Atypie-friendly, réussir l'université inclusive
Les troubles du neuro-développement (TND) ont une incidence sur les apprentissages, la participation sociale et la qualité de vie des personnes. Dans l'enseignement supérieur, il est crucial d'accompagner les étudiantes et les étudiants présentant des TND, pour leur donner les meilleures chances de réussite, dans leur cursus et leur intégration au sein de l'établissement.
Depuis 2018, Atypie-Friendly - alors nommé « Aspie-friendly », rassemble les universités engagées pour l'inclusion des personnes autistes sans déficience intellectuelle et propose des outils, un accompagnement aux établissements qui souhaitent s'inscrire dans cette démarche.
En 2023, le projet, qui est financé pour une durée de dix ans, est devenu Atypie-friendly pour étendre son action à l'ensemble des troubles du neuro-développement, notamment le Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles « dys », et donc élargir le nombre de personnes accompagnées dans l'enseignement supérieur.
Ce programme s'inscrit dans la Stratégie nationale pour les troubles du neuro-développement.
En particulier, les étudiants autistes sont accompagnés pour faciliter leur entrée dans l'enseignement supérieur, améliorer leur vie sociale, bénéficier d'un cursus aménagé et encourager leur insertion professionnelle. Progressivement, les outils sont étendus aux autres TND.
Atypie-Friendly travaille dans le cadre de la politique handicap des universités. Les étudiants accompagnés le sont pour toute la durée de leur parcours universitaire. Ils peuvent :
- bénéficier d'un accompagnement personnalisé ;
- participer à des activités adaptées à leurs besoins ;
- se voir proposer des aménagements pédagogiques ;
- être guidé dans leur orientation ;
- être suivi dans le cadre de leur insertion professionnelle.
Les personnels, et les autres étudiants peuvent par ailleurs être sensibilisés aux TND pour répondre à l'objectif central d'Atypie-friendly : réussir l'université inclusive.
Interview - Bertrand Monthubert
Enseignant à l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier - dont il a été président de 2012 à 2015 -, Bertrand Monthubert est directeur du programme Atypie-friendly. Il a été rapporteur général de la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur, conseiller spécial du secrétaire d’État à l'enseignement supérieur Thierry Mandon. Ses différentes fonctions l'ont amené à travailler sur les questions d’accès à l’enseignement supérieur pour les publics à besoins particuliers.
Quelle est la genèse d’Atypie-Friendly ?
Pendant longtemps, la question de l’accès à l’enseignement supérieur des personnes autistes était occultée. Pourtant, il y avait bien des étudiants autistes à l’université, certainement pas autant que ce que l’on serait en mesure d’attendre, mais leurs spécificités étaient mal comprises.
Peu à peu, un groupe de « pionniers » du programme, personnels de l’enseignement supérieur engagés dans le champ du handicap, enseignants-chercheurs spécialistes de l’autisme ou de la pédagogie, s’est agrégé autour des questions d’inclusion des étudiants autistes. Un appel à projet du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) nous a permis de structurer un projet d’ampleur pour « construire une université inclusive ».
Quels sont les objectifs du projet et quels outils sont proposés pour y parvenir ?
Les objectifs d’Atypie-Friendly sont multiples : sensibiliser et informer sur les Troubles du Neuro-Développement (TND), favoriser l’inclusion des personnes concernées dans la société et dans le monde professionnel, et accompagner les étudiants tout au long de leur parcours scolaire et universitaire.
Pour cela, le projet propose des formations, des ressources pédagogiques adaptées, des aménagements d'études et un accompagnement personnalisé. Nous travaillons aussi sur des outils numériques - par exemple un lecteur de vidéos pédagogiques personnalisable ou un serious game sur l’inscription à l’université - nous organisons des séances d’accompagnement en ligne sur la méthodologie du travail universitaire ou les habiletés sociales.
Vous avez mis en place les « cafés Atypie-Friendly», en quoi consistent ces rendez-vous ?
Les cafés Atypie-Friendly sont des moments conviviaux qui permettent aux participants, avant tout des étudiants présentant des TND et notamment autistes, de se retrouver et d’échanger sur les thématiques liées aux TND dans le cadre de leur expérience étudiante.
Cela permet aux participants d’échanger dans un cadre bienveillant, avec des personnes qui comprennent leurs particularités de fonctionnement, et de s’entraider. Ces temps d’échanges peuvent avoir lieu en ligne, tous les vendredis soirs, ou en présentiel, dans certaines des villes où le programme est présent.
Qu’est-ce qu’une université inclusive ?
Tout d’abord, il faut dire que je ne pense pas que cela existe tout à fait pour l'instant : il s’agit d’une perspective à atteindre, et nous travaillons pour progresser dans cette direction. Une université inclusive serait une université qui prenne en compte la réalité de la grande diversité de ses étudiants pour mettre en place les conditions de leur réussite.
Trop souvent, on pense aux étudiants comme s’ils étaient homogènes mais la population étudiante est très diverse : que ce soit les étudiants internationaux ou ceux en situation de handicap, les étudiants chargés de famille ou qui occupent un emploi, ceux qui proviennent de milieux sociaux défavorisés ou qui sont aidants familiaux… Tous ces étudiants viennent de contextes culturels, sociaux, linguistiques, cognitifs différents.
Quelles sont les difficultés d’un étudiant autiste en entrant dans l’enseignement supérieur ?
J’aimerais commencer par ses forces. Très souvent, c’est une étudiante ou un étudiant qui se dit : « enfin, je vais étudier ce qui me passionne depuis longtemps ! ». Et qui connaît déjà beaucoup de choses sur le sujet qui l’intéresse spécifiquement.
Mais il y a des défis : se repérer dans une organisation des études très différente du lycée, comprendre les attentes d’un nombre d’enseignants beaucoup plus important, s’organiser, planifier et prioriser son travail, se faire de nouvelles relations, accéder à l’autonomie de la vie quotidienne…
On peut ainsi avoir une personne très forte sur certaines tâches, et en difficulté sur d’autres. Il ne faut pas oublier également que beaucoup de nos étudiantes et étudiants peuvent avoir des troubles anxieux.
Quels sont les points de vigilance pour les établissements, afin d’accompagner au mieux ces étudiants vers la réussite ?
La première chose, c’est qu’il faut associer des profils variés dans l’équipe qui déploie le programme. Bien entendu, le service handicap et le Service de santé étudiante jouent un rôle de premier plan. Mais il faut aussi des enseignants, pour travailler sur les adaptations pédagogiques.
Ensuite, il faut être vigilant à prendre en compte les différents aspects de la vie de l’étudiant, à commencer par le logement et la restauration : un travail avec le Crous est très utile. En réalité, notre programme met en synergie de nombreux partenaires : Crous, rectorat, centres de ressources autisme, établissements médico-sociaux, employeurs... La qualité de cette collaboration est nécessaire pour réussir.
Comment préparer ces étudiants à leur insertion professionnelle ? Quel est le rôle de l’établissement ?
L’insertion professionnelle est un gros défi pour les étudiants avec un TND, notamment les personnes autistes. Passer un entretien d’embauche, par exemple, est très compliqué. L’établissement peut mettre en place des actions de préparation individuelle ou collective à la rédaction de CV (ce n’est pas si simple de savoir ce qu’on doit mettre en avant) ou à l’entretien d’embauche, organiser des forums de l’emploi avec des entreprises partenaires qui ont formé des personnels sur les TND, ou encore mettre en place des parrainages entre étudiants et personnels des entreprises.
Nous essayons de mettre en place des actions progressives vers l’insertion professionnelle, qui commencent parfois par des stages très courts, pour se familiariser avec l’environnement professionnel. Nous organisons aussi des ateliers en ligne pour nos étudiants pour aider à les préparer.
Depuis le lancement de l’initiative en 2018, percevez-vous déjà des évolutions dans la façon d’accompagner ces étudiants ?
Depuis le lancement d’Atypie-Friendly en 2018, nous avons observé une prise de conscience croissante des défis auxquels sont confrontés les étudiants autistes et, plus généralement, les personnes ayant des TND.
Nous avons sensibilisé plus de 10 000 personnes, et nous en voyons les effets : des enseignants qui font évoluer certains aspects de leur manière d’enseigner, des étudiants neuro-typiques qui ont des relations plus fortes avec leurs camarades autistes parce qu’ils comprennent mieux comment ils fonctionnent.
Dans certaines filières, nous n’intervenons presque plus car l’équipe pédagogique a acquis une véritable expérience, ils n’ont besoin du programme que pour des situations très spécifiques. Néanmoins, beaucoup reste à faire pour garantir une inclusion véritable et durable : nous sommes encore loin de l’objectif d’être des universités pleinement inclusives.
En 2022, le projet a élargi son périmètre aux étudiants atteints d’autres TND. Quels sont ces TND et comment est-ce pris en compte par Atypie-Friendly ?
Ce sont principalement le Trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles « dys » (dyslexie, dyspraxie…). Cet élargissement est progressif. Nous sommes en train d’adapter nos outils, qui ont été conçus pour les personnes autistes, à ces autres troubles.
Ce qui est complexe, c’est que sur certains aspects on peut retrouver des problématiques communes entre personnes présentant des TND différents : sur les questions d’organisation et planification, par exemple, les défis des personnes autistes et TDAH sont souvent proches. Sur d’autres aspects, c’est très différent : l’interaction sociale d’une personne autiste et d’une personne dyslexique n’est pas du tout similaire. C’est pourquoi le travail est long, on ne peut pas d’un coup créer les ressources nécessaires. Mais nous y travaillons, avec un objectif en tête : réussir l’université inclusive.