Son parcours
Aude Bernheim développe sa passion pour la microbiologie lors de son master et poursuit un doctorat sur l'immunité anti-phage et les systèmes CRISPR-Cas à l'Institut Pasteur. Après sa thèse, elle rejoint l'Institut Weizmann, où elle découvre et caractérise deux nouvelles familles de protéines immunitaires bactériennes. Alors que l'immunité était considérée comme spécifique à chaque domaine de la vie, ses travaux révèlent la diversité des mécanismes immunitaires bactériens et une conservation entre l'immunité humaine et bactérienne, suggérant qu'une partie de l'immunité serait partagée par tous les êtres vivants.
De retour en France, elle crée une équipe de recherche pour explorer les implications de cette découverte sur l'immunité. Ses équipes utilisent une approche pluridisciplinaire, combinant bio-informatique, intelligence artificielle, génétique moléculaire et biochimie, pour découvrir de nouveaux systèmes immunitaires chez les bactéries et divers eucaryotes, et pour comprendre leurs mécanismes.
Forte de ces avancées, elle explore l'utilisation des virus de bactéries pour traiter des infections, conçoit de futurs médicaments antiviraux, et envisage des stratégies d'immunothérapie basées sur de nouveaux gènes de l'immunité humaine. En cinq ans, son travail a contribué à la découverte de 130 nouveaux systèmes antiviraux bactériens, alors qu'en 2018, seuls trois étaient connus.
Sa carrière a été récompensée par plusieurs prix prestigieux. En 2021, elle reçoit le Prix Rosalind Franklin pour jeune chercheuse de l'American Society of Genetics et de la Gruber Foundation. En 2022, elle reçoit le prix du Collège de France pour les jeunes chercheuses et chercheurs. En 2024, elle est nommée au Conseil Présidentiel de la Science, qui conseille le Président de la République.
Aude Bernheim s'engage pour une science interdisciplinaire, inclusive et ouverte. Selon elle, « la clé, c'est la diversité (comme pour les bactéries d'ailleurs… !) ». Elle co-fonde et dirige pendant quatre ans l'association WAX Science (What About Xperiencing Science), dédiée à la promotion d'une science sans stéréotypes. En 2019, elle a co-écrit un livre intitulé L'Intelligence artificielle, pas sans elles ! pour sensibiliser aux préjugés sexistes dans cette technologie. Elle a également co-créé le programme de science participative « Science à la Pelle », qui sollicite des contributeurs bénévoles.
À travers ses interventions régulières dans les médias et dans l'espace public, elle cherche à démystifier la science, dissiper les stéréotypes associés aux carrières scientifiques et susciter la curiosité des jeunes, en particulier des enfants et adolescents.
Interview
Quel conseil donneriez-vous aux petites filles qui n'osent pas se lancer dans des carrières scientifiques ?
Je leur dirais de poser des questions, explorer le monde, suivre leur curiosité et de ne jamais penser qu’elles ne sont pas faites pour la science. La créativité et la rigueur ne sont pas des qualités innées, elles se développent avec le temps.
Trop souvent, on véhicule l’idée que les sciences sont réservées à une élite ou qu’elles demandent une confiance inébranlable en soi, mais la réalité est que la science se construit dans l’incertitude et le doute.
Chaque contribution compte et il est essentiel que toutes les perspectives, enrichissent la recherche.
Comment sensibiliser dès le plus jeune âge aux sciences ?
L’émerveillement est le meilleur moteur d’apprentissage.
Il faut donner aux enfants, et en particulier aux filles, des occasions de manipuler, d’expérimenter, de voir comment fonctionne le monde autour d’eux. Encourager le questionnement, valoriser l’exploration et leur montrer que la science n’est pas une matière figée mais un processus vivant. Il est aussi crucial de déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge, en veillant à ce que les filles ne soient pas implicitement orientées vers d’autres disciplines.
Quelle est l'importance d'avoir des rôles modèles selon vous ?
Les rôles modèles sont essentiels parce qu’ils rendent possible ce qui semblait inaccessible. Voir une femme scientifique accomplie permet de se projeter, de se dire « si elle l’a fait, alors moi aussi je peux ».
Mais il ne s’agit pas seulement d’avoir des figures iconiques – il faut aussi des modèles variés, des parcours diversifiés, pour montrer qu’il n’y a pas une seule façon de réussir dans les sciences.
Comment décririez-vous votre carrière scientifique ?
Ma carrière est guidée par la curiosité et l'émerveillement devant la diversité et l’unité du vivant. J’ai travaillé sur des sujets allant de l’évolution des défenses antiphages aux biais de genre dans les sciences, en passant par des collaborations interdisciplinaires en biologie moléculaire. J’aime explorer de nouvelles approches, que ce soit par le biais de l’intelligence artificielle ou de la philosophie des sciences, et je trouve particulièrement enrichissant de travailler avec des équipes internationales et variées.
En tant que lauréate, que représente ce prix pour vous ?
Ce prix est une reconnaissance, mais aussi une responsabilité.
Il met en lumière des travaux qui me tiennent à cœur et qui, j’espère, contribueront à faire avancer notre compréhension du vivant. Il est aussi un encouragement à continuer à défendre une science ouverte, rigoureuse et inclusive. Enfin, c’est un signal fort pour toutes celles et ceux qui hésitent à se lancer dans la recherche : la diversité des parcours et des idées est une force pour la science.