditions de culture pour concevoir des modèles 3D, pour comprendre combien il faut mettre de cellules immunes, etc. C’est de la mise au point pour qu’après avoir obtenu les échantillons humains, on puisse commencer rapidement à pouvoir construire nos modèles sur lesquels on pourra tester de nouvelles thérapies. J’ai trois objectifs sur ce projet. Le premier, c'est d'essayer d’avoir des marqueurs diagnostics. Le diagnostic est faisable aujourd’hui, mais l’imagerie a un coût assez important. Il y a peu d'experts capables d’analyser l’ensemble des patientes potentiellement atteintes. Quelque chose qui manque ça serait potentiellement des marqueurs biologiques. Faire une prise de sang ça a été essayé et rien n’a été trouvé, donc mon hypothèse c’est de chercher dans le sang menstruel parce qu’il y a un lien plus proche avec la physiopathologie de la maladie. On pourrait trouver des marqueurs plus pertinents. Le deuxième, c’est de trouver des modèles thérapeutiques avec les modèles 3D. Le troisième, c’est que si on trouve des marqueurs, est-ce qu’ils permettraient de suivre la pathologie ? Si on voit des marqueurs qui augmentent au fur et à mesure, est-ce que ça veut dire que la maladie est en train d’empirer et est-ce qu’après une chirurgie on peut voir l’amélioration et surveiller s’il n’y a pas une occurrence ?
Daniel Vaiman : Pour ma part, je travaille sur la génétique de l’endométriose. On essaie d’identifier les gènes qui sont impliqués dans cette maladie et donc la probabilité d’avoir cette pathologie. Le problème c’est qu’on trouve des choses, mais que vu la taille des groupes de personnes qu’on utilise, les effets de ce qu’on trouve sont très limités. Selon les derniers articles, ils ont trouvé 43 gènes qui sont associés à l’endométriose, parfois associés à d’autres types de douleurs ou mécanismes immunitaires, comme la migraine. Dans le dernier article qui vient de sortir, ils ont fait un classement par rapport au stade car il y a quatre stades de l’endométriose, comme pour le cancer. Il y a des gènes qui sont plus associés aux cas graves, niveau 3-4. L’héritabilité de l’endométriose est autour de 50 %. Une mère transmet la moitié de ses chromosomes à sa fille, mais il y a environ 25 % de chance qu’elle transmette la maladie à sa fille.
Ludivine Doridot : Trouver des marqueurs génétiques ça peut avoir un intérêt du côté diagnostic, mais nous en tant que chercheurs, on va essayer de comprendre pourquoi tel variant aurait un rôle dans l’établissement de la pathologie et ça peut donner de nouvelles pistes pathologiques. On a déjà trouvé des variants d’un gène de l’endométriose.
Avez-vous trouvé quelque chose ?
Daniel Vaiman : J’ai participé à la publication d’une des premières études d’expression des gènes entre la lésion de l’endométriose versus l’utérus. Ce papier décrit ce que fait la pathologie, pour comprendre les gènes dérégulés, etc. Les résultats majeurs que j’ai obtenu c’est plus de donner des bases de données qui servent à toute la communauté scientifique.
Ludivine Doridot : Avec mon équipe, on a étudié les hormones thyroïdiennes et comment ça pouvait influencer la croissance des lésions. On a travaillé sur plusieurs modèles murins, pour lesquels il y avait à la fois des anomalies thyroïdiennes et de l’endométriose. Ce que j’ai apporté dans cette étude c’est de voir si ça se traduisait par des choses chez les patientes. On a montré que pour les femmes qui avaient une anomalie thyroïdienne, leurs douleurs liées à l’endométriose étaient plus sévères. La question que je me suis posée c’est de savoir si c’était parce qu’elle avait la maladie ou si c’est parce qu’elles étaient traitées pour leur maladie et comment le traitement pour les anomalies thyroïdiennes pouvait influencer le phénotype de l’endométriose, l'intensité des douleurs, etc.
Daniel Vaiman : Je voulais aussi ajouter qu’il y a un clinicien, Khaled Pocate, qui s’est interrogé sur l’infertilité. On avait eu des interrogations sur l’utérus, en se demandant s’il est différent ou non pour une femme atteinte d’endométriose. C’est le cas, notamment parce que certaines molécules pro-inflammatoires sont surexprimées. Par ailleurs, il s’est intéressé à un autre composant de l’infertilité féminine qui est le follicule ovarien. Il s’est posé une question très intéressante : est-ce que le follicule des patientes qui ont de l’endométriose sont différents de celles qui n’en ont pas ? Dans le cas de l’endométriose, il n’y a pas que l’utérus qui est problématique mais aussi les ovocytes sont dans un environnement défavorable à la fécondation.
Quel est votre point de vue sur l’évolution de la recherche sur l'endométriose ?
Ludivine Doridot : Le fait d’avoir mis ce sujet dans le débat public ça a permis la création de la Fondation pour la recherche sur l’endométriose. Il y a aussi des associations de patientes ont œuvré pour que ça soit connu et plus c’est connu, plus il peut y avoir une prise de conscience du public. Il faut dire que les pathologies qui ne touchent que les femmes sont sous-financées et le fait que ça soit reconnu par le grand public a changé les pratiques médicales et a participé à augmenter le financement pour la recherche. Durant un podcast, on m’a demandé si étudier l’endométriose allait améliorer la prise en charge d’autres pathologies gynécologiques. J’ai dit oui parce que pour comprendre la physiopathologie il faut comprendre la physiologie. Donc on fait beaucoup de choses pour comprendre ce qu’il se passe naturellement et comprendre toutes les anomalies.
Daniel Vaiman : Complètement ! Pour moi, en tant que généticien, la pathologie est un outil pour comprendre la physiologie. Ce qui "déconne" permet de comprendre ce qui va bien.
Ludivine Doridot : Le fait que l’endométriose soit arrivée dans le débat public ça va être bénéfique pour toutes les pathologies gynécologiques. Ça va dans la thématique de l’égalité en terme de santé. C’est en train de changer et c’est prometteur !
Est-ce qu'il y a une histoire qui vous a touché ?
Daniel Vaiman : Il y a une copine de ma fille aînée qui a de l’endométriose et qui s’évanouit en classe. On n’est pas conscient de ce que c’est une douleur à ce niveau-là, c’est de la torture, au point de perdre connaissance. Avoir mal tout le temps, ce n'est pas une vie. Je me sens impuissant mais solidaire. Je suis sensible à l’idée que des gens souffrent et à l’Inserm par exemple on a une culture de rendre service à la société.