Près de deux cents personnes représentatives des principaux acteurs participant, à titre individuel ou collectif, au dialogue entre sciences, recherche et société – opérateurs de recherche, établissements d’enseignement supérieur, musées et muséums, associations, collectivités territoriales… mais aussi journalistes scientifiques, communicants publics ou médiateurs indépendants – étaient invitées à répondre à un questionnaire largement ouvert. À partir des 87 réponses reçues, compilées et analysées puis enrichies à l’occasion de quatre séances de restitution, il est possible de brosser un premier portrait de cette nouvelle manière d’envisager les relations entre sciences et société. En commençant, comme une majorité de répondants l’a explicitement indiqué, par le fait que ce dialogue concernerait l’ensemble des disciplines scientifiques, sans distinction entre sciences formelles, sciences naturelles ou sciences humaines et sociales.
Une première esquisse de périmètre du dialogue sciences, recherche et société
Si à la question "qu’évoque pour vous le dialogue entre sciences, recherche et société ?" les réponses furent aussi variées sur la forme que riches sur le fond, plusieurs éléments largement partagés entre les différentes catégories de répondants permettent de modeler une première esquisse de définition.
Ce dialogue pourrait d’abord se définir comme l’ensemble des espaces de porosité, des lieux d’interface, des opportunités d’interaction et des moments d’échange entre les sciences, somme des connaissances scientifiques unanimement partagées, la recherche, processus de production et de développement de nouveaux savoirs, et la société, addition des individus, collectifs et groupes sociaux qui la compose.
Il se traduirait ensuite à travers toute une série de dispositifs visant à transmettre des savoirs, à partager des connaissances, à rendre intelligible les sciences, à expliquer la démarche scientifique, à sensibiliser aux enjeux et défis de la recherche… Parmi ces dispositifs se trouveraient notamment la vulgarisation, la médiation et la communication scientifiques, la participation citoyenne à la recherche, l’expertise scientifique en appui à la décision publique mais également, au moins pour certaines de leurs dimensions, la valorisation de la recherche et le transfert d’innovation ou la science ouverte.
Si le périmètre de ces dispositifs reste encore à préciser, les répondants évoquant, par exemple, aussi bien "le transfert de connaissances permettant aux décideurs de comprendre avant d’agir", "la contribution d'experts à l’élaboration de textes législatifs et réglementaires", "l’évaluation des politiques publiques à partir de données et analyses objectives et non partisanes" que "l’aide à la prise de décisions en situation de crise" ou "l’identification des incertitudes, des sujets émergents et des besoins de la société" pour décrire les lien entre expertise scientifique et processus de décision, ils se caractériseraient en revanche par deux invariants. D’une part, ils proposeraient un type particulier de relation entre acteurs et publics (co-construction, échange, engagement, participation, réciprocité…). D’autre part, ils respecteraient un socle commun de valeurs fondamentales (éthique, inclusion, intégrité, respect, rigueur, transparence…).
Un dialogue au croisement de nombreux enjeux contemporains
Au-delà de ces questions de forme, de périmètre ou de contenu, il apparaît pour une large majorité de répondants que le dialogue entre sciences, recherche et société représente l’une des réponses privilégiées aux enjeux culturels, éducatifs, sociétaux ou démocratiques qui s’imposent aux sociétés contemporaines. Dans cette perspective, il intéresserait autant l’individu en permettant par exemple de "former des citoyens informés et engagés", de "développer leur esprit critique" ou de "lutter contre l'illettrisme scientifique" que la société dans son ensemble en irriguant les débats publics, en éclairant les décisions collectives, en luttant contre les dysfonctionnements de l’information… De manière transversale, ce dialogue s’inscrirait dans un objectif de lutte contre les discriminations et contribuerait à l’égalité d’accès aux savoirs, à l’égalité des chances et à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il occuperait également une place centrale pour documenter, expliciter et accompagner les différentes transitons (écologique, énergique, industrielle, numérique, sociale…).
Un dialogue qui participe à l’acquisition d’une culture scientifique commune
Surtout, le dialogue entre sciences, recherche et société participerait à l’acquisition d’une culture scientifique commune appréhendée par les répondants comme un "socle commun et indispensable de connaissances et de savoirs partagés", "une aptitude à lire une information de façon critique et à approfondir une question par soi-même en recherchant des informations complémentaires", une "capacité à mobiliser les savoirs, à analyser des faits, à se forger son propre avis et à comprendre le monde" ou une "compréhension des méthodes scientifiques". Derrière la diversité des formulations, et des périmètres qui ne se chevauchent pas toujours parfaitement, transparaît une définition proche de celle utilisée par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) lors du Forum international sur la culture scientifique et technologique pour tous de 1993 :
Une acception que l’on retrouve d’ailleurs également dans le cadre du projet international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) :
L’acquisition de cette culture scientifique commune répondrait à de nombreux enjeux, distincts selon que l’on se place du côté de l’individu ou de celui de la société. Au niveau individuel, ces connaissances et compétences permettraient notamment à chacune et chacun de "comprendre la complexité du monde et sa diversité", de "devenir acteur et d’éclairer ses choix" tout autant que de "nourrir sa curiosité et son plaisir de découverte" ou de "développer son esprit crique et sa culture du doute". Au niveau collectif, elles créeraient "du lien social", favoriseraient "la recherche d’un consensus éclairé", éclaireraient les choix collectifs, participeraient à la lutte contre les fausses informations…
Vers une charte de référence du dialogue sciences, recherche et société
Ces premiers éléments alimenteront la réflexion portée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en lien étroit avec les services concernés des ministères de la Culture, de l’Éducation nationale et de la Jeunesse ou de la Transition écologique. Elle se traduira notamment par la rédaction d’une charte de référence répondant à l’un des attendus du rapport annexé à la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.