Son parcours
Maîtresse de conférences en Physique à l’École Nationale Supérieure de Physique, Électronique et Matériaux (Phelma) de Grenoble INP-UGA, Cécile Ternon est spécialisée dans les milieux denses et les matériaux et plus particulièrement physique, nanomatériaux et nanotechnologies. Son enseignement est fortement interdisciplinaire et comprend la physique quantique, la physique statistique, les technologies de la microélectronique, le photovoltaïque, les biocapteurs, la statistique et la programmation. Elle est responsable de la filière Ingénierie Physique pour la photonique et la microélectronique (Iphy) à Phelma depuis 2017. Elle a obtenu de nombreux prix dont celui de l’innovation pédagogique de la CGE en 2022 et deux prix « Ingénieuse » de la CDEFI en 2015 et 2020.
Céline Ternon est une femme engagée en faveur de l’orientation et la sensibilisation des jeunes filles et des jeunes en général vers les sciences. Elle est, entre autres, présidente de l’association Parité science et adhérente de l’association Femmes & Sciences, chargée de mission égalité femmes-hommes à Grenoble INP - UGA depuis 2020 et membre du bureau de la Vice-Présidence "égalité et lutte contre les discriminations" de l'UGA. Elle a participé également à l’exposition Infinité Plurielles réalisée par Marie-Hélène Le Ny et commandée par le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR).
Elle travaille autour de la création d'outils de sensibilisation et d'information sur les stéréotypes de genre et sur le métier d'ingénieur avec des élèves de Phelma et a contribué à la création d'un fonds documentaire "Femmes dans les sciences" et à son inauguration à Grenoble INP.
Interview
Quel conseil donneriez-vous aux petites filles qui n'osent pas se lancer dans des carrières scientifiques ?
Des conseils simples mais pas toujours faciles à mettre en œuvre, à savoir « amuse-toi, sois curieuse, crois en toi, entoure-toi de personnes-soutiens, aie confiance en ta valeur et ne laisse personne te dire que les sciences ne sont pas pour toi et surtout n’attends pas que tout soit parfait pour te lancer ».
Toutefois, à cibler excessivement les filles et jeunes femmes dans les campagnes, on laisse sous-entendre que leur désintérêt pour les sciences ou leur manque de confiance en elles est la cause première de la faible représentation des femmes dans ces domaines.
Est-ce correct de leur faire porter la responsabilité de la situation ? En fait, elles sont plutôt victimes d'une société qui perpétue des stéréotypes et d'institutions qui reflètent cette culture discriminatoire au point de favoriser des environnements potentiellement hostiles propres à décourager les femmes ou desquels il vaut parfois mieux s’éloigner pour se préserver.
Il faut arrêter d’offrir à nos filles des injonctions dissonantes et faire en sorte que les enseignants et enseignantes soient conscientes de tout ce qui se transmet par les non-dits, par le choix des mots, par les émotions ressenties… et de même pour tous les personnels qui gravitent autour de nos enfants, cantine, garderie, nounous, centre de loisirs… nous adressons-nous bien aux filles et aux garçons ? En le signifiant par des mots ? Leur autorisons-nous les mêmes libertés ? Leur offrons-nous les mêmes opportunités ?
Comment sensibiliser dès le plus jeune âge aux sciences ?
En réhabilitant la démarche scientifique, en lui assurant son côté instinctif. L’être humain est naturellement scientifique.
Le bébé sur sa chaise haute qui fait tomber sa cuillère puis la relâche dès qu’on lui rend, ne cherche pas à exaspérer son parent. Il ou elle expérimente la gravité et la persistance du phénomène tout en mettant en œuvre la démarche scientifique : observation, expérimentation et vérification. Sans cette démarche, pas de développement et pas d’évolution. Et toute personne est capable de ça.
Alors encourageons les découvertes de nos enfants, écoutons et accompagnons leur émerveillement, laissons-les manipuler, faisons-leur découvrir concrètement ce qu’il y a derrière tous ces mots en « -ique » regroupés sous l’acronyme STIM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) et petit à petit l’intérêt vers des sciences de plus en plus complexes se fera.
Quelle est l'importance d'avoir des rôles modèles selon vous ?
Les rôles modèles sont extrêmement importants car l’identification est un processus fondamental pour l’ouverture des possibles, de l’enfance à l’adolescence mais aussi à l’âge adulte.
Par l’identification avec une personne qui pourrait être moi, je m’autorise à me projeter dans la même situation.
Toutefois, les rôles modèles ne suffisent pas. C’est toute l’iconographie qu’il faut modifier, surtout celle au contact des jeunes, veiller à la représentation des femmes dans les manuels, choisir des œuvres de littératures écrites au féminin, y compris pour les garçons.
Encore une fois, stopper toutes dissonances cognitives en montrant d’un côté des femmes qui l’ont fait, elles sont techniciennes, ingénieures, scientifiques… et de l’autre garder l’environnement masculin dominant où les garçons sont majoritairement sollicités et encouragés quand il est question de science et les filles à peine écoutées.
Un regard aux affiches des forums de métiers est assez évocateur, :où sont les femmes ? Dans quels métiers sont-elles représentées ? Il y a eu du progrès, mais la marge de progression existe encore…
On parle ici de science, mais le même travail est à réaliser pour encourager les garçons et les jeunes hommes à aller vers les métiers du soin et des services. Tout est question d’équilibre et tous les métiers devraient être accessibles quel que soit notre genre.
Comment décririez-vous votre carrière scientifique ?
Parler de sa carrière, c’est la repenser et la réorganiser pour en faire le récit. Je peux faire de ma carrière un récit exemplaire : une belle réussite académique, un poste de maitresse de conférences immédiatement après mon doctorat soutenu en moins de 3 ans, un séjour en tant que chercheuse invitée à l’école Polytechnique de Montréal en début de carrière, et actuellement un nouveau séjour en tant que chercheuse invitée à l’Université de Wellington. Et cette belle carrière a été ponctuée de reconnaissances associées à chacune des facettes de mon métier comme la prime d’excellence scientifique pour la recherche, le prix Jean-François Fiorina de l’innovation pédagogique pour l’enseignement ou encore le prix Ingénieuses de la CDEFI pour nos actions menées à Grenoble INP – UGA en faveur des jeunes femmes, et aujourd’hui le prix Irène Joliot-Curie à la fois pour ma carrière scientifique et pour mon engagement. C’est une belle carrière et j’en suis très fière !
Mais il s’agit aussi d’une carrière de la résilience car chacun des grands moments de cette carrière est le fruit d’un empêchement ou d’un échec. C’est aussi une carrière que je dois à quelques personnes, que je remercie infiniment, qui m’ont soutenue, maintenue à flots et fait confiance quand d’autres considéraient mon évincement à leur avantage. Je la dois aussi à toutes les équipes qui m’entourent, les belles personnes avec qui je choisis de travailler et le superbe travail que nous faisons tous et toutes ensembles.
En tant que lauréate, que représente ce prix pour vous ?
A titre personnel, ce prix est une fabuleuse reconnaissance, un encouragement à continuer et persévérer, Il valorise à la fois ma carrière scientifique, mes activités pédagogiques et mon engagement en faveur des filles et des femmes en sciences.
Plus largement, c’est aussi un message qui est envoyé à toutes les enseignantes-chercheuses par l’institution : il ne faut pas être chercheuse à temps plein ou presque pour être reconnue pour sa contribution scientifique. L’investissement pédagogique compte, de même que l’engagement. Message qui sera, j’espère, aussi entendu par toute personne en situation d’évaluation…
Enfin, ce prix est aussi la preuve que l’institution sait mettre en œuvre des actions pour changer la donne et que la société les accepte, alors peut-être devrions-nous y recourir plus souvent ? Et enfin nous donner les moyens de mener des actions efficaces menant à l’égalité.