Le prix Irène Joliot-Curie
Depuis sa création en 2001, le prix Irène Joliot-Curie œuvre en faveur de la promotion des femmes dans l’univers des sciences, de la recherche et de la technologie. En plus de deux décennies, ce prix a récompensé plus de 65 femmes scientifiques d’exception tant dans la recherche publique que privée, et ce, dans toutes les disciplines scientifiques.
Cette cérémonie a été l'occasion de remettre à Sylvie Méléard le prix de la « Femme scientifique de l’année ».
Pour la deuxième année consécutive, le prix - et donc cette cérémonie - a mis à l’honneur trois jeunes femmes scientifiques à travers une catégorie de récompense dédiée.
Par ailleurs, c'est lors de cette cérémonie qu'a été remis le prix « Femme, recherche et entreprise » ainsi que le « Prix spécial de l’engagement ». Ce dernier récompense une femme scientifique particulièrement investie dans la sensibilisation et l’orientation des filles et des jeunes en général vers les sciences.
Chaque année, les prix sont décernés par le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avec le soutien de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies qui en constituent le jury.
Les lauréates
Pour cette 23e édition, le jury, présidé par Catherine Cesarsky, membre de l’Académie des sciences, a choisi de récompenser :
Sylvie Méléard, Professeure de mathématiques appliquées au Centre de Mathématiques Appliquées de l’École Polytechnique. Elle a reçu le prix de la « Femme scientifique de l’année ».

Transcription textuelle | Prix Irène Joliot-Curie - Sylvie Méléard
J'ai été très heureuse de recevoir ce prix Irène Joliot-Curie, d'abord parce que j'ai lu la biographie d'Irène Joliot-Curie et j'ai trouvé que c'était une femme formidable dans la science, dans son engagement politique et son engagement féministe.
C'est quand même une reconnaissance d'un domaine, peut-être d'une certaine forme d'énergie à développer une thématique, donc, voilà, d'être aussi peut-être une femme un peu engagée.
Si ça peut donner des idées à des jeunes, et en particulier à des jeunes femmes qui sont souvent attirées par le vivant, et qu'on peut faire des mathématiques avec ces applications-là, je pense que c'est bien.
Moi, je suis probabiliste, c'est-à-dire que je travaille dans le domaine des probabilités. C'est une science qui essaye de quantifier le hasard. Donc, moi, je m'intéresse à des phénomènes qui dépendent du temps et qui évoluent de manière aléatoire. Je m'intéresse à ces applications, à la biologie, en particulier à la biologie des populations. Par exemple, on peut poser la question : dans combien de temps à peu près cette espèce qui est en voie d'extinction risque de s'éteindre ?
Je pense qu'une de mes grandes fiertés, c'est d'avoir créé ce réseau entre les biologistes, intéressés, bien sûr, par la modélisation, et les mathématiciens. Donc, on a créé avec l'École polytechnique, le Muséum national d'histoire naturelle et Veolia, ce qu'on appelle une chaire là-bas, mais qui est un réseau qui s'intéresse à la modélisation mathématique pour la biodiversité. Donc, ça, c'est une de mes fiertés.
Mon autre fierté, c'est tous mes doctorants. Pas des modèles préalables, mais c'est des rencontres. J'ai eu une professeure en collège, deux profs en physique et maths en terminale, qui m'ont parlé des écoles normales supérieures. Ma directrice de thèse, qui était donc professeure à l'École normale supérieure, m'a montré que c'était possible. J'ai des collègues.
Ça a été un peu dur au début parce que je suis arrivée dans un laboratoire de maths, qui était quand même très masculin, assez misogyne. C'était compliqué d'aimer bien s'habiller, d'avoir envie de rire et de donner l'air d'être sérieux parce qu'il fallait avoir l'air sérieux.
Donc, effectivement, il y a eu des années un petit peu dures.
Par rapport à une vie de famille, on traîne quand même une culpabilité un certain temps, mais après, vos enfants seront tellement fiers de vous et tellement passionnés par ce que vous faites.
Moi, je vais vous dire : vraiment, foncez, si vous aimez les maths, si ça vous intéresse.
On a absolument besoin de scientifiques en ce moment. On n'a pas assez de scientifiques. Si on considère qu'on n'a pas besoin de femmes, on se prive de l'intelligence de la moitié de la population. Donc, je trouve que c'est quand même assez bizarre de raisonner comme ça. On a notre place complètement.
Kate Griève, Directrice de Recherche INSERM spécialisée en imagerie optique. Elle a reçu le prix « Femme, recherche et entreprise ».

Transcription textuelle | Prix Irène Joliot-Curie - Kate Griève
Évidemment, je suis très honorée de recevoir ce prix. Je trouve que c'est une reconnaissance, pas seulement pour mon parcours personnel, mais aussi pour tout le bon travail que mon équipe a mené depuis plusieurs années.
Je suis directrice de recherche INSERM avec mon équipe académique à l'Institut de la Vision. Je suis pionnière dans le domaine de l'imagerie, particulièrement sur l'imagerie de l'œil, et en même temps, j'ai cofondé et je suis présidente d'une start-up qui s'appelle SharpEye, qui développe des technologies d'imagerie in vivo de la rétine et de la cornée.
Avec des jeunes de mon laboratoire, nous avons lancé un deuxième projet de start-up pour développer une technique de microscopie. Depuis mon arrivée en France, je pense que les deux personnes qui m'ont vraiment aidée à avancer dans ma carrière sont le professeur Claude Boccara, qui était mon directeur de thèse et avec qui je travaille toujours. Il est l'inventeur de la technologie de la tomographie par cohérence optique. L'autre personne, c'est le professeur José Sahel, créateur de l'Institut de la Vision. Je trouve son exemple vraiment très inspirant en termes de coupler le monde académique et la création de start-up.
Ils m'ont soutenue depuis le début, surtout parce que j'étais une femme. Ils trouvaient cela beau que je porte le projet.
L'aspect valorisation de la recherche se développe beaucoup en France. Depuis quelques années, on voit de plus en plus de spin-off issus de la recherche publique en France. Maintenant, nous sommes vraiment encouragés, en tant que chercheurs, à penser à la valorisation, à réfléchir à ce que nos inventions peuvent apporter non seulement à notre institution, mais aussi à la société en général.
Si l'on pense à une invention dans la technologie de la santé, cela peut vraiment avoir un impact sur les patients. C'est cela que nous voulons faire.
Je pense que j'avais quelques réserves au moment de créer la start-up, car je me demandais si je pourrais gérer à la fois le travail académique, le travail dans une start-up et ma vie personnelle en tant que mère de famille.
Mais au contraire, nous avons bénéficié de plus de visibilité grâce au fait que je suis une femme. Il y a plusieurs actions positives, comme ce prix Joliot-Curie, qui permettent de mettre en avant la place des femmes dans la recherche et dans les start-up.
J'aimerais encourager toutes les jeunes filles à se diriger vers une carrière de recherche. Nous avons besoin d'un équilibre entre hommes et femmes dans tous les domaines.
Le fait de pouvoir voir nos idées et nos innovations se transformer en une amélioration du niveau de vie d'un patient est vraiment très touchant.
Aude Bernheim, chercheuse en microbiologie et en génétique à l’institut Pasteur. Elle a reçu le prix « Jeune femme scientifique ».

Transcription textuelle | Prix Irène Joliot-Curie - Aude Bernheim
Le prix Irène Joliot-Curie, c'est un énorme honneur pour moi de le recevoir.
Il me permet, d'une part, de mettre en lumière tout le travail qui est fait au laboratoire et de récompenser l'excellence scientifique, mais aussi l'engagement que je peux avoir pour une science bien plus diverse et inclusive, notamment aussi des femmes. C'est comme ça qu'on arrive à faire les plus grandes avancées.
Ma plus grande fierté, en tant que chercheuse, c'est mon laboratoire. Je travaille sur la façon dont les bactéries se défendent contre leurs virus. On s'est rendu compte que des mécanismes immunitaires qui sont présents chez les humains seraient directement hérités des bactéries. On a appelé ça l'immunité ancestrale.
Cela ouvre des champs thérapeutiques fantastiques, par exemple, pour traiter des futurs virus qui infecteraient les humains, pour des maladies infectieuses, mais aussi auto-immunes, ou des cancers.
Dans ma vie, j'ai tout un tas de modèles, mais moi, c'est vraiment les gens avec qui je fais des choses et qui sont au même niveau de carrière que moi qui ont toujours été une force et une énergie incroyable pour moi, pour imaginer des nouvelles choses. Ça, je pense que toute ma carrière, ça a été quelque chose de très important.
Qu’est-ce que ça change d’être une femme en science ? Pour moi, il y a déjà des obstacles particuliers quand on est une femme. Quand on est petit, on imagine, comme je dis toujours, un homme blanc avec des lunettes et une blouse blanche. Donc, on ne s'identifie pas du tout à ce genre de choses.
On commence très tôt, je pense, à se poser des questions : pourquoi on fait de la science ? Est-ce qu'on ne doit pas faire autre chose ? Je ne me sentais pas assez bonne pour faire de la science. J'avais l'impression d'être un ovni, de ne rien avoir à faire là, qu'on m'autorisait un peu à être là, mais que ce n'était pas ma place. Ce fameux syndrome de l'imposteur.
Donc, pour moi, ne pas se sentir à sa place, c'est évidemment un obstacle, mais une fois qu'on arrive à le dépasser, ça peut aussi être quelque chose qui va, justement, devenir un défi, mais aussi un moteur pour faire les choses différemment.
En science, en fait, on doit imaginer des nouvelles choses. Une de mes convictions que je veux démontrer à toutes et tous, c'est qu'en faisant de la science diverse et qu'en incluant une diversité de personnes, on fait de la meilleure science.
C'est comme ça aussi qu'on va convaincre le monde entier que ce n'est pas seulement une nécessité en termes de justice, mais que c'est aussi ce qui est nécessaire pour faire la meilleure science. Donc, c'est le moment.
On n'a jamais eu autant besoin de scientifiques. On n'a jamais eu autant besoin de diversité de façons de penser, et les lieux sont là pour être prêts à accueillir cette diversité. On ne peut pas se priver du talent de la moitié de la population pour résoudre ces problèmes scientifiques.
Morgane Vacher, chargée de recherche CNRS en chimie au laboratoire CEISAM. Elle a reçu le prix « Jeune femme scientifique ».

Transcription textuelle | Prix Irène Joliot-Curie - Morgane Vacher
Le prix Irène Joliot-Curie, c'est pour moi une grande reconnaissance et une grande fierté.
Je pense qu'il vient récompenser mon travail, mon engagement, mon travail dans le domaine de la photochimie, mon engagement envers les femmes, car je pense que c'est quelque chose de très important.
Mon domaine de recherche, c'est la photochimie théorique, donc l'étude des réactions chimiques qui sont induites par la lumière. Par exemple, le phénomène de vision ou le processus de photosynthèse : il y a des réactions photochimiques induites par la lumière. Et moi, j'étudie ces réactions avec des approches théoriques, c'est-à-dire que je fais des simulations sur ordinateur pour simuler les réactions photochimiques et comprendre comment ça marche.
La photochimie est utilisée dans différents domaines. Dans la santé, pour l'imagerie médicale, dans la transition énergétique, dans les panneaux photovoltaïques : il y a une réaction photochimique. Des applications diverses.
Faire avancer la recherche nécessite une ouverture d'esprit. Avoir des profils différents, une diversité de profils, va permettre de regarder les choses différemment et d'avancer. Les résultats dont je suis la plus fière, c'est justement ceux qui ont nécessité de penser en dehors de ce qui était établi, qui étaient un peu en rupture avec l'état actuel des connaissances. C'est dans ces moments-là qu'on a vraiment l'impression d'avoir fait un vrai pas, d'avoir fait avancer la science et la connaissance.
Je n’ai pas eu de modèles particuliers, mais je peux quand même mentionner Marie Curie et sa fille Irène Joliot-Curie. Ce sont des figures de femmes scientifiques dont on entend parler assez jeunes, qui nous montrent que c'est possible, en tant que femmes, de faire de la recherche, de la science.
À mon échelle, j'essaie, moi aussi, de jouer ce rôle de modèle. J'essaie de sensibiliser les jeunes à la culture scientifique, en particulier les jeunes filles. Je sers aussi de modèle en me présentant comme femme scientifique.
Je pense que c'est plus facile aujourd'hui qu'avant. Des choses positives ont été mises en place et facilitent la carrière professionnelle et la vie personnelle. Congé maternité ou congé parental... C'est de plus en plus pris en compte pour pouvoir nous évaluer au même niveau que nos collègues masculins.
Il y a eu peut-être une période de transition où il fallait qu'on fasse comme les hommes, voire plus. Mais c'est possible d'allier carrière professionnelle et vie personnelle. On peut mener sa carrière comme on le veut, sans essayer de faire comme les hommes. Petit à petit, on y arrive.
Marie Verbanck, professeure Junior INSERM en statistique-génétique. Elle a reçu le prix « Jeune femme scientifique ».

Transcription textuelle | Prix Irène Joliot-Curie - Marie Verbanck
Ce prix Irène Joliot-Curie, c'est une grande fierté, un honneur de le recevoir, bien évidemment. Ça met en lumière des personnalités, mais c'est aussi le fruit d'un travail collectif. Derrière, il y a des équipes de recherche, il y a beaucoup de travail.
Je ressens aussi une certaine responsabilité avec ce prix, celle de montrer un exemple parmi d'autres de chercheuses d'aujourd'hui.
Mon domaine de recherche, c'est la génétique statistique. Donc, moi, qu'est-ce que je fais ? Je développe des modèles mathématiques pour mieux comprendre l'architecture génétique des maladies complexes. On a pu montrer que les modèles qui existaient jusque-là étaient quasiment tous biaisés et conduisaient à des résultats faux à cause d'un phénomène génétique qu'on a identifié. Ce phénomène, on le connaissait déjà, mais nous, on a montré qu'il était omniprésent dans le génome humain. Ce phénomène, c'est la pléiotropie.
C'est vraiment important pour moi de particulièrement m'adresser aux jeunes femmes, aux collégiennes, pour leur dire que c'est possible de faire une carrière scientifique en étant une femme, qu’on ne sait pas tout ce qu'il faut faire du premier coup, mais on se lance, on essaye. Ce n'est pas grave d'avoir des échecs. Parfois, on doute, on peut souffrir du syndrome de l'imposteur, par exemple. Pour moi, c'est primordial d'en parler, de le diffuser, parce qu'il me semble que c'est quelque chose dont les filles souffrent encore plus que les garçons.
C'est mon directeur de thèse qui m'a dit : « Vous souffrez du syndrome de l'imposteur. » Et je dois dire que ce qui m'a beaucoup aidée, c'est de savoir que ça existait, ce syndrome de l'imposteur.
Être encouragé dans ces carrières scientifiques, c'est vraiment très important. La formation, l'enseignement... Au-delà des modèles de chercheuses très connues, tout simplement, les professeurs que j'ai eus tout au long de ma scolarité ont été très importants. C'est quelque chose qui peut aussi déclencher des vocations. Ça a été le cas pour moi, et je remercie tous mes professeurs.
J'ai toujours eu la passion de faire de la vulgarisation scientifique. Mon engagement est avant tout de montrer, de faire partager mon amour des sciences, et, dans un deuxième temps, d'inciter plus particulièrement les jeunes filles, les jeunes femmes, à faire de la science. Montrer que c'est amusant de chercher à comprendre, que c'est passionnant.
Céline Ternon, maîtresse de conférences en Physique à Phelma - Université Grenoble Alpes. Elle a reçu le « Prix spécial de l’engagement ».

Transcription textuelle | Prix Irène Joliot-Curie - Céline Ternon
Je suis physico-chimiste, spécialisée dans les nanomatériaux et plus particulièrement les nanofils. Des petits fils, 1 000 à 10 000 fois plus petits que des cheveux. Ces matériaux sont intéressants car le nombre d'atomes à la surface se rapproche du nombre d'atomes dans le volume. Il s'en dégage alors des propriétés différentes des matériaux massifs. Mon travail de recherche consiste à développer des processus de synthèse pour les nanofils, à comprendre leurs propriétés et à exploiter ces propriétés dans des dispositifs fonctionnels.
Les applications peuvent être diverses, allant de la détection d'odeur à la captation du CO2, en passant par la récupération de l'eau. Ainsi, ma recherche touche à la physique, la chimie, la biologie et l'électronique. J'ai pas réellement choisi de faire une carrière scientifique. Ce que j'aime, c'est apprendre des nouvelles choses, répondre à des questions et trouver des solutions. En plus, j'aime vraiment bricoler, manipuler et laisser s'exprimer ma créativité. Du coup, je me suis naturellement orientée vers les sciences expérimentales. Cela s'est concrétisé avec les matériaux, mais ça aurait pu être autre chose. Le réel élément déclencheur a été mon premier stage en laboratoire.
Après avoir goûté à la recherche, j'ai su que je voulais en faire mon métier. Je suis particulièrement fière quand je vois l'impact de mes actions dans les remerciements que je reçois. Que ce soit de la part de mes élèves à l'école d'ingénierie, de doctorantes ou doctorants que j'ai accompagnés vers l'épanouissement ou de personnes côtoyées lors d'une action en faveur de l'égalité femmes-hommes.
Je n'ai jamais hésité à me lancer dans ce métier. Par contre, il est vrai que j'ai été confrontée à des injustices, de la discrimination, des environnements hostiles, des échecs à répétition, la folie d'un système qui ne peut fonctionner sans la collaboration, mais qui nous oblige à nous mettre en compétition.
C'est un métier difficile, mais il offre une liberté inégalée, le plaisir de la découverte, l'émulation du travail d'équipe, des opportunités de voyage riches et de découverte d'autres cultures.
C'est un très bon métier. À titre personnel, c'est une fabuleuse reconnaissance. C'est aussi un message fort qu'envoie l'institution pour souligner l'importance de l'engagement des scientifiques.
Je suis convaincue que la science et la mixité dans les sciences sont des leviers de paix, de progrès social et d'innovation. Il est donc fondamental que ce message diffuse largement pour une science inclusive et plus riche.