Publié le 19.02.2025

Etude Mentalo : gros plan sur la santé mentale des jeunes

Mentalo est une étude participative de grande ampleur au sujet de la santé mentale et du bien-être des jeunes de 11 à 24 ans, menée par l'Inserm. 

Mentalo, qu'est-ce que c'est ?

Mentalo est une étude longitudinale de cohorte qui se déroule de mai 2024 à décembre 2026. L'étude repose sur une approche participative où adolescents et jeunes adultes sont partie prenante. Ils sont interrogés et suivis sur le temps long, une période de 12 mois. Karine Chevreul, Professeure de santé publique, Codirectrice ECEVE-Inserm, Membre du collège de la Haute Autorité de Santé, dirige le projet. 

 Dès la conception de l'enquête, plus de 300 jeunes et professionnels ont été impliqués dans la création des questionnaires, des outils de recueil et même du nom et du logo de l’étude. Cette inclusion des jeunes dans le processus assure qu’ils s'identifient à l'étude grâce à l'utilisation d'un vocabulaire vernaculaire et à des axes de questionnement pertinents.  

Pre Karine Chevreul

L'étude Mentalo relève de l'initiative du laboratoire Eceve, unité de recherche sous la double tutelle de l’université Paris Cité et de l’Inserm. S'agissant d'une étude pluridisciplinaire, les chercheurs impliqués dans le projet sont rattachés à l'Inserm, l'AP-HP et l'Université Paris Cité : médecins de santé publique, psychiatres, sociologues de la santé, statisticiens, spécialistes de l’intelligence artificielle mais également  développeurs web et spécialistes en communication.

Ce projet bénéficie de financements du ministère de la Santé, de l'Inserm et du Mécénat des mutuelles AXA.

Objectifs de l'étude Mentalo

  • favoriser l'adhésion et l'engagement des jeunes,
  • améliorer la qualité des données recueillies,
  • « déstigmatiser » la thématique de la santé mentale auprès des jeunes.

L'étude Mentalo accorde une importance significative aux données qualitatives, dans le but d'étudier les perceptions, les retours d'expérience et les récits pour affiner l'interprétation et la compréhension des données quantitatives. Avec une ambition de 50 000 participants, le projet met l’accent sur sa promotion, afin de garantir une participation large et diversifiée. 

Pre Karine Chevreul

 

11-24 ans c'est l'âge de l'échantillon de la population française étudiée

2,4 M€c'est le budget total (comprenant étude et solution)

1 an ½ c'est la durée de l'étude Mentalo

L'étude Mentalo entend aider les jeunes gens à s'approprier leur santé mentale et leur proposer un outil pour le faire.

Les codes de communication utilisés par l'étude, à l'instar du logo en forme de notes de musique ou encore de la couleur « vert menthe à l'eau » sont un premier pas pour banaliser l'approche de la santé mentale et la placer au même niveau que les autres préoccupations de santé publique.

Une analyse approfondie des canaux de diffusion a révélé qu’une approche basée sur la connaissance et la sensibilisation [sur le terrain] s'avère plus efficace que la promotion via des influenceurs ou des communications sur des plateformes. 

Pre Karine Chevreul

Interview de la Pre Karine Chevreul, directrice du projet Mentalo

Existe-t-il une étude antérieure similaire, en termes de durée et d’échantillon de population interrogée ?

Pre Karine Chevreul : Non, Mentalo est une première. En effet, si plusieurs études ont exploré la santé mentale des jeunes en France, aucune ne s’est intéressée à la fois aux adolescents et aux jeunes adultes en les suivant pendant un an pour étudier les évolutions au cours du temps.

Ainsi, parmi les études existantes, on peut citer :

À la différence de ces enquêtes, l'étude Mentalo adopte une approche distincte basée sur une méthodologie spécifique : l'étude longitudinale de cohorte. Elle vise à répondre à des questions complémentaires aux travaux réalisés.

Bien que l'échelle reste nationale, la temporalité et l'usage de cette étude diffèrent des autres recherches. L'objectif de cette méthode est de suivre un même groupe de personnes sur une période donnée afin de cartographier l'évolution d'un phénomène, en l'occurrence l'état mental des jeunes et ses facteurs déterminants. Pour Mentalo, les participants sont interrogés à sept reprises avec le même questionnaire (jour de l'inclusion, j+15, puis à 1 mois, 3 mois, 6 mois, 9 mois et 12 mois d’intervalle).

Contrairement à une enquête transversale menée une fois à un instant défini, cette étude suit les changements au fil du temps. Cette méthodologie permet d'approcher et de comprendre les relations de cause à effet entre l'événement étudié et les facteurs cités, de fournir des données précises et de déceler des tendances futures ou des modèles de comportement. Ces études longitudinales présentent des défis, tels qu'un taux d'attrition élevé ou l’affectation des résultats par des événements/changements sociétaux. Cependant, ces facteurs sont intégrés dans l'étude Mentalo comme variables d'intérêt. L'objectif est d'analyser l'ensemble des facteurs associés aux variations d’états de bien-être mental des jeunes, y compris les bouleversements sociétaux, géopolitiques ou individuels.

En plus de la dimension temporelle, cette étude repose sur un large échantillon d'individus dont les seuls critères d'inclusion sont l'âge (de 11 à 24 ans) et la résidence en France. L'étude Mentalo se distingue par son approche inclusive, en se concentrant sur la population générale plutôt que sur des groupes spécifiques ou à risque. Cette démarche vise à garantir la représentativité des résultats pour l'ensemble de la tranche d'âge étudiée. En intégrant une diversité de facteurs sociaux, culturels, économiques et environnementaux, Mentalo permet d'identifier un large éventail de facteurs associés au bien-être mental des jeunes.

De plus, en les suivant en population générale dans une étude longitudinale, Mentalo offre une compréhension approfondie de l'évolution de l'état mental au fil du temps, tout en identifiant des facteurs de vulnérabilités et de résilience qui peuvent évoluer avec l'âge ou les changements sociétaux.

Quelles sont les particularités d’un tel projet de recherche ?

L'objectif de la démarche participative est triple :

  • favoriser l'adhésion et l'engagement des jeunes ;
  • améliorer la qualité des données recueillies grâce à une meilleure compréhension ;
  • encourager l'empowerment tout en déstigmatisant la thématique.

L'étude Mentalo accorde une importance significative aux données qualitatives. En complément des statistiques tirées des questions fermées, un nombre important de questions reste ouvertes. L'objectif est d'étudier les perceptions, les retours d'expérience et les récits pour affiner l'interprétation et la compréhension des données quantitatives.

Comment le projet a-t-il été conçu et mené pour atteindre un échantillon satisfaisant ?

Pour atteindre son objectif quantitatif, avec une ambition de 50 000 participants, le projet met l’accent sur sa promotion, afin de garantir une participation large et diversifiée : campagne dans les métros, participation à des festivals, salons, forums, communication dans la presse, sur les réseaux sociaux, à la radio, à la télévision, etc.

L'équipe Mentalo, composée de membres de diverses disciplines, s'est déplacée pour rencontrer directement les jeunes et les différents acteurs impliqués. Cette présence sur le terrain a favorisé une meilleure compréhension des besoins et des attentes, tout en renforçant l'engagement des participants. Le projet a également adopté une approche participative dans la diffusion de cette enquête en impliquant des ambassadeurs jeunes âgés de 11 à 24 ans. Ces derniers ont joué un rôle crucial dans la communication de pair à pair, rendant le projet plus accessible et pertinent tout en réduisant les préjugés entourant la thématique au sein de ce public.

Dans un second temps, le projet a établi des contacts avec divers acteurs, notamment des établissements scolaires. En parallèle, des publics spécifiques ont été ciblés via des Maisons des Adolescents (MDA), des missions locales, entre autres à partir de contractualisations en cours avec des dispositifs départementaux. Le projet a bénéficié de partenariats et de soutiens variés, dont des ministères et des Agences régionales de santé, renforçant ainsi sa crédibilité et sa portée. Ces collaborations ont permis de mobiliser des ressources et d'élargir la diffusion du projet.

Pour affiner cette promotion, une analyse approfondie des canaux de diffusion a été effectuée et a révélé qu’une approche basée sur la connaissance et la sensibilisation s'avère plus efficace que la promotion via des influenceurs ou des communications sur des plateformes. Ces stratégies combinées ont permis au projet de toucher un échantillon représentatif et diversifié, assurant ainsi la pertinence et la richesse des données en cours de collecte.

En quoi les changements de société, en quelques décennies ou générations, ont-ils appelé une étude de cette ampleur ?

Les changements sociétaux des dernières décennies, accentués par des événements récents comme la pandémie de COVID-19, ont mis en lumière la nécessité d'une étude approfondie sur le bien-être mental des jeunes pour étudier les dynamiques de ces changements et leurs impacts. Tout d’abord, la pandémie, avec ses mesures sanitaires strictes, a eu un impact significatif sur le bien-être mental, particulièrement chez les adolescents et jeunes adultes, révélant une dégradation importante de leur état mental.

Parallèlement, l'évolution rapide des modes de vie, marquée par l'augmentation de l'utilisation des technologies numériques et des réseaux sociaux, a introduit de nouvelles pressions et défis pour les jeunes, affectant les états mentaux. Les transformations des structures familiales et sociales influencent également le bien-être mental des jeunes. De plus, les fluctuations économiques et géopolitiques, l'incertitude professionnelle et les inégalités sociales croissantes contribuent également à un environnement stressant, nécessitant une compréhension approfondie pour développer des stratégies de soutien adaptées.

Enfin, la sensibilisation à l'importance de la santé mentale dans la société appelle à des études rigoureuses pour mieux comprendre les besoins spécifiques des jeunes avec la prise en compte de leur point de vue pour favoriser la construction d’actions et de recommandations adaptées.

Quels sont les biais ou les points de vigilance de cette étude ?

Comme pour toutes les études, l’objectif des chercheurs est de minimiser les biais. Pour cela, l’étude Mentalo s’appuie sur une méthodologie rigoureuse et validée scientifiquement. Néanmoins, la transparence sur les limites de l’étude est également un moyen de contrôler les effets de ces distorsions. Cette reconnaissance permet de garantir les conclusions les plus fiables scientifiquement.

Les biais et points de vigilance de cette étude incluent plusieurs aspects. Dans un premier temps, les participants qui choisissent de répondre à l'étude sont probablement plus sensibles ou plus touchés par l’objet de recherche, introduisant potentiellement ainsi un biais de sélection. Effectivement, les réponses peuvent refléter les expériences de ceux déjà sensibilisés ou affectés par des problèmes de mal-être mental (de soi ou dans l’entourage).

De plus, une surreprésentation des filles parmi les répondants peut créer un biais de genre, limitant la généralisation des conclusions à l'ensemble de la population jeune. Cependant, une prise en compte de ses surreprésentations de genres ou de certaines classes d’âge est faite lors d’ajustement statistique et le recrutement d’un nombre élevé de participants permet d’identifier les facteurs associés aux variations de niveau de bien-être mental.

Pour finir, l'étude ne permet pas une analyse fine des inégalités territoriales, car elle ne descend pas en dessous de l'échelle départementale. Ce choix empêche notamment de distinguer les différences entre les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), ne permettant pas la compréhension des impacts spécifiques de ces environnements sur le bien-être mental des jeunes.

Avez-vous commencé à appréhender les premiers résultats depuis son lancement ?

En octobre dernier, les premiers résultats ont été dévoilés lors de la Journée mondiale de la santé mentale. Ces données révèlent des tendances à confirmer avec les extractions et analyses à venir (échantillon plus important et résultats sur l’aspect longitudinal).

Si un jeune sur trois présente un risque modéré ou sévère de troubles anxio-dépressifs, et qu'un sur sept souffre d'une détresse psychologique sévère, avec une aggravation marquée chez les filles et avec l’âge, plus de la moitié des jeunes se sent globalement bien. Près d'un jeune sur deux se sent seul. Comme ceux confrontés à des tensions familiales ou à une utilisation excessive des écrans (plus de 5h/jour) ils affichent un bien-être mental plus fragile. L’usage des écrans est souvent évoqué sous l’angle de ses effets délétères, toutefois il influe différemment selon l’activité : regarder des films, chercher des informations ou communiquer avec des proches est plus bénéfique que la consommation passive de courtes vidéos ou le suivi d’influenceurs.

La pression scolaire est un des facteurs importants : neuf jeunes sur dix disent en souffrir, avec un risque accru de détresse psychologique chez ceux qui la perçoivent fortement. Outre les études, la politique et l’état du monde figurent parmi leurs principales préoccupations. À l’inverse, la pratique d’activités sportives ou culturelles améliore significativement leur bien-être.

Quelle est votre méthodologie ? Comment les différents champs disciplinaires sont-ils mobilisés ?

Notre méthodologie repose sur une approche rigoureuse et collaborative. Nous avons commencé par faire un état de l'art international et un benchmark pour identifier les meilleures pratiques et outils existants en rapport avec notre objet d’étude. Ensuite, nous avons opté pour une étude observationnelle permettant de faire un état des lieux et d’actualiser les données relatives à l’état mental des jeunes et des facteurs déterminants.

Notre étude se base sur un questionnaire qui débute par le PHQ-4, un outil court validé scientifiquement pour évaluer les symptômes d’anxiété et de dépression. Celui-ci est accompagné d’autres questions, co-développées avec des jeunes. Pour les construire, des focus group ont été organisés dans plusieurs établissements sur deux périodes, la première visant à construire les questions et la seconde à ajuster le questionnaire en fonction des retours pour limiter les biais d’interprétation.

Mentalo implique des professionnels de compétences et horizons variés tels que des médecins de santé publique, des psychiatres, des sociologues de la santé, des statisticiens, des spécialistes de l’intelligence artificielle pour l’analyse des données qualitatives mais également des développeurs web et des spécialistes en communication.

Quel est l’objectif final de la démarche dans laquelle s’inscrit cette étude ?

Mentalo possède des objectifs de sensibilisation et de déstigmatisation de la thématique. L'étude cherche également à sensibiliser le public et à réduire la stigmatisation associée aux questions de bien-être mental, rendant ainsi la thématique moins taboue.

L'objectif final de la démarche dans laquelle s'inscrit l'étude Mentalo est de développer un outil d’e-santé adapté pour améliorer le bien-être mental des jeunes : « Mental + ». Cet outil s'appuiera sur les résultats de l'étude Mentalo et sera co-construit avec des jeunes. Mental + a pour ambition d’amener chacun à faire le point sur son bien-être mental, d’identifier ses points forts dans un objectif de prévention et de trouver des solutions pour ce renforcer ou si besoin se rétablir.

Avec Mental +, Mentalo vise donc à créer un outil adapté et validé scientifiquement pour soutenir la santé mentale des jeunes, tout en posant les bases pour de futures interventions et en favorisant une meilleure compréhension et une meilleure acceptation des enjeux de santé mentale.

Pour atteindre cet objectif, plusieurs étapes et sous-objectifs ont été visés. Le premier consiste à comprendre les besoins des jeunes. En effet, une analyse approfondie de leurs besoins spécifiques en matière de bien-être mental permet de cibler précisément les problématiques et d'orienter les solutions proposées. Ainsi, une base de données solide sera fournie par cette étude que cela soit pour les enjeux applicationnels de Mentalo ou pour d'autres projets interventionnels. Enfin, le dispositif sera évalué dès sa mise en œuvre, ce qui est souvent négligé (faute de moyens, de temps ou de priorité) dans le cadre d’autres applications.

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