Transcription textuelle | Documentaire Les Fabuleuses ou l'effet Matilda
- Vous venez de publier un article dans la prestigieuse revue Nature qui a fait grand bruit. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert les pulsars ?
- Oh, eh bien, vous savez... Comment dire ? Eh bien, comme un peu toutes les grandes découvertes, celle-ci s'est faite un peu par hasard.
Élisabeth Bouchaud : Je m'appelle Élisabeth Bouchaud, je suis ingénieure de l'École centrale de Paris et physicienne et j'ai passé plus de 30 ans à faire de la recherche en physique. J'ai dirigé pendant quelques années un service de physique et chimie des surfaces et des interfaces. J'ai arrêté de faire de la science en 2018. Mais avant cela, il y a environ 10 ans, j'ai repris le théâtre de la Reine Blanche que j'ai transformé en scène des arts et des sciences et je suis également comédienne et autrice. J'ai écrit une série théâtrale qui s'appelle « Les fabuleuses » et qui est consacrée à des femmes d'exception qui ont fait des découvertes scientifiques majeures et que malheureusement, personne ne connaît. « Exil intérieur » est le premier volet. Il concerne la physicienne Lise Meitner, qui était une physicienne d'origine juive, autrichienne, qui a travaillé pendant très longtemps à Berlin. Et puis, en 1938, elle a été obligée de quitter Berlin dans des conditions absolument rocambolesques parce qu'elle n'avait plus de papiers. C'était après l'Anschluss. Elle s'est réfugiée en Suède, où elle a été accueillie comme un chien dans un jeu de quilles, alors que c'était quand même déjà une star de la physique. Elle continuait à correspondre avec son collègue allemand chimiste Otto Hahn. Ils voyaient en fait des résultats qui étaient totalement inattendus. C'est Lise Meitner et son neveu Otto Robert Frisch qui ont compris pour la première fois qu'un noyau atomique pouvait se casser en deux parties plus petites et libérer ainsi une quantité d'énergie considérable. La deuxième pièce est consacrée à l'astrophysicienne irlandaise Jocelyn Bell Burnell qui, à la fin des années 60, à Cambridge, en Angleterre, fait sa thèse en astrophysique sur un certain type d'astres qui s'appellent les quasars. Mais elle observe, grâce à son télescope, au télescope qu'elle construit, un signal extrêmement étrange. Elle s'est acharnée à comprendre d'où venait ce signal et elle se faisait réprimander par son directeur de thèse, qui trouvait que c'était idiot de s'intéresser à ça. Et puis, il a fini par comprendre que c'était une découverte majeure. C'est le premier pulsar qu'a découvert Jocelyn Bell. C'est un signal qui est envoyé par des étoiles à neutrons. Découvrir de nouveaux astres, en astrophysique, c'est vraiment une avancée majeure. La troisième pièce s'appelle « L'affaire Rosalind Franklin » et elle concerne la physico-chimiste britannique Rosalind Franklin qui, pendant ses années au King's College de Londres, a travaillé sur la structure de l'ADN. Elle travaillait avec des rayons X dont elle se protégeait très mal. Donc, elle va mourir d'un cancer des ovaires à l'âge de 38 ans, ce qui est une destinée tragique. Mais entre-temps, elle découvre cette structure en double hélice de l'ADN. Vous voyez comme la structure tridimensionnelle induit le mécanisme de reproduction. C'est-à-dire que c'est une découverte, bien sûr, qui est à la base de toute la biologie moléculaire moderne. Et elle va se faire voler ses résultats, voler ses clichés, la fameuse photographie numéro 51, par une bande de gens pas très recommandables qui s'appellent Wilkins, Crick et Watson qui ont eu tous les trois le prix Nobel de médecine en 1962.
- Qu'est-ce que c'est que ces fleurs ? C'est pour toi.
- Mais ce n'est pas mon anniversaire.
- Non, non, non, non, non. Ce sont des fleurs pour fêter. Ta nomination au poste de professeur des universités. La première femme en Allemagne. Toutes mes félicitations, Frau Meitner !
- Oh, je suis tellement heureuse !
J'ai voulu jouer Lise Meitner. D'abord, j'avais l'âge du rôle. Mais plus sérieusement, j'ai une admiration infinie pour cette femme. La découverte de la fission nucléaire a quand même changé la face du monde. C'est une des premières femmes qui est allée à l'université faire des sciences à Vienne, en Autriche. Elle a servi sur le front pendant la guerre de 14, pendant deux ans. Elle était infirmière sur le front, côté, bien sûr, allemand. Ça a été une expérience très traumatisante pour elle, on peut l'imaginer. Et puis, c'est la première femme qui a été nommée professeur des universités en Allemagne en 1919.
- Otto ?
- Tante Lise !
- Que fais-tu ici ? Enfin, ça me fait plaisir, mais…
- Je suis venu vous dire au revoir. Tout à l'heure, je pars pour l'Angleterre.
- Je suis vraiment désolée. Ce n'est pas pour parler de moi que je suis venu. C'est pour vous demander à nouveau de partir, vous aussi, de quitter Berlin. La situation est dangereuse. Vous avez déjà perdu votre poste d'enseignement. Qu'attendez-vous de plus ? Ici, l'université est dirigée par un nazi, alors, ça n'a rien d'étonnant. Le père des mathématiques aryennes ! Mais il n'y a pas qu'à Berlin, il y en a partout, de ces scientifiques de deuxième zone qui n'attendaient que le départ des Juifs pour prendre leur place. Je n'en crois rien. Le départ de Haber sert ses intérêts. Il va le remplacer à la tête du département de chimie. Il n'a rien fait pour le pousser dehors.
- Peut-être, mais ça l'arrange bien. Prenez garde, tante Lise. Il pourrait bien faire de même avec vous un jour.
- Tais-toi ! Hahn est mon ami. Il me protège. Il dirige le département de chimie. Il a été nommé professeur et a eu un vrai poste bien avant moi.
- Parce que c'est un aryen !
- Non ! Parce que je suis une femme.
- Tu ne vas pas me dire que tu ne peux jamais t'arrêter de travailler, même un samedi soir ?
- Bien sûr que si !Tu crois que les quasars arrêtent d'émettre le samedi ?
- Les quoi ? Les « qua » quoi ?
- Les quasars. Je t'ai déjà expliqué. Tu ne vas pas avoir de regrets quand ils nous renverront ?
- Quoi ? Renvoyer d'où ? De Cambridge ? Ah, oui ! Oui, elle est bien bonne, celle-là ! Je me demande où ils trouveraient une autre bonne poire comme toi qui fait fonctionner leur bidule nuit et jour, week-end compris.
- Leur radiotélescope.
- OK, leur radiotélescope. Alors, pourquoi ils vont te virer ? C'est quoi, cette idée débile ?
- Je ne suis pas au niveau.
- Tu n'es pas au niveau ? Et ils t'ont recrutée pour faire une thèse au département d'astrophysique. Mais dis-moi, ils sont nuls, tes profs ?
- Ils m'ont recrutée parce que je venais avec ma bourse. Main-d'œuvre gratuite arrivant tout droit des régions arriérées du pays. Quand ils s'apercevront que je ne suis pas au niveau, ils me mettront à la porte.
Elisabeth Bouchaud : Jocelyn Bell est née dans le nord de l'Irlande. Et puis, elle est allée faire sa licence à Glasgow, où ça a été épouvantable parce que c'était la seule fille qui faisait de la physique. Et elle, qui était en plus assez timide et réservée, en a souffert incroyablement. Et puis ensuite, elle a été prise au département d'astrophysique de l'université de Cambridge, prestigieuse université britannique, pour faire sa thèse avec un monsieur appelé Antony Hewish. Elle était assez complexée de venir du nord de l'Irlande qui, pour les gens du sud de l'Angleterre, en particulier les gens qui sont à Cambridge, est une partie arriérée du royaume. Mais elle venait avec sa bourse, donc elle ne coûtait rien, et ils l'ont recrutée.
- Cette chose conserve sa position au sein des étoiles, les signaux ont tous la même ascension droite. Il revient exactement...
- Mme Jocelyn, vous parlez toute seule, maintenant ?
Professeur... Tony, venez voir ce signal.
- Quel signal ?
- Celui-ci. Quoi ? Ça, là ? Oui.
Ça ne ressemble pas du tout au signal d'un quasar.
- Non, ça n'y ressemble pas, c'est certain.
- Qu'est-ce que ça peut être, d'après vous ?
Des petits hommes verts qui cherchent à entrer en contact avec nous.
- J'étais supposée regarder la structure des protéines et il a finalement été décidé que je m'intéresserais à l'ADN.
- Oui, le docteur Wilkins m'a mis au courant. C'est ça, votre équipement ?
- Oui. Nous avons commencé à assembler tout ce qu'il faut.
- Nous avons du pain sur la planche, vous et moi. Ce n'est pas avec ce ramassis de pièces détachées qu'on va comprendre la structure de quoi que ce soit. J'avais pourtant demandé un équipement bien spécifique. Aucun système de contrôle de température pour la caméra. C'est pourtant essentiel. Mettons-nous au travail.
- Alors, vous croyez vous aussi que l'ADN est vraiment le porteur du message génétique ? Il n'y a guère que des sucres et des phosphates, là-dedans. Comment se pourrait-il que quelque chose d'aussi simple soit responsable de toute la diversité de la vie sur Terre ?
Après son séjour à Paris, Rosalind Franklin avait 30 ans. On lui propose un poste au King's College de Londres pour travailler sur la structure de l'ADN. C'était évidemment un sujet, à l'époque, très à la mode. Et ce qui se passe, c'est que le grand patron de ce labo, John Randall, dit à un certain Maurice Wilkins qu'il recrute une assistante pour travailler avec lui. Et puis, il dit à Rosalind Franklin : « Vous aurez votre propre groupe. » Les relations commencent sur ce malentendu terrible. Et en plus, un étudiant, Raymond Gosling, qui travaillait avec Maurice Wilkins jusque-là, se met à travailler avec Rosalind Franklin. C'est arrangé comme ça. Mais évidemment, c'est un peu compliqué. En parallèle, deux chercheurs, qui s'appellent Francis Crick et James Watson, travaillent eux aussi sur la structure de l'ADN. Wilkins vient de recruter une fille brillante pour travailler avec lui sur l'ADN, mais elle lui donne du fil à retordre.
- Jolie ? Il a l'air d'avoir le béguin, en tout cas. Il faudrait essayer de se renseigner sur ce qu'elle fomente.
- Comptez sur moi.
- Le Dr Franklin a réussi à séparer deux formes de l'ADN qu'elle a appelées A et B.
- Félicitations, Dr Franklin. Vos clichés sont de très grande qualité. Comment avez-vous fait pour séparer les deux formes de la molécule ? Il semble que la forme B soit clairement hélicoïdale. Qu'en pensez-vous ?
- J'en pense que vous pouvez faire toutes les hypothèses que vous voulez sur vos propres expériences, Dr Wilkins, pas sur les miennes.
- Mais enfin, je vous livre mes réflexions sur ces résultats.
- Raymond, je vous serais reconnaissante de me demander mon avis avant de montrer mes résultats expérimentaux au Dr Wilkins. Ils ne lui appartiennent en aucune façon. Je ne suis pas son assistante.
- Je suis désolé.
- Ce n'est pas parce que vous travaillez avec moi que ces images vous appartiennent en propre.
- Le Dr Wilkins est persuadé que le grand patron vous a recrutée pour être son assistante, et de ce fait…
- Comment cela ? Non. Il a été très clair avec moi. J'ai été recrutée pour constituer mon propre groupe de recherche.
Élisabeth Bouchaud : J'en ai assez que les gens soient capables uniquement de citer Marie Curie comme femme scientifique. Pour les hommes, il y a beaucoup de noms qui viennent, Einstein, Pasteur, Heisenberg, Schrödinger. Plus ou moins... On ne sait pas forcément dans le détail ce qu'ils ont fait, mais on sait citer leurs noms. Pour les femmes, il n'y en a qu'une, c'est Marie Curie.
- Otto, tu n'as pas l'air dans ton assiette.
- Non. Il faut que tu partes, Lise.
- Quoi ?
- Il faut que tu quittes l'Institut. La situation devient intenable.
- Ça fait trois ans que c'est intenable. Et pourtant, on tient. Qu'est-ce qui a changé ? On t'a donné l'ordre de me renvoyer ?
- Oui. Oui, on peut dire ça comme ça.
- Qui ?
- Le directeur de l'Institut, exactement. Il y a mille chimistes qui ont leur carte du parti et qui n'attendent qu'une chose : prendre mon poste !
- C'est ça qui te fait si peur ? Évidemment, c'est moi qui ai construit le département de chimie !
- Tout seul ?
- Mais non. Avec ton aide, bien entendu.
Élisabeth Bouchaud : Si Otto Hahn pousse Lise Meitner à partir, c'est d'une part pour lui sauver la vie, et on peut dire que tous les physiciens étrangers ont imaginé des systèmes pour l'exfiltrer d'Allemagne, parce que ses jours étaient en danger en tant que juive, même si elle s'était bien avant convertie au protestantisme. Mais bien entendu, Otto Hahn était très embarrassé d'avoir dans son laboratoire une juive. Lui n'était pas nazi, il n'a jamais pris sa carte du parti nazi, mais il est quand même resté dans un laboratoire de recherche dans une Allemagne nazie.
Allemande ? Débrouille-toi toute seule, sale race.
Élisabeth Bouchaud : « Exil intérieur », c'est finalement comme ça qu'on peut définir l'état de Lise Meitner une fois qu'elle a quitté l'Allemagne. Loin de l'Allemagne, elle est loin d'elle-même, parce qu'elle l'écrit beaucoup, beaucoup dans sa correspondance, elle n'a jamais été aussi heureuse que pendant les 30 années qu'elle a passées à Berlin.
- Quoi, tu as perdu le signal des petits hommes verts ? C'est ton patron qui doit être content !
- Tu parles, il est furieux. « Mlle Bell, vous avez perdu notre étoile à éruptions. »
- Quel numéro, après ce qu'il t'a dit ! Appeler ça « notre étoile » !
- Tony ! Professeur Hewish !
- Quoi, Jocelyn ?
- Venez voir ! Le signal est bien résolu, maintenant. Sa période est exactement de 1,33 seconde. Je l'ai mesurée.
- S'il était avéré que ce signal était un vrai signal, il pourrait s'agir d'une découverte, disons, intéressante. À ma connaissance, rien de tel n'a jamais été enregistré. Et Paul qui n'arrive pas... Nous avons calculé que le signal devrait être détecté dans 4 minutes.
- 3 minutes et 16 secondes.
- Oui, bon ! Je suis comme ça !
- Ça y est, le voilà !
- Attendez, Paul ! Poussez-vous, poussez-vous !
- Mon signal...
- Mon pulsar !
- Comment ça, pulsar ? Oui, c'est comme ça que j'appelle ce signal à cause de sa structure.
- Paul ?
- Vraiment, c'est le même ? Vous en êtes sûr ?
- Absolument.
- Alors, nous devrions publier sans tarder.
- Tout à fait, Paul. Rentrez vite, je vais commencer à réfléchir au plan de l'article. À tout de suite, Paul.
Élisabeth Bouchaud : Les articles publiés dans des revues spécialisées sont extrêmement importants pour les scientifiques. C'est leur façon d'exposer leurs résultats à la communauté, donc de dire, finalement, ce qu'ils ont trouvé et de prendre date aussi, c'est-à-dire qu'ils ont trouvé ça en premier parce que l'article est publié d'abord. La date de l'article est extrêmement importante.
- Vous avez bien numéroté les clichés ? Ils sont particulièrement précieux.
- Je sais. Cent heures d'exposition à haute résolution. Ils sont numérotés de 49 à 52. C'est amusant de développer des photographies ?
- Oui. J'ai appris très tôt, vous savez. Nous avions une chambre noire à la maison, chez mes parents.
- Regardez ça, Dr Franklin. Ce cliché est incroyable. Les espaces entre les branches du X sont complètement vides.
- C'est le plus beau cliché de la forme B que nous ayons jamais obtenu !
- Qu'est-ce que vous faites ici, Dr Wilkins ?
- J'examinais votre équipement. Pourquoi ce besoin soudain d'examiner mon équipement ?
- La caméra que j'utilise ne m'assure pas la même stabilité en degré d'hydratation. J'en ai besoin pour que la forme B ne se dessèche pas sur des temps d'observation un peu longs nécessaires à une bonne résolution.
- Vous voulez la même caméra ? C'est moi qui l'ai fabriquée, avec l'aide de Gosling.
- Je n'ai pas le temps d'en fabriquer une autre.
- Ah, vous voilà ! Où est la photo 51 ?
- Ah, euh... Je l'ai... Je l'ai mise dans mon bureau.
- Eh bien, allez la chercher.
- Oui.
Élisabeth Bouchaud : À l'époque, on ne savait rien sur l'ADN, sauf que c'était le porteur du message génétique. Donc, on savait que c'était extrêmement important, mais comment il portait ce message génétique ? Ça, c'était une question qui est reliée essentiellement à sa structure, puisque la structure en double hélice fait que la double hélice peut se découper, enfin, disons, s'ouvrir, plutôt, comme avec une fermeture éclair, et donner deux brins séparés. Ensuite, ces deux brins peuvent s'allier avec d'autres brins et c'est comme ça qu'on se reproduit, avec une partie de l'ADN de sa mère et une partie de l'ADN de son père.
- C'est le plus beau cliché de la forme hydratée qu'elle ait obtenu. Faisons les choses proprement. Attendons que Rosie ait quitté King avant de nous approprier ses résultats.
- On ne peut pas attendre. Comportons-nous en gentlemen, Watson.
- Ouais, OK.
- Je l'ai ! Je l'ai !
- Vous en avez mis, du temps.
- C'est parce que je l'avais bien caché.
- Bon, venez. Nous allons l'analyser.
- Je n'aurais jamais cru que ce cliché contenait autant d'informations. C'est pour cela qu'il est si précieux. Tout ça reste entre nous, on est bien d'accord ?
- Oui, oui, je vous le jure.
- Ne jurez pas. Une hélice, c'est comme un escalier en colimaçon. Le pas peut être à droite ou bien à gauche. La double hélice peut donc aller dans un sens ou bien dans l'autre sens.
- Et ce sens serait toujours le même pour tous les êtres vivants ?
- C'est encore une hypothèse, bien sûr, mais je pense que oui !
- La vie aurait donc un sens !
- Oui, en quelque sorte.
- L'énergie libérée est égale au produit de la différence de masse par le carré de la vitesse de la lumière, E = mc2. La vitesse de la lumière est très grande, 300 000 kilomètres par seconde, ça fait... 200 millions d'électronvolts.
- En biologie, je crois qu'on appelle ça la fission.
- Nous avons découvert la fission nucléaire !
- Fission nucléaire ? La réaction pourrait se poursuivre indéfiniment. Fission d'un noyau, émission de neutrons qui brisent un autre noyau. Une réaction en chaîne, en quelque sorte !
- L'explosion serait terrifiante. Rentrons écrire l'article.
- J'aimerais tout de même analyser les produits de la réaction...
Élisabeth Bouchaud : Il se trouve que sur la fission nucléaire, Otto Hahn et Lise Meitner, en 1938, ne pouvaient pas publier ensemble parce que Lise Meitner était juive. Donc, Otto Hahn ne pouvait pas publier avec elle.
- Te voici ! Regarde comment nous sommes cités. Non, mais lis ! Lis ! Regarde comment ils nous citent.
- Qui ? Mais Hahn, qui veux-tu que ce soit ? « Meitner et Frisch expliquent la dissociation des noyaux d'uranium et de thorium en deux fragments de taille similaire du baryum et du krypton et basent la possibilité d'un tel événement sur le modèle de Bohr. » C'est au mieux une note de bas de page !
- Ce n'est pas très élégant.
- Pas très élégant ?
- C'est ignoble, oui !
Élisabeth Bouchaud : Donc, ils ont décidé de publier un article expérimental sur l'observation du fait que le bombardement d'un noyau d'uranium par un neutron donnait en particulier du baryum. Ça, c'est le travail de Otto Hahn avec un autre chimiste qui s'appelait Fritz Strassmann. Et donc, ils ont publié tous les deux cet article expérimental. Et puis, Lise Meitner et Otto Robert Frisch ont publié séparément un article sur l'interprétation de ces expériences, puisque c'est eux qui, ensemble, ont compris le mécanisme de la fission nucléaire. Et dans son article, Otto Hahn était censé citer Lise Meitner et Otto Frisch, et inversement, bien entendu. Mais ils sont très mal cités, en fait. Alors qu'évidemment, c'est une avancée majeure que cette compréhension de ce qu'est la fission nucléaire.
- Il fait comme si cette découverte était la sienne.
- Pourquoi ne pas aborder le sujet directement avec lui ?
- Ah non, mais tu n'y penses pas ! Non mais d'abord, je n'oserais jamais. Et puis, je ne suis qu'une étudiante. Après tout, ce que je découvre lui appartient. C'est comme ça.
- Si c'est comme ça, ne viens pas te plaindre, alors. Personnellement, je trouve son attitude très injuste.
- D'autant plus qu'il a mis du temps à reconnaître que c'était un résultat important.
- Ben oui, les petits hommes verts, c'est ça.
Élisabeth Bouchaud : Depuis l'époque de Jocelyn Bell, on a heureusement fait des progrès. Le directeur de thèse n'est plus tout-puissant. Il y a des comités de thèse qui sont constitués par d'autres seniors du laboratoire ou de l'école doctorale et qui ont un droit de regard sur l'avancée de la thèse et sur la façon dont ça se passe, donc, pour prévenir les problèmes avant que l'étudiant se retrouve à la fin de sa thèse sans aucun résultat et dans un conflit éventuel avec son directeur.
- Vous venez de publier un article dans la prestigieuse revue Nature qui a fait grand bruit. Alors, pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert les pulsars ?
- Eh bien, comme un peu toutes les grandes découvertes, celle-ci s'est faite un peu par hasard. Nous avons construit un très bon radiotélescope et nous avons donc pu détecter ce drôle de signal.
- Professeur Hewish, avez-vous saisi tout de suite l'importance de cette découverte ?
- Oh, oui. Oui, oui, pratiquement tout de suite. Oui, oui, oui. Ce signal a une structure qui n'avait jamais été observée et ma foi, j'ai très vite compris que ce n'était pas un artefact.
- Poursuivons, messieurs. Où est votre modèle ?
- Le voici.
- Une double hélice.
- Exactement. Vous remarquerez que les bases sont bien à l'intérieur.
- Oui, oui, je vois cela. Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'elles soient aussi bien appareillées. Adénine, thymine, cytosine, guanine.
- Je crois que nous avons, et sans fausse modestie, découvert le secret de la vie.
- Ouais... Ça a été du boulot, quand même.
- Félicitations, chers collègues.
- Je serais quand même curieuse de savoir quelles étapes de raisonnement vous ont conduit à ce résultat impressionnant.
- Les premiers principes.
- En biologie, nous connaissons mal les principes fondamentaux. Nous ne faisons guère que de la physique et de la chimie.
- La biologie n'a finalement que peu à faire dans ce travail.
- Oui, c'est du raisonnement à l'état pur. Pour les bases, on s'est fait un petit peu aider par un chimiste du labo, pas vrai, Francis ?
- Vraiment ? Un chimiste du Cavendish ? Qui ça ?
- Je suis très admirative. Il m'aura fallu des heures d'observations, plus de deux ans d'expérimentations pour arriver au même résultat que vous, messieurs. Vous n'êtes pas impressionné, Dr Wilkins ?
- Si. Si, si. Très impressionné.
- L'essentiel, c'est que tout le monde soit d'accord et que nous ayons enfin découvert cette structure.
- Je suis tout à fait d'accord avec vous. Aujourd'hui, la science a fait un pas de géant et c'est ce qui compte.
- Allô ? Ah, mon cher neveu, c'est toi ! Comment vont les choses, à Birmingham ? Et au labo ? Comment va Meyer ? Tu lui feras mes amitiés. Non, ça me touche beaucoup que vous ayez pensé à moi. Mais non, je suis désolée, c'est impossible. Je ne veux rien avoir à faire avec la construction d'une bombe. Bien sûr que je souhaite la défaite des nazis ! Comment peux-tu me poser une question pareille ? J'ai vu trop d'horreurs en 1915 et 1916.
Élisabeth Bouchaud : Lise Meitner est une des rares scientifiques qui ait refusé de faire partie du projet Manhattan, c'est-à-dire le grand projet mené par Oppenheimer, qui avait vocation à fabriquer la première bombe nucléaire du côté Alliés. Elle a refusé parce qu'elle avait vu trop d'horreurs sur le front quand elle était infirmière pendant la Première Guerre mondiale. Elle a vu la souffrance, la mort de près, et elle ne voulait absolument pas être responsable et fabriquer une arme de destruction massive de l'humanité. Mais je dois dire que c'est une attitude un peu dangereuse qu'elle a eue, parce qu'on ne savait pas si les nazis, eux, étaient capables, allaient fabriquer la bombe ou pas. C'est vraiment très étonnant. Ça repose sur une erreur faite par le grand physicien Werner Heisenberg, qui a calculé la masse critique, c'est-à-dire la masse de matériaux qu'il faut pour que la réaction en chaîne soit entretenue. Il a calculé 10 tonnes au lieu de calculer 50 kilos. Vous ne pouvez pas mettre 10 tonnes à bord d'un avion. 50 kilos, évidemment que si. Donc, quand il a vu ce résultat, 10 tonnes, il s'est dit : « On ne peut pas faire de bombe parce qu'on ne peut pas mettre tout ça à bord d'un avion. » Et donc, il est très étonnant qu'il ait fait une erreur de cette envergure dans un calcul, somme toute, raisonnablement facile.
“Vous êtes la mère juive de la bombe atomique. Vous êtes la mère juive de la bombe atomique…”
Élisabeth Bouchaud : Et donc, il fallait y aller. Moi, j'y serais allée, oui.
- Le professeur Hewish vient de recevoir le prix Nobel de physique.
“Nous interrompons notre programme musical pour vous informer que cette année, le prix Nobel de physique est décerné à deux Britanniques, le professeur Martin Ryle, qui a construit un télescope révolutionnaire, et le professeur Antony Hewish, pour sa découverte des pulsars.”
- Pour la découverte des pulsars ? C'est ignoble, professeur. Je suis vraiment désolée.
- Non, c'est génial ! C'est un grand jour. C'est la première fois que l'Académie Nobel reconnaît l'astrophysique. Merci. Cette reconnaissance, notre lancement qui a réussi... Ça vaut bien une bonne tasse de thé.
- Tous ceux qui applaudissaient les crimes nazis et saluaient le bras en l'air ont très vite récupéré leurs postes comme si de rien n'était ! Pourquoi avez-vous accepté d'aider ces types-là ? Je ne comprends pas.
- Parce qu'il faut pardonner.
- Je crois bien que le pardon est une chose que je n'ai jamais comprise. Ça me rend fou de rage que vous acceptiez d'aider des types qui se sont rendus complices d'un massacre !
- Il faut pouvoir tout pardonner.
- Non ! On ne peut pas tout pardonner. Les crimes nazis sont impardonnables, imprescriptibles. Nous vivons dans un monde où les hommes s'entretuent et les femmes pardonnent tout, absolument tout.
- Je n'ai pas le choix.
- Sans aucun doute. Vous n'avez pas le choix. Vous pardonnez à votre ami Otto, vous leur pardonnez à tous parce que c'est ce qu'on attend d'une femme.
Élisabeth Bouchaud : Il y a une phrase qui revient dans toutes les pièces, qui est : « Nous vivons dans un monde où les hommes s'entredéchirent pour atteindre la première place et où les femmes pardonnent. » Et si elles pardonnent, c'est parce qu'elles y sont contraintes. Enfin, heureusement, en particulier avec MeToo, encore une fois, les femmes peuvent râler, demander leur dû. À l'époque de mes trois scientifiques, une femme qui demandait son dû, qui parlait fort, qui exigeait, eh bien, c'était une hystérique, une marâtre. J'ai eu d'ailleurs quelques réactions comme ça de la part d'un ou deux amis scientifiques qui ont trouvé que Rosalind Franklin, qui elle, essaye de résister, essaye d'élever la voix, de dire : « Non, vous ne prendrez pas mes résultats », eh bien, ils m'ont dit que c'était un personnage très peu sympathique et que c'était une marâtre.
- Rosalind n'était pas intéressée par la compétition, la course aux résultats par tous les moyens, même les pires. Non, ce n'est pas ce qui l'intéressait. Peut-être que ce n'est pas ce qui intéresse les femmes, d'ailleurs, je n'en sais rien. Il m'arrive parfois de penser que nous vivons dans un monde où les hommes s'entredéchirent pour la première place et où les femmes pardonnent. Évidemment, on ne leur laisse aucun autre choix. Et c'est ainsi que l'histoire les laisse sur le bord de la route. Mais elles avancent. Qu'ont fait Crick, Watson et Wilkins depuis toutes ces années ? Pratiquement rien. Rosalind, elle, a tourné la page. Elle s'est intéressée en particulier à la structure des virus afin de comprendre le mécanisme par lequel ils réussissent à infecter les cellules. Un travail pionnier salué par toute la communauté internationale. Son épitaphe ne dit rien de l'ADN, rien du tout. Il dit : « Ses recherches et ses résultats sur le virus resteront un bienfait durable pour l'humanité. » Je vous remercie.
- Tu sais, ce qui m'a fait le plus de peine, c'est qu'on m'ait appelée la mère de la bombe atomique.
Générique
Réalisation : Guillaume Vatan
Narration : Elisabeth Bouchaud
Images, son et montage : Guillaume Vatan
Production : le ministère chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, La Reine blanche Productions
Exil intérieur
Texte : Elisabeth Bouchaud
Mise En Scène : Marie Steen
Jeu : Elisabeth Bouchaud, Benoit Di Marco, Imer Kutllovci
Scénographie : Luca Antonucci
Costumes : Muriel Delamotte assistée de Marie Le Garrec
Vidéo : Guillaume Junot
Lumières : Philippe Sazerat
Créatrice Son : Stéphanie Gibert
Compositrice : Anne Germanique
Prix No’Bell
Texte : Elisabeth Bouchaud
Mise en scène : Marie Steen
Jeu : Clémentine Lebocey, Roxane Driay, Benoit Di Marco
Scénographie : Luca Antonucci
Costumes : Muriel Delamotte assistée de Marie Le Garrec
Vidéo : Guillaume Junot
Lumières : Philippe Sazerat
Créatrice Son : Stéphanie Gibert
Compositrice : Anne Germanique
L’Affaire Rosalind Franklin
Texte : Elisabeth Bouchaud
Mise en scène : Julie Timmerman
Jeu : Isis Ravel, Balthazar Gouzou, Matila Malliarakis, Julien Gallix
Scénographie : Luca Antonucci
Assistanat mise en scène et chorégraphie : Véronique Bret
Lumières : Philippe Sazerat
Son : Mme Miniature
Musique : Benjamin Laurent
Vidéo : Thomas Bouvet