Publié le 10.02.2023

Femmes en science

Portraits des 4 lauréates du prix Irène-Joliot Curie 2022

Le prix Irène-Joliot Curie récompense et met en lumière des femmes scientifiques aux carrières exemplaires. Découvrez les portraits et parcours de Bérengère Dubrulle, Céline Bellard, Nina Hadis Amini et Marjorie Cavarroc, lauréates de l'édition 2022.

Les (jeunes) femmes en sciences

Bérengère Dubrulle, directrice de recherche au CNRS : « À l'heure actuelle, il y a trop de jeunes filles qui sont découragées par les mathématiques ou qui trouvent que les mathématiques c'est pas fait pour les filles, ou que la physique c'est pas fait pour les filles. Et je peux pas leur en vouloir, puisqu'à l'heure actuelle, on a une image très masculine de la physique. 8% des femmes seulement dans mon domaine, font de la turbulence. Il est très important qu'il y ait des figures emblématiques féminines pour montrer aux filles que la physique ce n'est pas fait que pour les hommes, c'est aussi fait pour les filles. »

Céline Bellard, chargée de recherche au CNRS : « Les femmes sont sous-représentées à différents niveaux. Quand on est en thèse ou en master, on a énormément de femmes, ça c'est très important. Et on a plein de femmes qui sont talentueuses et qui sont remarquables d'un point de vue de la recherche. Le problème c'est vraiment sur la suite. Pour avoir un poste permanent en recherche, ça dure environ 5 à 6 ans après la thèse. Cette période est extrêmement compétitive et, en parallèle, pour les femmes, c'est souvent une période qui est liée à la maternité. Maintenir un équilibre entre une priorité personnelle et professionnelle est assez difficile. Et c'est vrai qu'on voit moins de femmes à ce stade-là. »

Nina Hadis Amini, chargée de recherche au CNRS : « Je pense qu'aujourd'hui, surtout dans mon domaine, dans le domaine des mathématiques appliquées en général, il n'y a pas beaucoup de femmes scientifiques. Mais je vois de plus en plus de filles qui décident de faire une thèse. Dans l'avenir proche, je suis assez optimiste, il aura certainement plus de femmes. »

Céline Bellard : « C'est compliqué de concilier la maternité et en même temps la compétitivité du travail pour ce stade de carrière. »

Travailler avec des femmes

Marjorie Cavarroc, ingénieure Recherche et Technologie chez Safran : « Mon équipe c'est 50/50, donc il y a pas de discrimination. Je ne vais pas prendre une jeune femme parce que c'est une femme. Je préfère qu'on soit très clair sur ce sujet-là. La discrimination positive, oui : à CV égal, on prend le meilleur. Au travail, par contre, c'est hors de question de discriminer une femme parce que c'est une femme, en disant "ah oui ! mais mon dieu ! Elle va faire un enfant, elle va prendre un congé maternité..." Oui bah, c'est la vie, c'est comme ça. On sait le gérer. »

Céline Bellard : « Je travaille en écologie et j'ai la chance d'être dans un laboratoire où la directrice d'unité est une femme ; on a des directrices adjointes qui sont des femmes ; on a des responsables d'équipes également qui sont des femmes. C'est vrai que ça peut donner l'impression que les femmes sont bien représentées à différents niveaux de responsabilité. Mais, en réalité, en écologie, on se rend compte que même dans des comités de sélection, les comités éditoriaux des revues scientifiques, on a souvent une sous-représentation des femmes. »

Marjorie Cavarroc : « On voit quand même qu'il y a une notion d'autocensure, qui, à mon sens, est plus importante chez les femmes que chez les hommes. Quand on leur parle de sciences, elles ont facilement tendance à penser que ce n'est pas pour elles, parce qu'elles n'en sont pas capables... sauf que ce sont des stéréotypes et des a priori. Effectivement, je vais peut-être mettre un peu plus de poids sur les jeunes femmes, les pousser des fois un peu plus, parce que je trouve qu'elles ont besoin d'être poussées un petit peu plus que des jeunes hommes, pour aller vers des choses qui leur sont tout à fait accessibles. »

Travailler en tant que femme

Marjorie Cavarroc : «  J'ai un petit garçon, qui a 10 ans. Je suis mariée. Je travaille à temps partiel, donc je ne travaille pas le mercredi, je m'occupe de mon fils le mercredi, tout simplement. Ce qui m'empêche absolument pas de faire carrière : je suis ingénieure, je suis experte ici. Ce n'est pas un problème. Je me déplace beaucoup, ça c'est vrai, dans le cadre de mon métier. Mais avec mon mari, on arrive à le gérer. Aujourd'hui, oui, j'ai des activités en dehors du boulot. Je ne vis pas boulot 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, loin de là. Je pense que je serai incapable de me dire "j'ai toujours rêvé de faire ça" et 10 ans plus tard, me dire "ah si seulement j'avais essayé..." »

Portrait de Bérengère Dubrulle, lauréate du prix "Femme scientifique de l’année"

« Je travaille sur la turbulence : un état des fluides qui se manifeste par la présence de tourbillons. J'essaye de modéliser et de comprendre cette turbulence en vue d’applications sociétales, comme le climat par exemple. À l’heure actuelle, il y a trop de jeunes filles qui sont découragées par les mathématiques ou qui trouvent que les mathématiques, ce n'est pas fait pour les filles. Et je ne peux pas leur en vouloir puisqu’ à l'heure actuelle, on a une image très masculine de la physique. Seulement 8% des femmes, dans mon domaine, font de la turbulence. Il est très important qu'il y ait des figures emblématiques féminines pour montrer aux filles que la physique, ce n'est pas fait que pour les hommes. C'est aussi fait pour les filles. »

Bérengère Dubrulle est directrice de recherche au CNRS et lauréate du prix "Femme scientifique de l’année". Elle mène une recherche pluridisciplinaire et explore la turbulence dans les fluides et ses applications, telles que la formation du système solaire ou les changements climatiques brutaux.

Elle est autrice ou co-autrice de plus de 180 publications. L’ensemble de ses travaux lui ont valu la médaille de bronze du CNRS en 1993, celle d’argent en 2017, le Grand Prix Victor Noury de l’Académie des Sciences en 2008 et la médaille Lewis Fry Richardson de la European Geophysical Union en 2021.

Au-delà de ses travaux de recherche, elle contribue au partage des savoirs en physique en tant que directrice de l’École de physique des Houches depuis 2020. Bérengère Dubrulle s’investit beaucoup dans la vulgarisation scientifique en participant à de nombreuses actions de médiation auprès du grand public.

Portrait de Céline Bellard, Prix spécial de l’engagement

Céline Bellard, Chargée de recherche au CNRS, Laboratoire d'Écologie, Systématique & Évolution, Université Paris-Saclay, Prix spécial de l’engagement : "Je travaille principalement sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité c'est-à-dire l'ensemble des changements globaux et en particulier sur les invasions biologiques. J'essaye de comprendre quel est l'impact des invasions biologiques sur les écosystèmes insulaires. Donc de savoir quelles sont les espèces qui risquent de disparaître dans les îles en raison des introductions d'espèces envahissantes par l'homme, d'établir leur profil, de comprendre quelles vont être les conséquences pour les écosystèmes en termes de perte de fonctions par exemple, ou de perte d'espèces clés de l'écosystème."

La représentation des femmes dans la recherche ?

Céline Bellard : "[Les femmes] sont sous-représentées à différents niveaux. En thèse ou en master, on a énormément de femmes. Et donc ça c’est important. On a plein de femmes qui sont talentueuses et qui sont remarquables d'un point de vue de la recherche. Le problème, c'est vraiment sur la suite. Pour avoir un poste permanent en recherche, ça prend environ 5 à 6 ans après la thèse. Et cette période, c'est une phase qui est extrêmement compétitive et qui généralement, en parallèle, pour les femmes qui est liée à la maternité. Maintenir un équilibre entre une priorité personnelle et professionnelle, c'est assez difficile et c'est vrai qu'on voit moins de femmes à ce stade-là. 

Pourquoi encadrer ?

Céline Bellard : "J'avais envie d’encadrer des étudiantes ça fait partie des missions, et j'ai eu la chance d'encadrer des étudiantes en thèse et ça pose un défi particulier pour les aider à faire la promotion de leurs recherches. Et elles m'apportent aussi beaucoup de questions sur la place des femmes, que je n'avais probablement pas avant."

Céline Bellard est une chercheuse spécialisée dans l’effet des changements globaux et notamment des invasions biologiques et des changements climatiques sur la biodiversité.

Depuis son doctorat, débuté en 2010 à l’université Paris-Sud, elle a publié 50 articles, dont certains ont eu un écho important dans la communauté scientifique et médiatique. Elle a ainsi publié une synthèse sur les conséquences du changement climatique sur la biodiversité qui fait aujourd’hui référence dans le domaine.

Céline Bellard est particulièrement sensible à la place des femmes dans la science. Son action a consisté à promouvoir les femmes à la fois au sein du monde académique et à l’extérieur, en encourageant les jeunes femmes à communiquer et valoriser leurs travaux et à postuler à des prix.

Par ailleurs, elle est impliquée dans le programme Girls in science ("Pour les filles et la Science") en intervenant auprès d'élèves de lycées au sujet des préjugés et des freins sur la place des femmes dans la recherche et au sein du réseau Les Expertes qui met en relation chercheuses et journalistes afin de porter la voix des femmes scientifiques dans le monde des médias.

Portrait : Nina Hadis Amini, prix Irène Joliot-Curie de la "Jeune femme scientifique"

Nina Hadis Amini, lauréate du Prix Irène Joliot-Curie 2022 de la jeune femme scientifique : "Aujourd'hui, je travaille sur le contrôle des systèmes quantiques, qui est un domaine à l'interface de probabilités, théorie de contrôle physique mathématiques, et physique quantique. J’ai fait l'École polytechnique. À l'époque, on était 40 filles parmi 400 élèves. Dans le domaine des mathématiques appliquées en général, il n’y a pas beaucoup de femmes scientifiques. Mais je vois de plus en plus de filles qui décident faire une thèse. Et je pense que dans un avenir proche, je suis assez optimiste ; il y aura certainement plus de femmes. Surtout avec les efforts qui sont en train de se faire. J'ai quatre étudiants de thèse dont une fille : elle est très forte. Elle a beaucoup de confiance.

Naomi Chmielewski, doctorante :"Pourquoi j'ai choisi de faire des maths ? Parce que j'ai commencé avec chimie et physique et j'ai vu ce qu'il en est. J'ai trouvé une beauté dans les maths que je ne trouve pas dans d'autres domaines. C'est que les maths, même s'il y a beaucoup de cas d'application, ça existe en soi. Pendant des centaines, voire des milliers d'années, des gens ont juste fait des maths, parce que ça les intéressait, même sans avoir un but à la fin. Et ça, c'est très artistique pour moi. Je trouve ça très beau."

Nina Hadis Amini : "Il faudrait à mon avis changer un peu la façon dont on enseigne les mathématiques au collège ou au lycée, pour donner plus de motivation aux filles d’aller dans cette direction. Parce que je pense que les mathématiques, par exemple pour moi, c'était un domaine, c'était pas un domaine très sec, c'était un domaine qui représente quelque chose comme l'art qui me passionnait toujours. Je me sentais libre quand je faisais mathématiques. Oui j'aimerais bien retourner un jour en Iran, et surtout encourager d'autres filles qui ont la passion pour devenir des femmes scientifiques. Je trouve qu’un mathématicien doit créer des jolies choses, comme un artiste."

Nina Hadis Amini est chercheuse en automatique appliquée au contrôle des systèmes quantiques au sein du Laboratoire des signaux et systèmes (L2S) du CNRS et lauréate du prix Irène Joliot-Curie de la "Jeune femme scientifique". Elle développe des méthodes de contrôle pour les ordinateurs quantiques de demain vouées à révolutionner l’intelligence artificielle ou la médecine.

Nina Hadis Amini effectue sa thèse à l’École des Mines de Paris sur la stabilisation des systèmes quantiques en temps discret et la stabilité de filtre en temps continu. Après deux postdoctorats en Australie et à l’université Stanford, elle est admise au concours du CNRS en 2014. En 2022, elle soutient son habilitation à diriger des recherches et obtient la médaille de Bronze du CNRS.

Elle est également membre du comité parité du Laboratoire des signaux et systèmes qui mène un projet ayant pour thème l’identification du harcèlement sexuel, moral et scientifique et la formation des doctorantes.

Portrait : Marjorie Cavarroc-Weimer, lauréate du Prix Irène Joliot-Curie 2022 "Femme, recherche et entreprise"

Marjorie Cavarroc-Weimer, ingénieure R&T au sein de Safran et lauréate du prix Irène Joliot-Curie : "Femme, recherche et entreprise" Je participe à ce qu'on appelle le traitement de surface, c'est-à-dire la modification des surfaces pour leur apporter des propriétés qu'en règle générale, elles n'ont pas ou les protéger. Ça nous permet notamment d'alléger les aéronefs ou de faire fonctionner certaines pièces à plus haute température."

Travailler avec des femmes ?

Marjorie Cavarroc-Weimer : "Dans mon équipe c’est 50/50, il n'y a pas de discrimination. Je ne vais pas prendre une jeune femme parce que c'est une femme. Je préfère qu'on soit très clair sur ce sujet-là. La discrimination positive, oui, à CV égal. On prend le meilleur pour travailler. Par contre, c'est hors de question de discriminer une femme parce que c'est une femme. En se disant :  “Ah oui mais mon dieu ! Elle va faire un enfant, elle va prendre un congé maternité.”  C'est la vie, c'est comme ça, on sait le gérer."

Travailler en tant que femme ?

Marjorie Cavarroc-Weimer : "J'ai un petit garçon qui a dix ans, je suis mariée. Je travaille à temps partiel, je ne travaille pas le mercredi, je m'occupe de mon fils. le mercredi tout simplement, ce qui ne m'empêche absolument pas de faire carrière. Je suis ingénieure, je suis experte ici. Ce n'est pas un problème. Je me déplace beaucoup. Ça, c'est vrai, dans le cadre de mon métier. Mais avec mon mari, on arrive à le gérer. Aujourd'hui, oui, j'ai des activités en dehors du boulot. Je ne vis pas boulot, 7 jours sur 7, 24 h sur 24, loin de là."

Marjorie Cavarroc-Weimer est ingénieure études R&T au sein du Groupe Safran et lauréate du Prix Irène Joliot-Curie 2022 "Femme, recherche et entreprise". 

En 1998, Marjorie Cavarroc-Weimer reçoit le prix de la "Vocation scientifique et technique des Femmes", à la fin de ses études secondaires. Elle poursuit ses études à l’université, puis en école d’ingénieur et en thèse de doctorat, dans le domaine de la physique des plasmas.

En 2010, elle reçoit le prix de l’Ingénieur de l’année, pour ses travaux de recherche sur la réduction de la quantité de platine dans les électrodes de piles à combustible.

Marjorie Cavarroc-Weimer fait partie de l’équipe d’experts de la Fondation L'Oréal-UNESCO pour les Femmes et la Science, pour laquelle elle analyse les dossiers des candidates depuis 2012. Elle est également marraine de l’association Elles Bougent et de la Fondation CGénial, impliquées auprès des jeunes et notamment des jeunes femmes.

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Crédits :
Xavier Rossi

Les ministres Sylvie Retailleau, Pap Ndiaye et Isabelle Rome à la cérémonie de remise des prix Irène Joliot-Curie 2022, au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), à Paris, le 10 février 2023