Quelles sont les étapes de votre parcours universitaire ?
Camille Sautreuil : J'ai toujours eu plus ou moins le goût des sciences. Ma grande sœur est atteinte d’une maladie chromosomique monosomique. Je voulais comprendre la façon dont le cerveau fonctionnait, et mon intérêt pour les neurosciences est parti de là.
Après un bac scientifique au Havre, je me suis inscrite à l'université de Rouen en licence de biochimie-biologie moléculaire-cellulaire & physiologie. J'y ai rencontré différentes personnes qui ont contribué à mon orientation vers les neurosciences, et j'ai enchaîné avec un master en sciences biomédicales, parcours neurosciences.
Mon futur directeur de thèse avait donné une conférence sur le syndrome d'alcoolisation fœtale : cela a retenu mon attention, et j'ai postulé pour faire un stage dans son laboratoire. Par la suite, j'ai souhaité également y faire une thèse.
Ma recherche a porté sur l'angiogenèse, qui est le processus physiologique qui permet la formation de nouveaux vaisseaux sanguins. Au cours du développement fœtal, l'angiogenèse permet la mise en place du réseau vasculaire cérébral. Chez l'enfant exposé in utero à l'alcool, on observe des anomalies de l'angiogenèse qui vont impacter son développement cérébral. Mon objectif était de rechercher, dans le placenta, donc dans un organe que l'on peut prélever à la naissance, des biomarqueurs placentaires qui pourraient indiquer une atteinte cérébrale chez l'enfant. Plusieurs résultats du laboratoire sont parus récemment ou sont en cours de publication.
J'ai soutenu ma thèse en décembre 2019. Après une période d’inactivité d’environ un an et demi liée à la survenue de la crise covid, j’ai bénéficié en 2021 d’un premier contrat CDD dans le cadre d’un financement de la Fondation de France, puis d’un financement post-doctoral de la Région Normandie. Le laboratoire et l’université de Rouen Normandie ont poursuivi leur accompagnement en me permettant par exemple d'aménager mes horaires de travail. Cela a facilité la gestion des contraintes liées à mon handicap, sans avoir recours à un horaire aménagé.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières liées à votre handicap ?
Au début, oui, cela a été compliqué. À mon arrivée à l'université, j'ai travaillé dans des bâtiments anciens non aménagés pour accueillir une personne en situation de handicap. Heureusement, l'université de Rouen a rapidement mis en place une salle de TD facilement accessible et une table rabaissée en salle de TP. Depuis, les bâtiments ont été refaits et tout est adapté : il y a des places "Personne à mobilité réduite" partout.
L'université de Rouen a vraiment cru en mon potentiel. Au sein de mon laboratoire, il y a eu une belle collaboration, humainement, scientifiquement et techniquement parlant. L'équipe de recherche et son directeur me soutenaient, mes collègues ont fait en sorte que je me sente bien. Le matériel a été adapté afin que je puisse travailler dans de bonnes conditions, les services techniques de l’UFR Santé ont fait des modifications de certaines paillasses et éviers pour les mettre à la bonne hauteur, par exemple. Plus récemment, un siège de laboratoire motorisé a été acheté par l’Université de Rouen. C'est un dispositif qui fonctionne bien et qui ouvrira des possibilités à d'autres personnes par la suite !
Je considère que je suis relativement chanceuse : j'ai mon véhicule adapté, je peux facilement accéder à mon lieu de travail. Toutefois, une fois sortie de chez moi ou de l'enceinte de l'université, c'est compliqué. Je ne prends plus les transports en commun seule, même si des efforts ont été faits et qu'ils sont plutôt bien adaptés. Beaucoup de personnes occupent sans motif les places réservées à celles en situation de handicap. Les trottoirs aussi posent un vrai problème, de même que l'accès à certains bâtiments, avec des portes très lourdes... Il reste beaucoup d'obstacles à contourner chaque jour.
Le syndrome d'alcoolisation fœtale concerne-t-il beaucoup d'enfants ?
En Europe, le SAF, ou syndrome d'alcoolisation fœtal, touche un enfant pour 1 000 naissances. Si l'on prend en compte les enfants atteint de troubles causés par l'alcoolisation fœtale (troubles de l’attention, de l'apprentissage tels que la dyslexie ou encore l’hyperactivité), cela ramène la prévalence jusqu’à 1 pour 100 des naissances. Le problème pour les cliniciens est que ces troubles vont apparaître progressivement avec le développement de l’enfant, et qu’ils sont souvent diagnostiqués tardivement, avec la scolarisation (vers 5-6 ans).
Ma problématique est de rechercher des biomarqueurs placentaires, dès la naissance, afin de pouvoir identifier précocement ces enfants, pour les prendre en charge le plus tôt possible et limiter les troubles neuro-développementaux qui pourraient survenir par la suite. En effet, la plasticité cérébrale est grande chez les nouveau-nés et le potentiel de récupération élevé.
Il n'y a pas de seuil ni vraiment de période en matière d'alcoolisation fœtale, aussi devrait-on éviter toute consommation d'alcool pendant toute la grossesse ! Il existe néanmoins des fenêtres de vulnérabilité pour lesquelles l’effet de l’alcool s’exprime différemment.
Le premier trimestre de la grossesse est la période de l'organogenèse, c'est à dire de la formation et du développement des organes. Lors des deux trimestres suivants, c'est tout ce qui est neurogenèse, vasculogenèse et connexion des réseaux neuronaux qui se met en place. L'angiogenèse couvre toute la grossesse et joue un rôle important dans la migration de certaines cellules nerveuses.
On sait aussi que l’alcool peut avoir un caractère addictif et qu’il existe des habitudes de consommation : il est important de mieux identifier parmi les enfants exposés in utero à l’alcool ceux qui risquent de développer des troubles plus tard.
Ce projet de recherche sur l'alcoolisation fœtale a été mis en place par mon directeur de thèse, en collaboration avec le CHU de Rouen. Nous ne sommes pas très nombreux à nous intéresser à ce type de diagnostic chez le nouveau-né. Cependant, nous collaborons avec plusieurs laboratoires en France et à l’étranger, au sein d'un nouveau réseau soutenu par le GIS « Autisme et Troubles du Neurodéveloppement » associant chercheurs, cliniciens, et associations de patients.
Quels sont vos projets ?
Je souhaiterais être ingénieure au sein de ce laboratoire et poursuivre mes recherches sur l'alcoolisation fœtale. Je vais candidater sur un poste d’ingénieur d’études à l’Université de Rouen Normandie qui devrait être prochainement ouvert.
Il ne suffit pas d'encourager des étudiants en situation de handicap à faire une thèse, il faudrait leur ouvrir des possibilités de carrière par la suite. Sinon, est-ce vraiment intéressant de faire une thèse et de nourrir des espoirs d'insertion professionnelle à haut niveau s'ils ne peuvent pas aboutir ? Heureusement pour moi, j’ai bénéficié de soutiens à tous les niveaux de ma formation !
A noter : depuis notre rencontre, Camille a été admise au recrutement pour le poste d'ingénieure d'études à l'Université de Rouen Normandie auquel elle avait candidaté.